UN PAYS DE MIRACULÉS
Le Rwanda est un pays qu’on reçoit comme un coup de poing dans la gueule.
On s’envole la première fois pour Kigali, la tête remplie des images anciennes, des cadavres qui jonchent les routes, des colonnes de réfugiés fuyant vers le Congo, l’Ouganda ou le Burundi, des églises débordant de corps en lambeaux, et des armées de miliciens, ivres, dansant avec leurs machettes dégoulinant de sang.
Aux yeux de beaucoup, aujourd’hui encore, le Rwanda signifie la mort, comme Tahiti respire « la joie de vivre ».
Quand on débarque à Kigali, on découvre, avec stupéfaction, un pays aux antipodes de l’image qu’on en donne.
Il suffit d’un simple tour dans la capitale pour effacer ce sombre tableau gravé dans nos têtes depuis quatre décennies.
Il règne même une étrange atmosphère de paix et de douceur sur ces collines ondoyantes, recouvertes de maisons en briques de terre ocres et rouges et aux champs criblés de flamboyants et de jacarandas.
Le long des routes, des femmes balaient, inlassablement, les trottoirs et ramassent chaque feuille qui tombe des eucalyptus et des acacias.
L’étranger, généralement un muzungu, c’est-à-dire un « blanc », n’en croit pas ses yeux : Merde, il est passé où le bordel africain ? Où sont les nuées d’enfants accrochés comme des morpions aux jambes du touriste à Dakar ou à Yaoundé ? Où sont passées les ordures, cet ADN de l’Afrique, et qui montent jusqu’au ciel du Caire à Kinshasa et de Casa à Brazza ? Où sont passés les klaxons, les pétarades des motos, les cris des marchands de breloque et les cohortes d’éclopés qui tendent la main à chaque coin de rue.
En un mot : Où est passée l’Afrique ?
Le muzungu tombe des nues quand il découvre ce pays qui semble sortir tout droit d’un pressing.
Il faut dire que le Rwanda passe sa vie à laver à grande eau ses cauchemars, ses fantômes, ses morts et ses oublis.
Le coup de génie de Kagamé c’est d’avoir transformé, d’une main de fer certes, un charnier en un jardin.
Un jardin qui pousse à vue d’œil, le taux de croissance est hallucinant, au milieu d’une pétaudière de pays qui tombent en ruine.
Ce pays qui tient dans un dé à coudre, charcuté par le découpage sadique colonial, est un miracle peuplé de femmes et d’hommes, tous miraculés.
Il renaît, de jour en jour, de ses décombres, de ses cadavres et du néant qu’il a tant de fois frisé.
En arpentant les rues de Kigali, je ne cesse, honteusement, de penser à ces pays arabes du Maghreb, plongés dans la merde jusqu’au cou, à l’instar de la Tunisie, qui chassent à coups de fusil les réfugiés africains, les accusant de venir salir « leur terre » et pervertir leur « belle religion ».
LE RWANDA DANS LA CORBEILLE DE L’ALLEMAGNE
Le drame du Rwanda ne remonte pas au Génocide de 1994, il vient de plus loin.
En 1885, la Conférence de Berlin décide du « partage du gâteau africain », pour employer la formule de mon cher Léopold II, et offre, c’est le mot, le Rwanda à l'Empire allemand.
À l’époque, les Européens s’offraient, les uns aux autres, des pays africains comme on offre aujourd’hui à des amis des fleurs, une bouteille de vin ou des macarons.
À leur arrivée, les colonisateurs allemands sont impressionnés par l’organisation de ce pays érigé en État Monarchique depuis le 14e siècle et doté d’une puissante administration.
Le royaume tire ses ressources de l’agriculture et de l’élevage qui font l’objet de règles et de codes précis, tant pour les troupeaux que pour les terres.
Deux communautés, et non pas ethnies, (ce mot n’existe pas dans la langue nationale, le Kinyarwanda) se partagent ces deux secteurs d’activité.
Les Tutsis ont à charge l’élevage et les Hutus l’agriculture,
Il s’agit en fait d’une simple division du travail, nullement d’une différence ethnique. Un Hutu pouvait devenir Tutsi en passant à l’élevage et vice versa.
Après la défaite de l’Allemagne, le Rwanda tombe dans l’escarcelle de la Belgique. Et là, l’histoire se complique.
