JustASatelliteWoman

Satellite féministe matérialiste

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 mars 2025

JustASatelliteWoman

Satellite féministe matérialiste

Abonné·e de Mediapart

Ils détestent les femmes : de la misogynie dans le syndicalisme de jeunesse

Quelques réflexions à la volée sur la misogynie au sein de mon parcours militant.

JustASatelliteWoman

Satellite féministe matérialiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Si les violences sexuelles au sein des organisations de jeunesse (syndicats, mouvements ou organisation de jeunesse affiliées à un parti...) ont eu l'occasion de faire la Une de quelques médias lors de ces dix dernières années, elles ont rarement permis de permettre sur la table toute la misogynie en interne des structures grâce à laquelle elles ont pu s'enraciner.

Mise en compétition entre femmes, isolement, slutshaming, prédation, exclusion, représailles morales, invisibilisation jusqu'à la disparition de l'existence des femmes dans l'histoire des structures. Toutes les violences citées, je les retrouve dans les récits de mes camarades, même issues d'organisations différentes.

Evidemment, je les retrouve également dans le mien. Mes années d'engagement m'ont laissé une drôle d'amertume en bouche. J'étais partagée entre une grande euphorie d'avoir milité avec enthousiasme aux côtés de femmes devenues aujourd'hui pour beaucoup des amies et des camarades que j'estime énormément, mais aussi une grande rage que j'étais incapable d'adresser et qui dévorait mon ventre à chaque fois que je rencontrais de nouvelles militantes qui me confiaient leur propre parcours. Cette rage laissait une phrase en boucle dans la tête : "Encore ??". Encore de sales connards misogynes à la tête des organisations de jeunesse ? Encore des hommes qui détestent les femmes et tentent d'annihiler toutes celles susceptibles de renverser la donne ? Encore des hommes qui effaceront les bilans syndicaux, politiques, militants des femmes cadres passées avant, avec et après eux ? Mais quand est-ce que ça va s'arrêter ? Quand est-ce qu'ils vont cesser de nous haïr ?

Quand j'essaie de parler de mon engagement personnel dans les structures syndicales lycéennes ou étudiantes, j'essaie de faire bonne figure, sans être trop sûre de pourquoi. Il y a une idée communément admise que la politique est violente, alors pas besoin de s'étendre dessus, on préfère garder et souligner les bons souvenirs. Plusieurs fois, je me suis vue dire à quel point j'étais reconnaissante des rencontres, notamment des femmes, mes camarades, mes sœurs de lutte, que j'avais rencontrées par ce biais, et que je ne regrettais rien, que les sacrifices en valaient la chandelle. Vraiment ? Pourtant, me voilà presque 3 ans après avoir rendu ma dernière carte syndicale, toujours un peu amère de quelque chose. Un gros quelque chose, un constat qui m'ébranle dès que j'y pense, un constat qui est vif dès que je parle à d'anciennes (ou pas) syndicalistes étudiantes ou lycéennes. Avoir eu ces cartes, avoir eu ces mandats, ça nous a condamnées pour la plupart à subir une violence sans pareil de la part de nos camarades masculins, sans jamais pouvoir ni la nommer ni la poser politiquement à moins que cela soit pour être désignées comme victimes de violences sexuelles. Sans ce caractère sexuel spécifiquement identifié, notamment par son biais pénal, aux yeux des organisations si celles-ci sont violentes c'est parce que la politique l'est. Une camarade ne peut pas être victime de violence misogyne, ça n'existe pas, elle ne peut être que trop sensible ou prise dans des conflits interpersonnels. C'est juste qu'elle ne sait pas gérer. Les structures sont dans l'incapacité de les identifier, non pas par manque d'outillage, mais encore et toujours parce que les hommes s'organisent solidairement entre eux pour maintenir ce statut qui leur garantit leurs propres privilèges. Les hommes prétextent la violence de la politique pour l'exercer à l'encontre de leurs propres camarades.

