juliette.raynaud (avatar)

juliette.raynaud

Consultante en communication

Abonné·e de Mediapart

79 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 janvier 2013

juliette.raynaud (avatar)

juliette.raynaud

Consultante en communication

Abonné·e de Mediapart

L'ennemi pub(l)ic

juliette.raynaud (avatar)

juliette.raynaud

Consultante en communication

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chronique traduite en turc et publiée le 11/01/13 sur uplifers.com – http://www.uplifers.com/public-enemy-genital-bolge-sorunsali/

Parole d’esthéticiennes, de plus en plus de jeunes filles, quand elles vont se faire épiler le maillot en salon, choisissent l’intégral. Que ce soit sous les conseils de leur mère ou par l’intégration de la nouvelle norme esthétique de ce début de XXIe  siècle, la tendance est au sexe glabre. Surtout chez les moins de vingt ans.

Il y a quelques temps déjà, une pote commente de façon terrifiante : « Si c’est compliqué pour elle de choper c’est parce qu’elle s’épile pas. Si elle était plus féminine (moins poilue), si elle se respectait plus (si elle imposait les normes sociales à son corps), elle serait plus sexy (elle correspondrait davantage à ce que les hommes veulent voir au pieu) ».

Plus tard, le barman d’un bar où j’ai l’habitude d’aller me confie que sa copine ne s’épile pas et que c’est un gros problème. Son sourire ravi quand il m’annonça fièrement quelques semaines plus tard que sa copine était allée en Thaïlande et qu’elle en était revenue sans poil !

Sur ce, une autre pote me raconte qu’un mec qu’elle avait rencontrée, en la voyant toute nue, lui avait carrément fait une réflexion sur son “laisser-aller”.

A ce point-là, est-ce encore une question de mode, de goût, d’humeur, de libre-arbitre ?

La vulve est une partie du corps, comme n’importe quelle autre, elle a sa propre vie, on ne peut pas contrôler de quoi elle a l’air, ce qu’elle sent, comment elle marche… Ou peut-être que si ?

Des marques préoccupées de notre bien-être nous avait offert la possibilité d’avoir les règles qui sentent la pêche ou la fraise industrielles. Et puis, on nous a dit de nous épiler régulièrement ou définitivement le maillot : le beau sexe est un sexe sans poil. Les salons de beauté nous invitent à repousser allègrement les frontières de l’épilation “intime” (le terme politiquement correct pour “chatte”, utilisé notamment en marketing et en publicité) sous de doux euphémismes séduisants, “maillot brésilien” ou même “sexy”. Dans les salons Yves Rocher, l’épilation intégrale est en effet le “maillot sexy”… par opposition aux quatre autres alternatives ? Comment décider qu’on ne sera pas sexy ? Moi aussi je veux être sexy !

Mais est-ce vraiment plus “sexy” d’avoir la chatte d’une enfant de huit ans ?

Habitués à la docilité des actrices porno, les hommes ne s’attendraient pas à être confrontés à la réalité de leur partenaire, à leur existence en tant que personnes. Ils ne s’attendraient pas non plus aux poils au pieu. D’ailleurs dans les séries états-uniennes comme dans la vie, le rituel beauté pré-coït inclue l’épilation. Les femmes devraient non seulement ne pas avoir de poils mais aussi préserver l’illusion que c’est “naturel” (les femmes ne font que pipi et ont un corps naturellement lisse, sans poil). Dans un article consacré à “l’épilation féminine” dans Elle, un des hommes interviewés nous un bon tuyau : “Et surtout, un conseil mesdemoiselles : ne parlez jamais de vos problèmes d’épilation devant un mec. On ne veut rien savoir des dessous de l’affaire”.

En revanche, une fois que vous êtes épilées intégralement et définitivement, vous pouvez vous étendre sur le sujet, à l’apéro par exemple, surtout si l’assemblée est constituée de mâles ; une bonne occasion de présenter vos sex-toys par la suite (basé sur une histoire vraie).

Un sondage IPSOS commandé par la marque Nair en 2006 déclare que si la femme de leur vie arrêtait de s’épiler, cela “déplairait” à 44% des hommes et 57% des moins de 35 ans seraient “forts mécontents”. Plus alarmant : 40% des moins de 20 ans n’ont jamais vu de poils sur le pubis de leurs partenaires.

Aujourd’hui, les poils c’est obscène. Le tableau de Courbet “L’origine du monde”, accueilli comme une provocation en 1866, retrouve toute sa force transgressive.

Ne serait-ce pas simplement parce que, trop exposés aux chattes sur-épilées, les jeunes hommes n’auraient pas eu l’opportunité d’en voir une vraie ?

Cette nouvelle norme esthétique qui s’installe tranquillement dans les sociétés occidentales peut s’expliquer par l’intégration de l’idéologie hygiéniste selon laquelle le poil c’est sale. On pourrait aussi blâmer l’exposition de plus en plus fréquente aux imageries porno.

Le propre de notre génération est que les femmes simulent en ignorant qu’elles simulent. Ainsi, il est facile de s’auto-convaincre, avec l’aide active des médias, que ce n’est pas pour les hommes que nous nous sur-épilons la chatte mais pour améliorer notre vie sexuelle, pour “plus de plaisir lors des rapports”. On soigne notre estime de nous et on chérit l’idée d’indépendance par rapport à la “domination masculine”, donc on va volontairement prendre des cours de pole-dance et on s’épile les lèvres vaginales pour “se sentir sexy”. A ce propos, une petite anecdote : quand j’étais au lycée, mon esthéticienne et sa spatule ont tripé sans tenir compte de ma commande. J’étais contrariée mais pour apaiser mon courroux, ma pote me dit : “Tu vas juste avoir le meilleur cunni de ta vie !”. Vraiment ? J’ai lu pas mal de trucs allant dans ce sens et j’y ai cru aveuglément pendant un certain temps, mais comme dirait l’autre : “C’est moins drôle si y a rien à manger”. Et de fait…

Tout ne s’explique pas par l’économie mais rien ne s’explique sans elle. L’épilation intégrale mania va de paire avec un marché florissant des salons de beauté, crèmes dépilatoires, crèmes anti-repousse, accessoires de customisation, piercings, tatouages, chirurgie esthétique… Oui, la bonne nouvelle c’est qu’on peut désormais donner à sa chatte l’aspect qui nous convient, non seulement en lui enlevant ses poils mais aussi en coupant ce qui dépasse. Parce que nous le valons bien.

“Aimez-vous votre sexe ?”, c’est la question posée dans le Marie-Claire de décembre 2012. Une de mes profs m’a directement envoyé un mail pour me signaler son étonnement face à cet article-test qui traitait de la vulve de manière purement anatomico-esthétique. Mais il semble que ce soit la question. Et si jamais la réponse s’avère être non, il n’y a rien qu’une carte de crédit ne peut pas régler.

On se plie à ce qu’on pense qu’il est attendu de nous, on forme son corps selon les normes en vigueur, on s’en éloigne, on le prend comme une multitude de parties et non comme un tout, on se rend disponible sexuellement. Mais on utilise des applicateurs pour enfiler son tampon parce que mettre le doigt dans l’encolure, c’est trop intime. Mieux vaut faire une nymphoplastie, un nom poétique pour une mutilation made in premier monde, et avoir enfin la chatte de ses rêves, la chatte des images porno où tout est lisse, tout est doux, rien ne dépasse. Moi je dis vive le total contrôle.

Et si on disait que la norme c’est d’avoir qu’une seule grosse testicule ?

Vulve : partie du corps anatomiquement correcte depuis le début de l’humanité.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.