Avant l’arrivée des Européens, les Rwandais partageaient une foi commune en un Créateur unique, Imana, le Dieu des collines heureuses.
Mais aux yeux des européens un dieu nègre, même unique, ça ne vaut pas un clou.
Les Belges commencent par lâcher sur le royaume des meutes de missionnaires, de prêtres, de pères blancs et de sœurs blanches françaises, enfantés par Mgr Lavigerie, l’archevêque-colon qui rêvait de rendre l’Algérie à la chrétienté.
Tous se jettent sur ces pauvres nègres ignorants du Christ Roi et les évangélisent en trois coups de cuillère à pot et au lance flammes, comme ils l’ont fait au Congo.
Les Belges vont réaliser le grand rêve de Victor Hugo :
« Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde. Allez, Peuples ! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. [1]»
C’est ainsi que l’Afrique a été offerte par l’Europe au Dieu des Muzungus.
Cette évangélisation, au pas de charge, pose la pierre angulaire du Génocide.
Hormis l’esclavage et la colonisation qui l’ont saccagée et pillée, l’Afrique a souffert et souffre de deux grandes catastrophes qui sont aujourd’hui à l’origine de ses malheurs et ont jeté au feu sa mémoire et son âme païenne :
Le Christianisme qui, en vouant les Africains à l’amour du Christ Roi, les condamne, à jamais, à l’adoration de l’homme blanc.
Enfin, l’Islam, religion mortifère et homicide, qui ravage aujourd’hui le continent et contraint 500 millions d’Africain à prier Dieu dans une langue étrangère, l’arabe classique, dont ils ne comprennent pas un seul mot. (L’Islam exige que toutes les prières soient faites en arabe, que l’on soit Chinois, Mandingue, ou Inuit).
Revenons au Rwanda. Subjugués par la discipline et par l’ordre que faisait régner à l’époque la minorité Tutsi détentrice, pour des raisons économiques, des clés du pouvoir, les Belges ont du mal à croire que ces hommes « beaux, aux traits fins, élancés, efficaces » aient un quelconque lien de parenté avec les « pauvres » Hutus, « grossiers, ignorants et négroïdes ».
Le fond de la pensée du colonisateur c’est qu’ils trouve les Tutsis trop beaux pour être des nègres.
Comme l’exige la tradition, le colonisateur fait alors appel à une armée d’ethnologues de l’Église pour apposer le sceau scientifique et religieux sur son pressentiment.
En effet, après des fouilles dans la généalogie des Tutsis, les « ethnologues » décrètent scientifiquement que les Hutus sont d’origine bantoue et les Tutsis, d’origine éthiopienne.
Peu importe si les deux communautés parlent la même langue, le Kinyarwanda, qui est bantoue, donc originaire d’Afrique centrale.
Les Belges inscrivent, tambour battant, cette découverte dans les programmes scolaires.
C’est ainsi que le frère de sang, va devenir, aux yeux de la majorité, un étranger, pire, un envahisseur venu de loin, c’est-à-dire d’Éthiopie, distante de 1500 kilomètres !
LE MYTHE DU BEAU TUTSI ET DU KABYLE BLOND AUX YEUX BLEUX
La colonisation française a fait de même pour faire voler en éclat la société algérienne en inventant le mythe du « Kabyle, blond aux yeux bleus qui porte le signe de la croix » :
« Ce mythe, entretenu par l’alliance objective de l’État français et de l’Église catholique romaine incarnée en Algérie par l’évêque d’Alger, le très célèbre Monseigneur Lavigerie, disait en substance que les Kabyles sont les descendants des chrétiens maghrébins d’avant la conquête arabe, et qu’ils ne possèdent qu’un mince vernis d’islam qu’il suffit de gratter pour retrouver le christianisme originel. Il existe des Kabyles blonds aux yeux bleus, et certaines femmes ont une croix tatouée sur le front, ce qui prouve, d’après le mythe colonial, qu’ils ne sont pas des Arabes, mais qu’ils descendent des Romains, des Vandales et des Byzantins ayant tour à tour envahi la Kabylie. » (Jean-Louis Prunier).
L’armée français et l’Église vont sortir du chapeau une « race Kabyle », faite d’ingénieux paysans, industrieux et enracinés dans la terre, contrairement à la « race Arabe », bédouins ingérables et paresseux, hostiles au commerce et à l’agriculture.