  • La fabrique des petits princes

Les premiers mots que l'on m'a dit quand on m'a formée politiquement, c'est que ton organisation attire ce qu'elle renvoie. De la même manière, les hommes militants forment d'autres militants qui leur ressemblent. Ils forment des extensions d'eux même, qu'ils aient 24, 20, 18 ou 16 ans. Les "vieux" comme on les appelle, forment les nouveaux avec leur récit, leur transmission, cette transmission d'un syndicalisme d'hommes, où les femmes occupent une place subalterne. Soit parce que jamais mentionnées, soit parce que dénigrées. Combien de fois j'ai entendu des hommes dénigrer le bilan syndical d'une ancienne syndicaliste lycéenne qui affiche pourtant l'un des meilleurs dans l'histoire de cette organisation, tant d'un point de vue qualitatif que de mobilisation. Mais le savent-ils ? Non bien sûr, leurs "vieux" n'ont jamais pris le temps de l'expliquer, soit ils n'en ont jamais entendu parler soit ils répètent ce qu'on leur a toujours dit : les femmes n'ont pas un si bon bilan syndical que ça (ils sont toujours incapables d'en nommer le détail de toutes façons). 

Mais si les anciennes syndicalistes sont effacées des récits de transmission, si les hommes forment d'autres hommes, qui forment les femmes ? Qui transmet aux générations de jeunes militantes leur histoire à elles ? Leur héritage à elles ? Bien souvent : personne. On aime jeter une jeune secrétaire générale dans la gueule du loup, si elle échoue, c'est d'autant plus simple de l'enfoncer. Elle est envoyée au charbon, elle n'a aucun contact "d'anciennes", elle ne sait même pas que des femmes ont été cadres nationales avant elle, elle n'a même pas reçu de formation pour être secrétaire générale. Elle conserve un certain temps la sympathie de quelques hommes plus vieux qui encadrent les plus jeunes, jusqu'à ce qu'ils trouvent celui qui leur ressemble pour être leur poulain et délaisser la jeune militante qui au final, n'est qu'une femme. Ils ne peuvent pas se reconnaître en elle, ils ne veulent pas d'elle.

Les hommes restent entre eux, étudiants, lycéens, jeunes cadres politiques. Ils se transmettent entre eux les récits politiques, les contacts, les anecdotes, l'histoire de leurs organisations. Un mélange de formel et d'informel. Dans ce milieu c'est bien le risque, le brouillage permanent des sphères privées et politiques. Ils se retrouvent, magouillent, discutent, se forment, rient ensemble de ce qu'ils estiment être leurs victoires, fondé sur ce qu'ils appellent camaraderie mais qui n'est rien d'autre qu'une reconnaissance mutuelle de leur appartenance à la même classe : celle des hommes. 

A gauche, les hommes forment des hommes qui leur ressemblent et prennent en bonnes grâces des femmes qui ne diront rien et chez qui ils peuvent mettre en place un sentiment de loyauté et d'isolement. Gare aux représailles pour celles qui ne jouent plus le jeu ! Quand une femme de leur organisation remet en cause leur fonctionnement, elle est « ingrate », elle « se prend pour une reine » et ce n’était pas faute d’avoir entendu ces mots sortir de la bouche de cadres syndicaux qui évoquaient le cas d’une ancienne militante qui avait plié bagage :  « Ces meufs syndicalistes qu’on a formées et qui sont ingrates comme ça… ». Parce que oui, à leurs yeux, c’est une fleur qu’ils font aux femmes, que de les former syndicalement. Elles devraient être reconnaissantes, dire merci, être loyales à tout prix parce qu’elles ont été émancipées par ces cadres masculins sans lesquelles, elles seraient encore probablement dépolitisées, inactives, non-militantes ! Quelle injustice qu’en échange, celles-ci ne soient pas prêtes à se mettre à genoux devant le génie de leurs pairs masculins. Sans doute est-ce cela que ces hommes se disent quand ils avancent ces mots, sans doute pensent-ils réellement que les femmes de leur organisation leur doivent quelque chose.

  • La politique du gossip : une histoire de délégitimation des femmes

Quand on est politiquement isolée, en tant que femmes, ce qu'il reste ce sont des relations qui ne sont pas formellement politiques. Les femmes ne sont pas considérées comme suffisamment sérieuses pour en faire. Moi, d'autres avant moi, d'autres après moi, nous avons été nombreuses à nous faire reprocher de mêler constamment les relations interpersonnelles et politiques, d'avoir la langue trop pendue et de préférer les ragots à la vraie politique. 

Voyez-vous, les gossips et les potins, c'est quand des femmes parlent entre elles. Quand des hommes parlent entre eux autour d'une bière avec une cigarette, on appelle ça faire de la politique. Parce que les hommes discutent de choses sérieuses alors que les femmes, on se demande bien de quoi elles peuvent parler quand elles sont ensembles. Sûrement des garçons, des derniers couples du milieu militant, et d'autres trucs de femmes non identifiés. Alors que des hommes syndicalistes mineurs qui se retrouvent à faire des soirées alcoolisées avec des cadres politiques, ça c'est de la vraie politique ! 

