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Billet de blog 6 décembre 2012

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adopteunmec.com : de la servitude volontaire juste “pour le délire”

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Chronique traduite en turc et publiée le 21/12/12 sur uplifers.com – http://www.uplifers.com/fransada-devrimsel-arkadaslik-sitesi/

Pour ceux qui comme moi en avaient entendu parler sans vraiment savoir de quoi il s’agissait, le principe de ce site de rencontres “décomplexé” (sic Cosmo)  c’est l’inversion symbolique des rapports de pouvoir entre les genres : contrairement aux sites de rencontres “classiques”, ce sont les filles qui “ont le pouvoir”. Ce sont elles qui déambulent dans les “rayons”, choisissent, “adoptent” ou non des hommes, majeurs et volontaires, objectivés et marchandisés. C’est gratuit pour les filles. Mais les garçons doivent témoigner de leur motivation en étant prêts à payer pour être mis à disposition. Le site, ouvert en 2008, est un succès : 600 000 membres actifs chaque mois en moyenne.

Extrait d’un article de Cosmo :

  • On aime :

- we got the POWER!

- le postulat selon lequel les hommes sont des objets à câliner

- le site est tout simplement fun et l’ambiance de l’interface est hyper girly

- les systèmes de “charmes” et de panier qui permettent de se concentrer sur les hommes choisis.

L’idéologie de l’empowerment sous-tend une forme de féminisme que j’ai envie de qualifier de old-fashioned dans la mesure où il repose sur une forme de vengeance symbolique de l’objectivation séculaire des femmes par l’objectivation d’hommes. Plutôt que de tous devenir sujets, objectivons ceux qui nous ont objectivées. C’est un peu comme ça que fonctionnent les magazines féminins où les femmes sont construites discursivement comme empowered face à des hommes objectivés ["The Cosmopolitan Ideology", Kathryn McMahon, 1990].

J’ai eu l’occasion de rencontrer un ancien inscrit, un serveur de 28 ans, plutôt beau garçon (selon l’idée d’après laquelle les garçons sur Disney Chanel sont beaux), le genre sans danger qui a les cheveux mi-longs, circule en vélo et écoute de l’électro. En un an et demi de présence sur le site, il a rencontré “juste deux meufs” avec qui il a couché et plus jamais revues. La “rencontre” ne serait que le terme communicationnel et politiquement correct pour tirer un coup, oh pardon, pour sex date ? Ah non, ici on parle de “rencontre d’une nuit”.

Pourtant dans les articles sur le sujet dans les magazines féminins, il s’agit bien d’amour dans les titres, comme par exemple ici, dans Cosmo : “Amour : où trouver des hommes célibataires ?”. Mais en-dessous on lit qu’il s’agit d’un “supermarché de l’homme”, où la cliente dispose d’un “panier” qu’elle doit remplir “d’objets à câliner” (d’hommes), qu’elle choisit “sur catalogue” selon des critères (région, âge, style, couleur des yeux). La rédactrice est enthousiaste : “J’en suis à une dizaine dans mon cabas quand déjà quatre de mes produits m’ont envoyé un mail. Hi, hi, hi, c’est qui la reine des bons plans ?”. C’est vrai que c’est rigolo.

Mathilde témoigne sur le site heureuseenamour.fr (lol), elle y a “cherché l’amour durant 2 mois et demi” (tenace, la jeune fille) : “J’ai débarqué sur ce site après un déclic : j’étais enfin prête à retrouver l’amour après une rupture difficile” (magie).”Ma sœur connaissait des personnes dans son cercle d’amis qui s’étaient rencontrées sur ce site: à présent ils vivent ensemble” (on en connait tous des copains de copains pour qui ça a marché). “Le concept de la femme qui fait ses courses m’a beaucoup fait rire et j’ai apprécié” (oui, c’est drôle). “Pour une fois nous ne sommes plus considérées comme des bouts de viande mais à l’inverse les hommes deviennent des objets” (ah, un peu de justice, enfin). “J’ai apprécié l’apparence du site qui nous fait vraiment penser à un site d’achat en ligne 100% glamour, rose et noir” (bah oui, c’est hyper glamour un supermarché d’humains). Bilan : elle n’a pas trouvé l’amour (ooooh) mais “pourquoi pas vous ?” (aaaah). C’est beau l’amour, en 2012.

Question : Quelle est la différence entre ça et une rue, un bar, une boîte ? Le rangement, le classement, la démarche volontaire ? Mais non, là ce sont les filles qui choisissent. Finalement, le constat sous-jacent c’est que le féminisme a encore du boulot…. au carré puisqu’il doit désormais lutter aussi contre la croyance que c’est bon, c’est acquis.

Je passe sur le modèle hétéronormé, l’hypergenrage des uns et des autres, les représentations stéréotypée et autres discours prescriptifs du style “les 5 erreurs à ne pas commettre au premier rendez-vous” qu’on peut trouver sur le site.

Suite à une communication sur l’ouverture prochaine d’une boutique qui ne devait être qu’un “poisson d’avril”, selon le directeur de la communication du site, “l’engouement des abonnés” a été tel qu’ils l’ont fait en vrai, juste “pour le délire”. Le 14 septembre dernier, le site de rencontres a ouvert un espace éphémère à Paris, dans le quartier des Halles.

Aux couleurs du site, rose et noir, le lieu est fréquenté par des filles “plutôt jeunes, jolies, urbaines”, qui viennent là “pour rire entre copines, se faire photographier aux côtés de beaux mâles”. A l’intérieur : “De jeunes et jolis garçons, inscrits sur le site, se sont proposés pour figurer en vitrine et en rayons, enveloppés dans des boîtes façon Ken et Barbie”, “plus de 1 000 garçons classés par profils – aventurier, minet, roux, brun, barbu, tatoué  – sont prêts à être adoptés”. De la servitude volontaire, je vous dis.

J’entends déjà les “mais détends-toi, c’est rigolo”. C’est vrai, comme le dit le directeur de la communication du site : “L’idée c’est que cela soit vraiment bon enfant, amusant”. Et puis, comme le disent les visiteuses : “Ça change des vitrines à Amsterdam, pour une fois que c’est l’inverse”. Et ce qui est bien c’est que les “mecs” sont volontaires : “C’est histoire de rigoler. Franchement, je trouve que c’est plus marrant qu’humiliant”. C’est bon alors, tout le monde est content. Surtout que, même si “c’est le reflet de notre société de consommation actuelle, on mise tout sur le packaging”, il n’y a pas de discrimination : “nous avons tous les physiques, vraiment, et tous les inscrits pourront venir passer un moment dans une boîte si elle est libre”.

Finalement, c’est une belle réussite pour le directeur de la communication du site : “On s’attendait à des protestations. Au contraire, l’accueil est très bon, les gens se pressent et ont compris le second degré”. Sûr ?…

C’est ça le progrès. Naïvement, je pensais que le féminisme était un humanisme…

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