Le but de cette distinction raciale a été formulé clairement par le docteur Eugène Bodichon dès les premières années de la Colonisation : « La France doit développer cet instinct antipathique entre Arabes et Kabyles et mettre à sa convenance les deux races aux prises l’une contre l’autre ».
GÉNÉALOGIE DE LA HAINE
Les Belges vont pousser le bouchon plus loin que les Français.
En 1932, ils établissent une carte d’identité pour l’ensemble des rwandais. Ils entreprennent de graver dans le marbre, cette fameuse différence raciale entre les deux communautés.
Ils décrètent, on ne sait par quel calcul ni par quelle logique, qu’est Tutsi toute personne qui possède plus de dix vaches et Hutu, toute personne qui possède moins de dix vaches ! L’identité, le clan, le village de chacun sont désormais inscrits sur sa carte d’identité.
C’est-à-dire que si un Hutu possédant huit vaches, en achète deux, en allant à la mairie, il devient Tutsi. Mais si un Tutsi, égare deux ou trois vaches sur le chemin, il deviendra Hutu.
Ce qui nous apparaît aujourd’hui comme une sinistre farce coloniale va coûter la vie à des milliers de personnes des années plus tard et précipiter le Rwanda dans l’abime.
La mèche du Génocide a été allumée à ce moment là, par les Belges.
L’église romaine fera le reste. Durant des décennies, sentant le vent tourner en leur faveur, elle enseigne aux Hutus, majoritaires, qu’il leur faut se libérer du joug des Tutsis, appelés, Ibimanuka, c’est-à-dire « Tombés du ciel ».
Dans les paroisses, on enseigne plus l’amour de Christ, mais la haine de « l’autre », qui n’en a jamais été un. On apprend aux fidèles Hutus qu’ils sont les « Sans-culottes » et que les Tutsis sont les « Versaillais ».
De son côté, l’administration belge excédée par les revendications d’indépendance des Tutsis, incite les hutus à brûler leurs cases. Elle invente pour cette pratique barbare, inconnue alors, un doux euphémisme : on ne dit pas « foutre le feu », mais « travailler ».
C’est ainsi que des années plus tard, les génocidaires ne diront pas qu’ils tuent leurs frères mais qu’ils vont simplement au taf.
UNE INDÉPENDANCE DANS LE SANG
Les Hutus créent leur propre parti politique en 1959 et lancent la « Révolution rwandaise » qui exige la fin des privilèges détenus par la minorité tutsie. Des émeutes éclatent à travers tout le pays, Les Tutsis sont poursuivis, massacrés, leurs terres et leur bétail confisqués, et leurs maisons brûlées. 360 000 d’entre eux fuient le pays et trouvent refuge dans les pays voisins : Le Burundi, le Congo, la Tanzanie et l’Ouganda.
Le quotidien Le Monde du 4 février 1964 écrit, : « L'extermination des Tutsi, les massacres du Ruanda sont la manifestation d'une haine raciale soigneusement entretenue ». C’était trente ans avant le Génocide.
Ébranlée par les émeutes et brisée auparavant par le colonisateur, la Monarchie rwandaise tombe en 1961, le dernier Roi prend la fuite. Les Belges organisent dans la foulée des élections qui donnent une majorité absolue aux Hutus dans toutes les communes.
L’indépendance du Rwanda est déclarée par l’ONU le 1 er juillet 1962, soit quatre jours avant celle de l’Algérie.
Un président hutu est élu à la tête du pays, Grégoire Kayibanda, un ancien séminariste.
Au niveau international, on salue le triomphe de la majorité opprimée sur la minorité dominante. Ce n’est que justice !
Dans les églises les prêtres chantent : « Les petits ont relevé la tête, ils sont maîtres chez eux ».
La bière coule à flots à Kigali et le sang va suivre.
En Afrique les indépendances commencent toujours par une fête et se terminent inéluctablement par des farces ou des tragédies.
Les réfugiés Tutsis lancent depuis les pays où ils se sont réfugiés des attaques contre le nouveau régime. La réponse du gouvernement hutu ne se fait pas attendre. En 1963, il fait massacrer 10 000 tutsis. Les maquisards qui mènent la lutte depuis les frontières sont baptisés par le régime les « Inyenzis », « les cafards », terme qui sera repris plus tard par la tristement célèbre Radio des mille Collines.