Pourtant, ces gossips là, bien souvent, ils ont permis à des militantes d'avoir accès à la transmission d'informations nécessaires pour s'emparer correctement de leur militantisme. Si les cadres officiels, la transmission par les anciens, ne permettent pas aux jeunes militantes d'accéder au niveau d'information dont elles ont besoin pour militer correctement, alors d'autres voies se sont mises en place. Ces autres voies se camouflent par des cafés, des soirées faites, qui ont l'air d'être "entre copines", avec d'autres militantes, et au cours desquels elles s'échangent des récits sur leurs parcours, partagent les noms des militants ou individus à éviter, des alertes sur les comportements auxquels elles doivent être vigilantes et tissent un lien de sororité précieux pour survivre. 

Mais pour les hommes, ça ne va pas. Des femmes qui savent, qui savent identifier quand elles sont coincées, isolées, isolées, maltraitées, ce sont des femmes susceptibles de dire non, encore plus si elles ne sont pas seules. Alors on diffuse en interne des structures qu'elles ne sont pas fiables, qu'elles parlent trop, qu'elles aiment le drama et le gossip. On brandit la loyauté à l'organisation que les femmes trahiraient lorsqu'elles parlent en dehors de celle-ci.  La sacro-sainte organisation auxquelles les femmes devraient jurer loyauté alors qu'elles y subissent tant de maltraitances.

Ce n'est pas sans rappeler la citation d'Andrea Dworkin, dans son ouvrage Les femmes de droite : « Alors que les commérages entre femmes sont universellement ridiculisés comme étant bas et triviaux, les commérages entre hommes, surtout s'ils concernent les femmes, sont appelés théorie, idée ou fait. », à ça je rajouterai "ou politique".

  • Les femmes ne sont pas des camarades

"Ce qu'on m'a dit de toi, c'est que t'étais une bourgeoise qui couchait avec tout le monde". Ces mots, on me les avait déjà dits, enfin pas directement, mais je savais que c'était ce qu'il se disait sur moi. La fille d'ouvrier que j'étais se prenait un camion (n.d.l.r : mon père est chauffeur poids lourds) en pleine face en les réentendant quelques années après. Je savais que dans plusieurs cercles militants, on disait de moi que j'étais l'équivalent d'une salope. Je savais que d'autres femmes, aujourd'hui certaines encore mineures, s'étaient vues taxer du même qualificatif au sein des cercles militants de gauche, par leurs propres camarades, parfois même leurs propres responsables politiques. Le fameux mythe de la salope, le qualificatif humiliant suprême. J'avais envie de défendre mon bilan militant, de faire la liste des choses chouettes que je pensais avoir accomplies et pourtant, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Le monde militant est structuré par les récits des hommes et que sommes nous, nous les femmes, dans la bouche de ces hommes ? Des femmes ? Des salopes ? Des camarades ?

Le mot camarade, les hommes de gauche l'aiment beaucoup. Il est pratique parce qu’il est rassembleur, il aide à créer une communauté fictive dans laquelle nous sommes toutes et tous égaux, ni elle, ni lui, encore mieux : il est neutre. Alors on s'en drape, pour faire oublier que cette dimension de genre lacère nos organisations. Camarade par-ci, camarade par-là. Afin d'oublier que derrière ces huit lettres se cachent les regards, les discussions entre hommes sous la table, autour de bières. Derrière le mot camarade, il y a ces militantes qu'on baiserait bien. Celles aux gros seins, celles aux grosses fesses. Celles qui sont trop misandres et qui donnent encore plus envie de se les faire. Ces militantes dont on est responsable, qui sont des « petites meufs » mais qui sont, soyons honnêtes, d'abord des femmes avant d'être des camarades.

Parce que ça les excite de baiser la féministe, de baiser la militante, de lui rappeler dans sa chair, dans son lit, qu'avant d'être une camarade, elle est une femme que l'on baise, et qu'elle va aimer ça. Au-delà de la question des violences sexuelles, le corps des femmes est ce qui les ancre dans ce rapport sempiternellement inférieur à leurs camarades masculins. Le corps des femmes est perçu comme objet de désirs, comme territoire de conquête, comme terrain de rivalités politiques, comme terrain de discussions d’hommes entre eux. Baiser celle avec qui l'on n'est pas d'accord, avec celle avec qui on rivalise, c'est déjà gagner un bout du combat. Baiser celle que l’on admire, c’est lui retirer de sa puissance, c’est exorciser l’émancipée : elle a été pénétrée, elle n'est plus qu'une femme et les hommes ont gagné.

