« As-tu déjà fait une mammo ? Une mammographie ? As-tu l'idée
que l'on te compresse les seins, la machine commandée par
l'assistante jusqu'à l'arrêt et la photographie. Le cliché. Puis tu
attends dans un petit coin, à demi vêtue, disponible pour l'écho
graphie si le médecin la veut, c'est-à-dire que tu ne remets pas ton
soutif ni ton haut. Tu attends. Sagement. Patiente. Ta vie se joue.
Depuis la prise du rendez-vous jusqu'à ce petit coin. C'est pour ton
bien, tu as la chance d'avoir cet examen tous les deux ans. Et c'est
vrai. Tu peux te sauver la vie. Comme lorsque la sage-femme ou le
radiologue te demande si tu te palpes régulièrement. Tu te
palpes ? Oui, mais à reculons ? Du bout des doigts ? Le cœur serré ?
En vitesse, puis tu y reviens sous la douche. Les granulosités se
dérobent. Bon signe. Chaque mois, quand tu y penses. Quand tu ne
veux pas oublier. Comme Elsa qui est passée par là, la douche,
l'autopalpation, la découverte de cette boule et la suite. Elle s'en
est bien sortie. Elle a bien fait de se tripoter même si je crois que le
déni l'a, un temps, éloignée de la réalité : la roulette russe qui
s'engage, consultations et opération puis traitement et la vie. Es-tu
déjà allée au dernier local à la mode, je veux dire, au dernier centre
de dépistage ouvert depuis un mois ? Beautycelli, Vénus à demi
nue entre deux courants d'air. La transparence d'un hall de gare,
une borne, tu t'enregistres, un ordinateur lit ta carte vitale. Un
ticket puis un numéro, une voix métallique de femme appelle. Tu
attends le prochain train en regardant l'écran de la salle – il y en a
deux – et le départ vers ton futur. Il fait froid. Les vitres donnent
sur le parking et te reflètent attendant. L'écran, les vitres, le ticket,
le numéro. L'accueil glacial, sans limite entre l'extérieur et
l'intérieur, entre le parking et toi, garée sur le siège. Décloisonnée,
tu es seule livrée au froid. Repense au film Abre los ojos, à la fin
flippante dans un environnement médicalisé futuriste et frissonne.
Ouvre les yeux, tu y es. Et tu deviens, si tu ne dis rien, complice de
l’irréalité. Et tu ne dis rien. Jusqu’à l’appel de la dame en blouse
blanche. Aujourd'hui, si tu veux être accompagnée pour
l'endométriose, tu peux faire appel à une start up. Il n'y a plus
assez de médecins disponibles alors la mutuelle finance une
société privée pour accompagner les femmes. Sans les soigner bien
entendu. Ce sont des financières qui spéculent sur des maladies
avec quelques cautions médicales mais ce ne sont pas des
médecins. Arrête de rêver. »
Kaat