Sous le régime de Kayibinda on trouve affiché sur les portes des écoles, des hôpitaux, des banques et des entreprises des écriteaux qui annoncent : « Les Batutsis, dont les noms suivent sont priés de ne plus mettre les pieds dans ces lieux, à partir de ce jour ».
IL N’Y A PLUS DE PLACE AU RWANDA
Plus de 250 000 tutsis se retrouvent parqués dans des camps de réfugiés dans les pays voisins. Mais, beaucoup vont trouver refuge en France, en Belgique, en Allemagne, aux États Unis et en Angleterre où ils font de brillantes études. Des officiers, réfugiés en Ouganda, sont formés dans les meilleures académies militaires américaines. Les membres de cette diaspora dynamique sont anglophones pour la plupart d’entre eux. Ce qui aux yeux de l’Élysée sera considéré, à la veille du génocide comme une faute rédhibitoire.
En 1987, des militants tutsis créent en Ouganda, le Rwandese Patriotic Front, le FPR.
Entretemps, Kayibanda a été renversé par un militaire, Juvénal Habyarimana.
Au début, le nouveau dirigeant prône la réconciliation et met fin aux massacres et à la persécution de la minorité, avant de mettre en place des quotas ethniques dans l'administration et l'enseignement pour limiter le poids des Tutsis.
Les réfugiés rwandais lui adressent mille suppliques au Président pour qu’il les autorise à rentrer chez eux. Mais à chaque fois celui-ci lève la main, désolé, et leur répond : « Je regrette, mais le pays est trop petit ».
Pour Habyarimana, le Rwanda était un avion ou un bus qui affichait complet et qui ne pouvait accueillir à son bord, hélas, aucun passager Tutsi.
LE COUP DE CŒUR DE MITTERAND POUR HABYARIMANA
Le Rwanda devient alors comme la plupart des pays africains, une dictature, régentée un parti unique, où syndicats et presse libre sont strictement prohibés.
Catholique fervent, Habyarimah bénéficie du soutien de son voisin, fantasque et sanguinaire, le Maréchal Mobutu et de son ami, le président français, François Mitterrand.
Celui-ci adressera une note à son premier ministre, Michel Rocard où il écrit qu’il a eu « un coup de cœur » pour le dictateur rwandais.
Même si l’homme est aujourd’hui porté au pinacle en France, on ne sait pourquoi, il convient tout de même de rappeler que le jeune Mitterrand manifestait en 1935 contre « l’invasion des foyers étudiants par les étrangers », qu’il fut décoré par le Maréchal Pétain ; qu’aux premiers jours de la Guerre d’Algérie, il était ministre de l’Intérieur et qu’il avait déclaré « L’Algérie c’est la France et la seule négociation, c’est la guerre ». Et qu’une fois nommé garde des sceaux, durant cette guerre, il envoie à la guillotine en 1957, à Alger, des innocents, comme Fernand Iveton.
Une fois élu, Président de la République, son premier geste est d’absoudre les officiers de l’OAS qui voulaient garder, coûte que coûte, l’Algérie française et qui ont tenté de tuer pour cela le général de Gaulle. Tout comme il a protégé René Bousquet, et Maurice Papon, chargé de la déportation des juifs durant l’occupation, et devenu plus tard Préfet de Paris, il ordonnera le massacre des Algériens le 17 octobre 1961.
UN GÉNOCIDE ÉCRIT COMME UNE PARTITION DE MUSIQUE
La suite de l’histoire on la connaît.
Sous la pression internationale, le gouvernement et le FPR entament en 1992 à Arusha, en Tanzanie en juin 1992 des négociations pour rétablir la paix et organiser le partage du pouvoir entre le parti de Habyarimana, le FPR et les partis d'opposition. Les extrémistes hutus s’opposent à l’application de ses accords.
Le 6 avril 1994, l'avion transportant le président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, est abattu lors de son atterrissage à Kigali.
Cet attentat sonne le glas pour les Tutsis restés au Rwanda.