Et on en parlera, ce qu’on saura de la camarade, ce n’est ni ses accomplissements, ni ses réussites mais si elle suçait bien au lit. Ils en parleront grassement autour de leurs pintes, l’œil lubrique, leur féminisme rangé au fond de leurs poches. Le même féminisme qu’ils brandissent en congrès politique ou syndical, en se cachant derrière les « petites meufs » de leurs organisations. Ce féminisme qu’ils tourneront dans tous les sens pour justifier qu’ils ne sont pas « mascus » ou « virilistes », le même dont ils ont appris à maîtriser les éléments de langage. Face aux tribunes, aux micros, aux reproches, aux conseils nationaux, à la presse, aux camarades, ils expliqueront l’importance du féminisme, la lutte contre le patriarcat, contre les violences auxquelles sont exposées les femmes. Puis arrive le soir, les temps conviviaux, à mi-chemin entre le temps formel et informel, suffisamment pour faire apparaître la porosité entre les limites du personnel et du politique et délier les langues. Ils vont se lâcher, les digues sautent et c’est une déferlante de misogynie : des primo-militants sauront déjà tout du tour de poitrine d’une militante qu’ils n’ont encore jamais rencontrée avant même de savoir d’où elle vient. Ils découvriront comment leurs responsables syndicaux auraient déjà « bien baisé » une de leurs amies. Ils découvriront que leur problème, c’est qu’ils ne trainent qu’avec des femmes « misandres » et que c’est pour ça qu’ils n’arrivent pas à coucher avec, selon ces mêmes responsables syndicaux. Entre eux, ils parleront des femmes comme des « putes » ou des « nymphos ». Les mêmes qui, quelques heures avant, s’affichaient comme grands féministes. Ils commenteront le corps des militantes comme des animaux, ils feront des paris pour savoir avec quel militant, l’une des filles va coucher et si elle a le malheur de le faire, elle devra payer sa tournée au perdant pour se faire pardonner d’avoir été une allumeuse.

Alors, ils se justifieront, qu’est-ce qu’elles font chier ces féministes, on ne peut plus rien dire entre nous, c’est un jeu, c’est pour rire, comprenez-les, c’est de l’humour un peu beauf mais ça va quoi. Puis de toute façon, les féministes n’ont pas d’humour, c’est bien connu ! Ce n’est pas ce qu’ils voulaient dire, les femmes elles prennent ça trop à cœur puis vous savez comment sont les hommes entre eux ! Ils nient, n’envisagent même pas l’idée que ces « blagues », ces « remarques » qui se veulent inoffensives (et je ne le pense pas) créent un cadre de violence symbolique à l’égard des femmes et de la part d’hommes qu’elles sont censées percevoir comme des camarades de confiance. Les blagues misogynes créent un espace où les femmes se retrouvent de nouveau exposées à de la violence sans que cela ne fasse disparaître les conséquences sur les femmes qui y sont exposées. Laissez-moi reprendre ma Bible personnelle, Andrea Dworkin, dans le chapitre intitulé « Antiféminisme » de son ouvrage Les femmes de droite : « Chaque expression de mépris contre la dyke, la prude, la salope est une expression de haine contre toutes les femmes. Que ces insultes soient socialement acceptées, tolérées ou encouragées, qu'elles soient la substance même de l'humour ou qu'on y acquiesce sans rien dire, la dévalorisation des femmes s'accentuent, leur intimidation s'aggrave. »

Aussi, l’argument, ou plutôt, l’excuse de l’entre-soi masculin utilisé pour justifier la misogynie la plus crasse dans des temps pseudo-informels, est intéressante. Parce qu’en mon sens, cet entre-soi masculin est précisément le moment où l’on devrait prêter la plus grande attention aux comportements et propos des hommes. Cet entre-soi devrait être la mesure de la formation des hommes en la matière, pourtant, aujourd’hui il en est l’excuse. Un terrain « pseudo » neutre dans lequel l’humour abolirait la misogynie des propos, leurs conséquences, l’humour et l’entre-soi feraient théoriquement disparaître le politique. Mais la conclusion à tirer de cette disparition théorique de la politique, c’est que sans politique, il n’y a plus de camarades. Ne restent que des corps, donc des femmes et par extension : surtout pas des hommes, pas eux, pas leurs semblables. La réalité nous rattrape vite : ils n’ont jamais eu, et n’auront jamais, de camaradEs. 

