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Billet de blog 12 juin 2025

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Cults nigérians : récit d'une enquête criminelle

En 2017, le témoignage d'une réfugiée, Odion, révèle l’existence des Cults nigérians, un réseau criminel adepte de la sorcellerie alors peu connu en Europe. D'organisations mystérieuses à menace internationale, récit d'une enquête au croisement du crime, de l’occulte et des migrations.

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Le 6 février 2017, Odion, une Nigériane de 30 ans, dénonce son proxénète, un certain « Mister Tony » à la police marseillaise. Son témoignage est terrifiant : brûlures, viols, agressions sexuelles, tortures ; la liste des supplices ne finit pas de s'allonger. C'est au détour d'une phrase lors de sa déposition que la jeune femme va intriguer les enquêteurs en évoquant une mystérieuse organisation qui ferait usage de la torture et de la sorcellerie : les cults nigérians. De l'ombre à la lumière, retour sur une investigation au carrefour de l'occulte, des routes migratoires et du crime organisé.

Des organisations passées sous les radars

Arrivés dans les années 2000 en Europe, les Cults sont des acteurs encore jeunes du crime organisé. Mais que s'est-il passé jusqu'en 2017 pour que leur présence passe presque inaperçue ? Venus d'Italie, des éclaireurs s'étaient chargés dans un premier temps de trouver les récits les plus convaincants pour obtenir le récépissé de demandeur d'asile, seul moyen de rester sur le territoire français. Leur stratagème favori : se présenter comme réfugié homosexuel persécuté par Boko Haram.

Par la suite, les premiers cultists s'implantent à Marseille dans les années 2010. Là-bas, ils s'intègrent avec une rapidité fulgurante aux réseaux criminels locaux et s'imposent peu à peu comme un nouvel acteur du trafic de drogue et d'êtres humains. Aux yeux de la police marseillaise, les Cults se dévoilent à travers une série de faits divers de plus en plus sordides : marques de machette dans des squats, rixes sanglantes devant les associations d'aide aux demandeurs d'asile dans les quartiers nord... Le mystère finit enfin par s'éclaircir lorsque l'on découvre que tous ces événements semblent liés à un groupe : la diaspora nigériane.

Le silence, sorcellerie et mensonges, les armes dissimulées des Cults

Ces violences permettent de lancer de premiers interrogatoires, mais les enquêteurs butent sur un mutisme redoutable. Le premier obstacle est la barrière de la langue, le Nigéria compte plus de 520 langues différentes (parlées à des degrés divers). Trouver des interprètes devient alors un défi majeur — d’autant plus ardu que certains membres des Cults utilisent des dialectes volontairement inventés pour dérouter la police française.

La peur reste l'arme la plus redoutable des Cults pour s'assurer le silence de leurs victimes. Parler, c'est d'abord s'exposer à de violentes représailles mais aussi à la sorcellerie. Qu'il prenne la forme de rites d'intégration pour les hommes ou de cérémonies au temple Ayelala pour les femmes : l'occulte est fondamental pour comprendre les liens de dépendance que les Cults tissent auprès de leurs victimes. Pour forcer les candidates à la migration à leur rester fidèles : les « Madames », des proxénètes, obligent oar exemple les jeunes filles à faire le serment de rembourser le prix du voyage - souvent de 25 à 70 000 euros - sous le regard de la divinité. Ces Madames font appel à des sorciers qui confectionnent des « juju » des petits objets faits de poils pubiens, de cheveux, de tissus et de bouts d'ongle pour s'assurer du respect du serment. Sous les regards de leurs bourreaux ou ceux de leurs divinités, les victimes nigérianes sont donc contraintes au silence.

Sur le terrain, la traque des premiers cultists identifiés est compliquée du fait de l'usage de faux noms et à cause du changement régulier de cartes SIM qui compliquent la mise sur écoute et l'infiltration . Grâce au courage d'Odion qui a permis à des victimes de parler à leur tour aux services sociaux, le brouillard qui entourait les Cults se dissipe définitivement pour faire apparaître un réseau criminel agissant bien au-delà de l'espace marseillais.

Un témoignage révélateur du fonctionnement des Cults

Pour agir avec plus d'efficacité dans ses investigations, la France collabore avec la police italienne, confrontée aux Cults sur son territoire depuis plus longtemps. Le voile se lève alors un peu plus sur le phénomène. Spécialisés dans les trafics d'êtres humains et de drogue, les Cults étaient à l'origine des fraternités étudiantes nées sur les campus de Bénin City qui se sont radicalisées. Ces groupes qui se font appeler Black Axes, Eiye, Juristes ou Vikings se structurent de la même manière. Le cœur de leur organisation se situe dans l'état d'Edo au Nigéria mais leur réseau se diffuse sur toute la planète, les faisant travailler aussi bien avec les yakuzas au Japon qu'avec les cartels mexicains. Leur activité se concentre néanmoins sur un espace : les routes migratoires sub-sahariennes vers l'Europe.

En retraçant le parcours des victimes, on comprend que ces criminels asservissent dès le départ, les candidats à la migration. Les hommes servent de mules pour la drogue et les femmes, à alimenter les réseaux de prostitution. Experts en passage clandestin, les Cults orchestrent leur voyage vers l'Europe dans des conditions abominables. Après la traversée des 1 200 km du Sahara, jonché des cadavres de candidats malheureux, les migrants sont mis en esclavage une fois la frontière libyenne passée, dans la ville de Sebha. Si la chance leur sourit, une embarcation de fortune leur permet de traverser la Méditerranée. Le long de ce voyage infernal, chaque étape est contrôlée par les Cults jusqu'à l'arrivée en France, formant ainsi un réseau extrêmement dense sur les routes migratoires. 

Aujourd'hui, les Cults, mieux connus, sont combattus par les ONG, les services sociaux d'accueil de réfugiés et les cours de justice du monde entier. Au Nigéria, la corruption que les leaders cultists exercent sur le pouvoir en place ralentit toutes actions de l’État. En France, ils sont traqués jusqu'à Lyon et les victimes, à l'image d'Odion, peuvent désormais être placées sous protection. Le 7 octobre 2022, la condamnation de « Mister Tony » que l'on doit au courage d'Odion est l'une des premières actions judiciaires menée contre le système cultist.

Pour aller plus loin : 

LEBUR Célia Lebur et TILOUINE Joan , Mafia Africa, Flammarion, Paris, 2023 

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