Chronique traduite en turc et publiée le 20/09/13 sur uplifers.com – http://www.uplifers.com/kadinin-cinsel-istismari-birlesmis-milletlerin-arastirmasinin-carpici-sonuclari/
Rendue publique le jour où quatre Indiens ont été jugés coupables du viol et du meurtre d’une étudiante à New Delhi, une vaste étude de l’ONU traite des violences notamment sexuelles dans le couple (UN Multi-country Cross-sectional Study on Men and Violence). Ce qui me semble intéressant c’est qu’elle n’a pas porté sur les victimes mais sur les agresseurs. Les résultats sont pour le moins alarmants : un homme sur quatre admet avoir commis au moins un viol.
De façon surprenante (ou pas tant que ça quand on y pense), la violence dans le cadre du couple (« intimate partner violence ») est la forme la plus courante de violence envers les femmes dans le monde. Supervisée par le docteur sud-africain Rachel Jewked, spécialiste de la santé publique, l’étude vise à estimer la prévalence de la violence entre partenaires, identifier les facteurs associés à la perpétration de différentes formes de violence et élaborer des stratégies de prévention. Pour cela, les chercheurs ont construit un échantillon représentatif de ménages et mené des enquêtes auprès d’hommes âgés de 18 à 49 ans, dans des zones urbaines et rurales, entre janvier 2011 et décembre 2012.
10 178 hommes du Bangladesh, Cambodge, Chine, Indonésie, Papouasie Nouvelle Guinée et Sri Lanka ont été interrogés en face à face, dans la langue locale et sous couvert d’anonymat. Les interviewers, tous des hommes et formés en psychologie ont soigneusement évité de prononcer le mot « viol » et le mot « femme » pour ne pas troubler l’interviewé : « Avez-vous déjà forcé quelqu’un à avoir des relations sexuelles ou la personne était-elle trop saoule ou droguée pour indiquer si elle y consentait ? ».
Just married!
Des études ont montré que 20% à 68% des femmes entre 15 et 49 ans ont subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part d’un partenaire masculin au cours de leur vie. Les études de populations existantes révèlent que la proportion de violence physique du partenaire dans le cadre du mariage va de 24% au Brésil à 42% en Afrique-du-Sud. Dans le Pacifique, 46% des hommes mariés au nord de l’Inde et plus de trois sur quatre au Bangladesh rapportent des faits de violence physique, sexuelle, ou les deux, envers leur femme sur les 12 derniers mois.
24% des hommes interrogés dans le cadre de cette études ont admis avoir, au moins une fois, forcé leur partenaire à avoir des relations sexuelles. 11% confient avoir violé une femme qui n’était pas leur partenaire. Et donc ? Donc violer sa femme, sa partenaire ou sa petite amie est plus répandu que violer une partenaire occasionnelle. Alors bien sûr, l’ONU souligne les disparités géographiques du « phénomène » : 13% au Bangladesh, 59% en Papouasie Nouvelle Guinée, pays qui a le plus haut taux de violence envers les femmes et les filles du monde. Mais globalement, deux hommes sur trois qui ont violé une partenaire occasionnelle ont aussi violé leur femme ou leur partenaire, seul ou à plusieurs.
Cela ne s’arrête pas là. 55% des hommes interrogés ont violé un être humain une fois, mais 16% ont violé plus de quatre femmes. La moitié des violeurs étaient adolescents au moment des faits. 4% ont violé en réunion. Trois hommes sur quatre n’ont pas eu à répondre de leurs actes devant un tribunal.
Bien ou bien ? Alors maintenant la question est : pourquoi ? Pourquoi les hommes violent-ils les femmes ? Dans 73% des cas, les hommes invoquent leur bon droit pour justifier leurs crimes. 27% blâment l’alcool ou la drogue, 38% prétendent qu’ils devaient infliger une punition, 60% voulaient juste s’amuser.
A history of violence
L’étude prend en compte les spécificités socioculturelles et les facteurs lies à la pauvreté, par exemple la dépression au Cambodge et au Bangladesh, où il y a aussi, de manière générale, des inégalités entre les sexes plus affirmées. Les analyses systématiques suggèrent que les facteurs associés à ces faits de violence sont le jeune âge, la faible éducation, l’exposition à des mauvais traitements (abus sexuels et émotionnels) dans l’enfance, l’acceptation de la violence, les disparités d’éducation entre les deux partenaires et les désaccords maritaux. La consommation d’alcool n’était un facteur significatif dans les sociétés à majorité musulmanes, au Bangladesh et en Indonésie.
Au Bangladesh et au Sri Lanka, presque toutes les violences au sein du couple ont lieu dans le cadre du mariage et la violence physique en soi est plus répandue que la violence seulement sexuelle. Au contraire, dans les ménages cambodgiens et indonésiens, la violence sexuelle en particulier est plus commune que la violence physique en général. Ces résultats suggèrent que les taux les plus élevés de violence sexuelle au sein du couple peuvent être liés à la prédominance culturelle de normes genrées qui confèrent aux hommes un contrôle sexuel absolu sur les femmes.
Pourtant, l’étude de l’ONU conclut que la violence sexuelle au sein du couple n’apparaît pas tant liée à des attitudes genrées inégalitaires, mais plutôt à la multiplication des partenaires et à la participation à des échanges économico-sexuels. Ainsi, la violence sexuelle irait de pair avec une préoccupation double : la démonstration de performance (hétéro)sexuelle et la domination sexuelle des femmes. Les enquêteurs suggèrent que la violence sexuelle serait associée à une pratique sexuelle sans attachement émotionnel, « juste pour s’amuser » donc. Cela n’est pas sans rappeler les normes de masculinité qui mettent l’accent sur la force et la domination, des femmes mais aussi des autres hommes, qui prévalent également dans les phénomènes de gangs et de luttes armées. La violence serait donc culturellement construite comme signe de masculinité ? Tiens, tiens.
Quand il n’est pas associée à la violence, genre coups de poings et tout ça, le viol au sein du couple est une question complexe. La réaction commune reste : « bah comment il a pu te violer ? vous êtes ensemble non ? ». Pourtant, il y a bien une différence entre le sexe et le viol, aussi en couple. Le sexe c’est quand les deux (ou plus) partenaires consentent à avoir des relations sexuelles, par exemple ils ont envie. Le viol c’est quand au moins un des partenaires ne veut pas avoir des relations sexuelles, par exemple il/elle dit « non ».
La différence faite dans l’étude entre violence physique et violence sexuelle n’est pas très claire pour moi. Dans mon livre, le viol c’est quand même entre le coup de couteau et le meurtre… Mettons cela sur le compte de la précision scientifique. Toujours est-il que la violence envers les femmes, et envers les gens, n’est jamais, peu importe la forme qu’elle prend, « pas grave ».
L’étude a été publiée le 10/09/2013 dans la revue The Lancet Global Health