  • Diviser les femmes pour mieux régner en misogynes :

La rhétorique vieille comme le monde et si bien rodée de diviser pour mieux régner.

Les cadres syndicaux masculins savent mieux que personne qu'isoler les femmes, les diviser, s'assurer de la loyauté de certaines d'entre elles, est le meilleur moyen de mettre un frein à toute solidarité de classe entre elles. Tous les prétextes sont bons pour diviser : la jalousie, la compétition, la menace sur le poste, le statut... Certaines font alors le choix de renier leurs sœurs pour se placer dans les bonnes grâces des hommes syndicalistes. Cette mécanique me fait souvent penser aux femmes de droite dont parle Andrea Dworkin. Ce pari fait par ces femmes qu'en se rangeant dans l'ordre établi, elles seront épargnées de la violence extérieure. Pari nécessairement perdant puisque la violence se retrouve au sein même de l'ordre établi et que trahir le reste des femmes ne change rien à leur propre condition : elles sont et restent des femmes, aux yeux d'hommes misogynes, dans un système et une organisation qui ne pourra jamais permettre leur pleine émancipation.

Ces militantes qui sont prêtes à trahir d'autres militantes pour garantir la sécurité de leur statut, facile de leur jeter la pierre, mais sans les excuser de ces comportements, une contextualisation s’impose : être une femme dans le militantisme, c’est avoir une posture toujours précaire, toujours remise en question, c’est ne jamais avoir la certitude que l’on doit cette place à nous-même mais à un homme qui, nous échangera contre une militante plus jolie, plus compétente, mieux formée sur d’autres sujets. Être une femme cadre, c’est jouer selon les règles d’un jeu dessiné par et pour les hommes, avec des codes calqués sur la virilité, la violence masculine, alors pour survivre et espérer ne pas être la prochaine victime, on reproduit ces violences, ces schémas, en espérant que cela sécurise notre place au sein de l’appareil. C’est un jeu dont on ne sort jamais gagnante, la réalité douloureuse dont on prend conscience toujours trop tard, c'est qu'en dépit de tous les sacrifices pour être "one of the boys" finalement, ces hommes se rappelleront toujours que nous ne sommes que des femmes et par extension, que nous ne sommes pas des leurs. Nous ne sommes que des femmes, mais des femmes seules, incapables d'avoir des alliées parce que nous nous sommes rendues peu dignes de confiance. Des femmes seules parce qu'aliénées et convaincues que toutes les autres sont des rivales, que toutes les autres peuvent nous nuire. Les femmes ne sont jamais aussi seules que lorsque les seuls "alliés" qu'elles identifient autour d'elles sont des hommes. 

La compétition entre femme pour le regard et l’approbation, la validation de la part des cadres masculins, nous sommes nombreuses à l'avoir vécue. Un regard qui, finalement, ne vaut rien. Un de mes plus beau sentiment de joie féministe fut à la suite d’une formation, mes camarades femmes sont venues me voir en me demandant de leur envoyer ma formation féministe pour qu’elles la refassent dans leurs syndicats locaux, parce que les mecs de leurs syndicats « avaient eu un peu peur ». Ce jour-là, nous nous étions toutes regardées, complices, moqueuses et pour la première fois, nous avons eu un sentiment de victoire. C’est une bataille perpétuelle pour que les femmes restent en lien entre elles, unies, solidaires, sorores, nous manquons cruellement de lieux de construction de solidarité féminine car ce n'est pas une solidarité qui va autant de soi qu'on le pense. Et ça peut paraître étonnant dans la mesure où les femmes de gauche encrent leur discours féministe dans la notion de sororité, avec des slogans comme « je te crois, je te soutiens... ».

C’est un milieu où la compétition règne, y compris entre femmes, et c’est sciemment construit pour. Compétition à la radicalité, la performativité, à la compétence, lorsque l’on se bat contre vents et marrées pour gagner sa place, son auditoire, un maigre levier d’action, alors il n’est pas rare de voir les autres femmes comme une menace à ce petit espace gagné en politique. Bien sûr que l’on répète que la victoire d’une femme, c’est une victoire pour toutes et que les autres femmes qui gagnent de l’espace ne compromettent pas l’espace gagné par les précédentes mais cela n’empêche pas des femmes de se sentir menacée dans un environnement politiquement violent à leur égard.

