Ci-dessous l'éditorial du prochain Diasporiques, en guise de présentation de la revue, qui elle aussi est un document de travail important pour la préparation du Congrès 2010. Notez bien que je n'en suis pas l'auteur.
Moi, nous et eux…
Le thème central de réflexion du prochain congrès triennal de la Ligue de l’enseignement mûrit ; il trouvera sa pleine expression à Toulouse en juin 2010 ; il continue à alimenter nos réflexions autour des quatre termes-clés de cette « question de congrès » : individualismes, communautés, destin commun, comment faire société. Des mots qu’on pourrait résumer de façon lapidaire par les pronoms moi, nous et eux.
Moi, parce que chacun de nous est un individu unique dans l’histoire de l’humanité : par son génome, par le développement pré et post natal de son cerveau, par son histoire personnelle. Même deux jumeaux monozygotes – deux « vrais » jumeaux – diffèrent sensiblement l’un de l’autre. Chacun de nous est ainsi doté d’un corps-esprit qui lui est propre : un ensemble complexe de composantes « biologiques » qui lui confère la capacité d’avoir des échanges métaboliques avec le milieu dans lequel il vit mais aussi celle de penser et de s’exprimer. Chacun de nous, qu’il le reconnaisse formellement ou non, ne peut manquer de s’intéresser à lui-même, de se poser de légitimes questions sur ce qui constitue son « identité ». Cette auto-analyse peut toutefois dégénérer en repli narcissique ; transposée dans l’espace social, elle engendre alors diverses formes d’individualisme.
Cependant notre existence propre n’est reconnue comme élément constitutif de l’espèce humaine qu’au travers des relations que nous pouvons établir avec nos semblables : notre corps-esprit, sus-évoqué, ne devient une « personne » que par l’intermédiaire de cet enchevêtrement de réseaux de communication qui relie chacun de nous à une fraction plus ou moins grande de l’humanité. Ce qui veut dire que nous n’existons réellement en tant qu’êtres humains que dans l’accomplissement de notre socialisation, quelles qu’en soient les modalités spécifiques et l’ampleur. Et ce qui conduit ainsi directement à l’utilisation impérative du pronom nous. Chacun de nous dispose, dans ces conditions, d’un environnement humain qui lui est spécifique et dont il est « proche » : à commencer par celui de ses géniteurs et, plus largement, de sa famille mais aussi de tous ceux qui auront, tôt ou tard, connaissance plus ou moins intime de son existence et/ou qui partageront avec lui de multiples traits de son histoire, notamment de ses composantes socioculturelles. Nous, également, parce qu’au-delà de ces dimensions personnelles nous nous rattachons à nos semblables par une multiplicité de liens collectifs relatifs à nos origines, nos études, nos engagements professionnels, politiques, sociaux, culturels, cultuels… Ces diverses communautés d’appartenance - on peut légitimement les nommer ainsi à condition de ne pas considérer ces « appartenances » comme de totales inclusions - sont la résultante directe de nos modes de vie mais aussi de la façon dont évoluent le peuplement de la planète et les phénomènes migratoires. Comment pourrait-on par exemple refuser à de nouveaux immigrants le soutien social, économique et culturel que peut leur apporter la communauté de leurs compatriotes déjà intégrés dans notre pays ?
Une telle structuration pluricommunautaire hautement diversifiée n’a rien à voir avec ce qu’on désigne habituellement par le terme de « communautarisme ». Ce dernier mot ne prend en effet substance que si un groupe social prétend agir ou se faire représenter comme porte-parole privilégié sinon unique d’une culture spécifique. Les exemples aujourd’hui hélas abondent de ce type d’enfermement, souvent encouragé de fait – même s’ils prétendent le contraire - par les pouvoirs publics, tentés qu’ils sont de limiter le nombre des interlocuteurs susceptibles de « représenter » auprès d’eux une culture ou une fraction de la société.
Eux enfin, c’est-à-dire les autres qui sont vraiment « autres », ceux qu’on ne se sent pas tenté d’inclure dans quelque forme de « nous » que ce soit. Ceux qu’on connaît mal et dont, par un réflexe défensif, il arrrive qu’on ait peur et que cette peur dégénère en hostilité. Xénophobie et racisme sont des formes spécifiques de ces processus d’exclusion. Nous savons aussi qu’au sein d’un même pays – le nôtre en particulier – la lutte est incessante pour que le « nous » à connotation nationaliste ne conduise pas au rejet d’une fraction des citoyens dans l’espace des « eux ». N’est-ce pas à cela que risque de conduire la campagne actuelle autour du thème de l’identité nationale ? Ce concept, nous rappelait la juriste Monique Chemillier-Gendreau dans le numéro 2 de Diasporiques[1], est « une confiscation abusive de la multiplicité de nos appartenances ». Et par là-même la polarisation autour de lui est, en accentuant le clivage entre « nous » et « eux », paradoxalement destructrice de la cohésion nationale.
La méfiance individuelle et collective n’est évidemment pas la seule façon de penser à « eux ». Esquissons une hypothèse toute différente à leur propos : celle qui consisterait à miser sur la curiosité propre à l’espèce humaine – cette curiosité qui est la motivation première de toute recherche, c’est-à-dire de toute incursion délibérée dans des terrae incognitae. Pourquoi ne pas prendre systématiquement le parti d’essayer de mieux « les » comprendre, eux, par souci d’enrichir notre propre vision de l’humanité ? Sans renoncer le moins du monde à ce à quoi nous tenons fermement en termes de valeurs, peut-être pourrait-on ainsi trouver quelques points de rapprochement avec ceux qui ne vivent ou ne pensent pas tout à fait comme nous ; pour que, sans qu’ils cessent totalement d’être eux, nous puissions les considérer comme un peu moins éloignés de nous ; pour accroître, en d’autres termes, le nombre de ceux dont nous pourrions accepter de partager le destin pour autant qu’eux-mêmes acceptent de partager le nôtre.
Un peu plus de « nous », un peu moins de « eux », ce serait sans doute une bonne esquisse du faire société à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne et planétaire.
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[1] Diasporiques n°2, juin 2008, p.10-18.