Notre société est devenue en grande partie une société individualiste : encore faut-il s’accorder sur ce que cela veut dire. Certains y voient le signe d’une fragilité, voire d’une décadence : les individus ne songeraient qu’à leur bien être égoïste, et déserteraient les engagements collectifs. Or c’est ignorer que pour une part, cetindividualisme est produit par les institutions collectives, en premier lieu par celles qui prennent en charge les besoins fondamentaux des individus et qui les prémunissent contre les risques majeurs de l’existence : c’est libéré de ces contraintes que l’individu peut s’affirmer. En outre, cet individualisme est une conséquence de la promesse d’autonomie que comporte la philosophie des droits de l’homme. L’individualisme n’est-il pas une valeur positive ?
De fait, les liens collectifs ne sont pas aussi distendus qu’on le dit parfois : lors de certains événements, comme la canicule de l’été 2005, ils ont joué un rôle d’amortisseur davantage qu’on ne l’a dit. De même, la participation électorale ne faiblit pas, dès lors que les électeurs ont le sentiment qu’il y a de vrais enjeux sur lesquels ils peuvent peser.
Toutefois, notre société qui offre davantage d’opportunités aux individus est aussi une société qui les expose davantage. Plus libre, l’individu contemporain est aussi plus sollicité et plus fragile. De nouveaux risques le menacent : précarité, mobilité, failles psychologiques ou identitaires. Certains développent une idéologie de la réussite individuelle et du mérite, qui vise à responsabiliser à l’extrême chaque individu, et à lui attribuer les chances et les malchances de son propre parcours : les riches seraient tous méritants et les chômeurs, tous responsables de leur situation. La justice pénale de son côté, renonce à la prise en charge des défaillances individuelles pour s’orienter vers une gestion préventive de la dangerosité.
Comment, tout en faisant la part de la responsabilité individuelle, rassurer les individus et leur permettre de retrouver confiance en eux et envie de faire ? Comment faire tenir ensemble des individus dont non seulement les intérêts divergent, mais aussi les convictions ou les croyances ? Comment nourrir les engagements collectifs des autonomies individuelles ?