Dans le monde politique, les femmes se battent entre elles, sur un échiquier fait par et pour les hommes. Quand elles réussissent, elles se sentent « choisies », elles ont réussi elles, elles ont survécu à la violence, elles sont prêtes à tout pour garder cette place pour laquelle elles ont souffert. Pire encore, il faut savoir jouer avec les mêmes codes que les hommes et faire corps avec eux. Souvent, c’est ce qu’il se passe dans les directions syndicales : les femmes font corps avec les autres membres de la direction, elles suivent la ligne, les mêmes méthodes, protègent l’organisation à tout prix, y compris si cela revient à écraser des militantes au passage. Elles le font dans l’espoir que leur place sera protégée, qu’elles échapperont à la violence du milieu. Non seulement elles ont tort, mais en dépit de tous les sacrifices qu’elles seront prêtes à faire, leur place ne cessera jamais d’être précaire et elles ne cesseront jamais d’être seules, isolées, pensant faire corps avec des camarades masculins pour lesquels elles ne restent que des femmes quoi qu’il arrive. Les hommes ont gagné, les femmes écrasent les femmes pour espérer une solidarité de leurs pairs masculins qu'elles n'auront jamais, elles seront seules et isolées comme prévu.

  • L'hécatombe des femmes 

Un des gros ratés en matière de féminisme au sein des structures de gauche, c'est de ne pas avoir analysé l'intérêt de cette misogynie et des violences sexistes et sexuelles. Elles sont souvent présentées comme une conséquence malheureuse, inévitable du patriarcat, comme un objet isolé "au bout de la chaîne". Elles ne sont jamais regardées comme servant un but précis, comme ayant une utilité sociale spécifique, dans un contexte patriarcal.

Pourtant, moi je la vois bien l'utilité de cette violence. Je la vois au nombre de camarades que j'ai vues partir par la petite porte en ne voulant plus jamais militer. Je la vois en n'ayant pas assez de doigts sur mes mains pour compter le nombre de femmes qui ont voulu s'engager et que les hommes ont broyées en s'assurant qu'elles ne reviendraient plus. Je la vois dans toutes ces militantes brillantes qu'on a privé du droit de militer. 

Les violences sexistes et sexuelles, cette misogynie étouffante, ont pour conséquence directe et générale l'exclusion des femmes des espaces. Par exemple, le harcèlement sexuel dans la rue fait que toutes les femmes modifient leur occupation de cet espace (on ne sort pas seule passé une certaine heure, on est vigilante à la tenue qu'on porte en fonction du lieu et de l'heure à laquelle on va s'y rendre, etc...), cela peut aller jusqu'au renoncement d'occupation de certains espaces en raison du calcul de risques fait en amont. Au sein des milieux comme le monde associatif, le monde militant, les violences sexuelles ont la même fonction : faire en sorte que les femmes ne prennent pas trop de place sinon la place que les hommes leur laissent, et qu'elles retournent d'où elles viennent : chez elles. Les violences sexistes et sexuelles sont les outils les plus efficaces utilisés par les hommes pour silencier et écarter les femmes des espaces politiques où elles sont susceptibles de venir challenger les règles et l'ordre établi.

Les violences sexistes et sexuelles sont le moyen le plus efficace pour que les femmes sortent des organisations syndicales et politiques et cessent de militer. 

Écrire ces lignes, sans aucune prétention, c'est reprendre une bouffée d'air en remontant à la surface. C'est écrire sur mes propres plaies qui resteront ouvertes un certain temps, c'est écrire pour conjurer les heures, les longues heures de discussion avec des dizaines de femmes militantes, de toutes les organisations syndicales que j'ai pu côtoyer. C'est écrire pour ne pas oublier que cette violence là nous a profondément changées. Que nous aurions aimé faire sororité autrement que dans la souffrance. Que nous aurions aimé militer sans nous trouver autant sacrifiables pour le reste de nos camarades. C'est écrire pour ne pas oublier et dire aux hommes avec lesquels nous avons milité : nous savons qui vous êtes, ce que vous pensez, on ne vous le pardonnera pas. Il n'y a pas de monstres, que des hommes, qui sont militants, syndicalistes, cadres nationaux, cadres locaux, des noms que nous nous répétons autour de cafés, au travers des fameux "gossips".

Ces lignes c'est un mini-café, un mini-gossip, adressé à toutes les femmes militantes susceptibles de le lire, toutes celles qui ont été appelées "salopes", "bavardes", celles qui sont parties en claquant la porte, celles qui s'accrochent, celles qui ne veulent plus en entendre parler, c'est un moyen de dire que nous sommes quelque part, toutes sœurs dans la lutte.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.