Je vous donne à lire un texte de Joël Roman, sa contribution au prochain N° de décembre des « Idées en mouvement », le mensuel de la Ligue de l'enseignement.
Notre système fiscal est complexe, brouillon et injuste. Pourtant la fiscalité est au cœur du pacte social. Mais il faudrait cesser de considérer l'impôt comme une nuisance et se souvenir qu'il est un droit.
Faire société, c'est payer l'impôt. L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen le stipule : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » et l'article 14 en précise les modalités : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. » Ces principes simples se sont au fil du temps traduits dans une réglementation complexe. Mais les finalités ne doivent pas être perdues de vue : il s'agit de construire un système de taxation qui réponde aux besoins collectifs et qui soit équitable. Notre système fiscal finance plusieurs budgets distincts : celui de l'État, celui des collectivités locales et territoriales, celui de la sécurité sociale à travers la CSG RDS, qui sont en réalité des impôts affectés davantage que des cotisations. Il dispose de plusieurs types d'imposition à cet effet : impôts sur le patrimoine, sur le revenu (fiscalité directe), sur la consommation (TVA). Bien que n'étant pas directement indexées sur l'une de ces trois sources de financement, les autres impositions s'y ramènent : la fiscalité des entreprises est répercutée par elles sur les prix de vente des produits et des services, et la fiscalité locale peut se comprendre comme partagée entre une fiscalité assise sur le patrimoine immobilier (taxe foncière) ou sur la consommation d'un logement (taxe d'habitation).
Toute réforme fiscale devrait se faire en répondant à trois questions : les sources de financement sont-elles adéquatement ciblées ? Les ressources sont-elles suffisantes et bien distribuées ? L'effort fiscal est-il équitablement réparti ? Il est clair, aux vues de ces questions, que les orientations politiques actuelles sont à la fois brouillonnes, incohérentes et surtout injustes.
Imposer les patrimoines et les transactions
Sur les sources de financement : il est clair que le patrimoine est aujourd'hui insuffisamment taxé. Les inégalités patrimoniales prospèrent davantage en France que dans n'importe quel autre pays comparable (en particulier aux États-Unis où la fiscalité sur les successions notamment, est beaucoup plus rigoureuse qu'en France). La récente réforme de l'impôt sur les successions et le bouclier fiscal sont venus réduire cette fiscalité à une peau de chagrin, et les valeurs foncières estimées par la taxe foncière sont très largement obsolètes. En outre, une source nouvelle de financement devrait être aujourd'hui prise en compte : les transactions financières comme le propose le projet de taxe Tobin ou des économistes comme Yann Moulier-Boutang.
Les ressources sont notoirement insuffisantes, d'où le recours à l'emprunt. Mais celui-ci alourdit la dette ; laquelle est aujourd'hui le premier poste budgétaire de l'État et de nombreuses collectivités locales. S'il n'est pas illégitime quand il s'agit d'investissement, la question devient plus épineuse quand il s'agit de distinguer fonctionnement et investissement et qu'on prétend payer l'emprunt en réduisant les dépenses de fonctionnement (le nombre de fonctionnaires). L'éducation ou la santé : dépenses de fonctionnement ou d'investissement ?
Les ressources sont aussi affectées de manière hasardeuse et inégalitaire, notamment en ce qui concerne les collectivités locales : des impôts à l'assiette archaïque, sans proportion avec les besoins, fortement inégalitaires. En ce sens la réforme de la taxe professionnelle était sans doute nécessaire. Mais pas sans avoir projeté une mise à plat de la fiscalité locale et pris en compte que les besoins de financement des collectivités s'étaient calqués sur cette structure : facilités accordées aux entreprises pour s'installer (prise en compte des externalités par les communes, offres foncières, de logements). Cela aussi demande compensation.
Sarkozy, champion de l'injustice fiscale
Enfin, et surtout, l'effort fiscal est très inégalement réparti : l'impôt sur le revenu a vu sa progressivité régulièrement réduite au cours des dernières années, pour atteindre un comble avec le bouclier fiscal (l'expression en elle-même est détestable). Il ne s'agit rien moins que de permettre aux plus hauts revenus de se soustraire à l'impôt. Injuste, de telles mesures sont aussi inefficaces : loin d'aider à la croissance en stimulant la consommation, elles sont sans effet car les gains de revenus ainsi dégagés vont à l'épargne et non à la consommation. Et cette épargne ne se tourne pas vers l'investissement productif, mais vers les fonds spéculatifs. On pourrait en dire autant des diverses niches fiscales introduites comme des outils commodes permettant d'aider des secteurs en difficulté, de flécher des consommations particulières (économie d'énergie), de soutenir l'investissement dans certains secteurs ou certains territoires (Dom Com), etc. Comme près d'un Français sur deux ne paie pas l'impôt sur le revenu, elles désavantagent doublement les plus bas revenus : directement, en les privant des aides ainsi accordées aux plus aisés ; indirectement en réduisant le montant total de l'impôt et donc les moyens de l'État.
La solidarité nationale est une des valeurs fondatrices de la République. S'en exonérer revient à porter atteinte à cette solidarité et miner la cohésion nationale. Voilà une thématique que devrait méditer Éric Besson, qui croit l'identité nationale en péril.
Joël Roman
(article pour le prochain N° de décembre des « Idées en mouvement »)
Consulter aussi le dossier d'Alternatives Économiques sur l'impôt