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Billet de blog 20 octobre 2012

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Fantasmes, désir, etc.

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Chronique traduite en turc et publiée sur uplifers.com le 8/11/2012 - http://www.uplifers.com/merak-etme-cok-iyisin/

L’autre soir, j’étais à mon QG du Moulin Rouge, “Chez Julien”, avec des potes. On buvait des bières, tranquilles, en terrasse, on discutait, de sujets plus ou moins légers, on se marrait bien. Et puis, ma pote commence à me parler de son « mec », du mec qu’elle fréquente depuis quelques mois déjà mais qui apparemment a quelques problèmes relationnels…

Après lui avoir annoncé qu’il ne ressentirait « jamais rien pour elle » mais qu’il voulait « continuer à la voir » quand même, il lui annonce solennellement qu’il avait vu « trop de porno » dans sa vie pour « pouvoir prendre son pied » avec elle. Ce jeune homme semble bien se connaître dis donc.

« Je me sentais comme une merde », me dit-elle. Tu m’étonnes. Elle n’est pas épilée intégralement, elle ne pousse pas des cris en se léchant les doigts dès qu’on la l’effleure, elle ne change pas de position par une simple tape sur la fesse, elle n’a pas envie de faire une fellation après pénétration vaginale… Peut-être même qu’elle pense pouvoir mouiller « naturellement » et pas en humidifiant ses doigts avant de se tripoter la chatte. Bref, elle n’est pas une star du porno.

Pourrait-on le lui reprocher ? Apparemment, oui. Le pire c’est qu’un jeune homme se joint à notre conversation et me dit, spontanément et en « l’assumant totalement » que lui, « comme tout le monde » a découvert le sexe avec les films porno et que quand il a été confronté au « vrai sexe », il a été déçu. Rassurez-vous, à force, il a fini par se faire une raison. Autrement dit, face à la réalité de ce qu’est un rapport sexuel, des hommes, nourris au biberon par l’imagerie porno, finiraient par se résigner et revoir leurs attentes à la « baisse » ? Comment cela peut-il constituer un « idéal sexuel » ?

Il paraîtrait que c’est encore pire pour les personnes qui ont 20 ans en 2012 : eux, ne peuvent même pas envisager cette distance entre fantasme stéréotypé et réalité. De fait, Internet a modifié l’écologie des pornographies : d’abord danger, il assume désormais le rôle de centraliseur de représentations pornographiques qui, côtoient les sons, les textes et les images : d’autres horizons se voient ratifiées comme univers de consommation culturelle. Numériquement reproductible, la pornographie circule dans des vastes sphères à un coût réduit. Cette pornographie n’est plus ostracisable, d’autant qu’elle gagne de nouveaux « amateurs » et apprend en temps réel quels sont leurs « goûts ».

Etymologiquement, la pornographie désigne les études sur la prostitution. Elle est aujourd’hui communément entendue comme la représentation d’actes sexuels non feints en vue d’exciter sexuellement le spectateur / lecteur qui relèverait d’une volonté de « tout montrer.

Avec son développement via les cassettes, les DVDs, puis surtout Internet et maintenant le Web collaboratif, l’industrie pornographique constitue un « univers culturel » qui s’inscrit dans une des plus grandes industries de consommation actuelles. Ces contenus sont réinscrits dans une circularité du sens, et apparaissent à nos yeux comme des imageries. La pornographie est assimilée à la production de « films X » à petits budgets et les contenus fabriqués par l’univers culturel du porno contemporain ne sont plus des œuvres singulières mais des reproductions ultra-normées de « ce qui marche ». Comment se créent des phénomènes d’identification ? Ou, pour le dire autrement, comment les imageries porno en arrivent-elles à pourrir notre vie sexuelle ?

On a du mot « porno » une image réduite et très connotée négativement (un peu comme pour le mot « féministe ») : la pornographie est assimilée à une pornographie « hétéro mainstream », mal perçue par beaucoup de femmes étant donné que les femmes sont souvent soumises par l’homme dans ces films, et que le plaisir féminin est souvent nié.

A l’écran, les objets médiatiques pornographiques (et leurs stars) sont identifiables très facilement. Or, le sexe, ce n’est pas une succession de positions travaillées pour l’œil d’une caméra et de centaines de milliers de spectateurs. Ce n’est pas l’interpénétration de deux corps ultra-normés, déformés par la chirurgie ou la chimie. Le sexe c’est la rencontre, plus ou moins éphémère, plus ou moins tendre ou brutale, plus ou moins torride ou gênante, entre au moins deux corps, deux personnes. Le sexe, c’est aussi la rencontre avec son propre corps. Comment la sexualité féminine s’est vue coulée dans le moule préfabriqué de la sexualité masculine fantasmée par l’industrie porno ?

On va demander aux femmes de s’épiler intégralement, de se faire réduire les lèvres, de reproduire ces bruits, entre soupirs, vagissements et hurlements, inventés par l’industrie porno, de faire des fellations dès le matin, de toujours être disponible pour contrer toute envie d’aller voir ailleurs. Finalement, on va demander aux femmes de devenir des « pros » du sexe. Les cours de lap dance, de pole dance ou autres effeuillages fleurissent. Les cours de sexe même : « dans cette position, il faut cambrer… voilà, comme ça », « tu dois l’enfoncer un peu plus dans ta gorge (non, c’est normal si tu as envie de vomir, continue) »… Et les femmes rentrent dans le jeu, le font leur : « c’est d’abord pour moi que je le fais, bien sûr c’est aussi pour lui faire plaisir, mais c’est avant tout pour moi, pour me sentir bien ».

Je tiens à préciser que beaucoup d’hommes sont victimes de cet imaginaire porno qui a envahi nos réalités. Et, si cela concerne plus particulièrement les femmes, les cibles privilégiées du complexe mode-beauté-chirurgie, les hommes subissent aussi des injonctions sans queue ni tête (jeu de mot volontaire). Messieurs, il n’est pas besoin de sécréter plus de sperme que de raison, il n’est pas besoin d’avoir un membre imposant, il n’est pas besoin de « durer » pour durer, pas plus que de devenir un « pro du sexe en plein air ».

Catherine Corringer, vidéaste, témoigne : « Je n’aime pas « la puissance de la bite », voilà pourquoi c’est rarement un homme qui m’impressionne sexuellement. Mais cela peut arriver. Autrement. Quand les hommes ont le courage d’aller sexuellement ailleurs. C’est rare. » [entretien pour Genre, Sexualité et Société, printemps 2009]. S’agit-il de courage ou d’espace symbolique ? Est-ce que ça « marcherait » aussi bien si la bite n’était pas l’actrice principale ?

La pornographie, ça pourrait juste être la représentation performative d’un fantasme, ce qui rendrait les catégories canoniques du « genre » illusoires et autoriserait le développement de pornographies diverses, aux regards croisés. Pourquoi se « cantonner » à des représentations stéréotypées de rapports homosexuels, de fantasmes de violence voire de viol, etc. ?

Nancy Houston posait déjà cette question en 2004 : « Comment se fait-il que, dans une société où les rapports entre les sexes sont plus égalitaires et plus libres que jamais auparavant, nous avons toujours, et même de plus en plus, envie et besoin de nous gaver de représentations de contrainte, de domination et de destruction sexuelle ? » [Nancy Houston, Mosaïque de la pornographie, Ed. Payot, 2004].

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