Durant cent jours, du 6 avril 1994 jusqu’à la prise de Kigali par le FPR au mois de juin, l’armée rwandaise appuyée par les miliciens se lancent à corps perdu dans un massacre préparé de longue date et écrit comme une partition de musique, avec la bénédiction de l’Église catholique. L’archevêque de Kigali, Mgr Nsengyumva, alcoolique notoire, sablera le champagne pour fêter le massacre.
A travers tout le pays les tueurs, les interahamwes, dressent des barrages, défoncés à la bière et au cannabis, armés de marteaux, de machettes, de mitraillettes, de scies ou de gourdins, ils fouillent les voitures, et contrôlent chaque passager. La carte d’identité des tutsis est leur étoile jaune, mais aussi leur arrêt de mort. Ils tuent 10 000 personnes par jour. C’est la mort à la chaîne. La mort TGV.
On massacre dans la bonne humeur, dans la jo entre amis, en écoutant Radio mille Collines, la radio « libre et sympa » qui entre un tube de Dalida et un autre de Claude François, donne les noms des gens à abattre et appelait à l’extermination totale des Tutsis : « Les cafards pullulent dans notre pays. Attrapez-les et faites-les souffrir ! Faites-les souffrir parce qu’à partir de maintenant, on ne rigole plus ! », « A l’heure où je vous parle, les cafards brûlent. Ils sont en train de s’enflammer »
On égorge dans les malades sur leur lit dans les hôpitaux, on éventre les femmes enceinte et on pilonne leur fœtus, on oblige les femmes hutues mariées à un Tutsi de décapiter le mari et les enfants. Les églises se transforment en abattoir et certaines bonnes sœurs s’en donnent à cœur joie en taillant en pièces leurs ouailles qui avaient la naïveté de croire qu’en se réfugiant dans la maison de dieu elles allaient sauver leur peau.
Au Rwanda, même le Christ, sûrement aussi torché que les miliciens, ne roulait plus que pour les power hutus.
Les Hutus modérés qui cachent leurs voisins ou leurs amis, ne seront pas non plus épargnés.
La journaliste belge Colette Braekman qui a couvert cette guerre écrit :
Abolissant toutes les règles, anciennes et modernes, les Rwandais se sont projetés au-delà du bien et du mal. Tous les prêtres, tous les observateurs ont été surpris par l’absence quasi-totale de remords de la part des assassins, de révolte de la part des victimes. Les uns ont tué dans arrière-pensée, les autres se sont laissés massacrer sans tenter de se défendre, comme si leur destin était scellé depuis longtemps »[2]
Entre temps, le Monde regarde ailleurs, attristé par la mort du pilote de course brésilien, Ayrton Senna.
Les casques bleus de l’ONU assistent les bras croisés au massacre.
Des années plus tard, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, dira que l’organisation n’est pas près d’oublier la façon honteuse dont elle a agi au Rwanda, d’où elle a retiré ses troupes au plus fort des moments du Génocide.
DANS CES PAYS, UN GÉNOCIDE CE N’EST PAS IMPORTANT
Au mois de juin 1994, c’est-à-dire aux derniers jours du Génocide, la France dépêche sur place 2400 soldats de l’opération turquoise qui seront accueillis comme des héros, non par les victimes, mais par les bourreaux.
Pour fêter l’arrivée du contingent dépêché par Mitterrand, Radio Mille Collines diffuse en boucle « Aux champs Élysées » de Joe Dassin.
Des journalistes, comme Colette Braekman, assurent que l’objectif de Turquoise n’était pas de sauver les Tutsis mais d’empêcher le FPR d’arriver au pouvoir.
On sait désormais les exactions et les viols que les soldats français ont fait subir aux femmes tutsies.
La Fédération internationale des droits de l’homme dénoncera cette intervention tardive : « Plus d’un million de morts et peut-être plus de deux millions ou plus de déplacés. Après quelques soixante quinze jours de carnage, la France, par son armée interposée, revient sur les lieux, officiellement pour sauver les persécutés. Ce serait beaucoup plus logique de dire : pour constater l’irréparable. ».
La profonde connivence de Paris avec le régime hutu se fera ressentir aussi quand le représentant de la France au Conseil de Sécurité s’oppose, en avril 94, à ce que le massacre des Tutsis Soit considéré comme un génocide. Il faudra attendre le mois de mai de la même année pour que Lucette Michaux-Chevry, ministre chargée de l’action humanitaire, prononce le mot maudit que l’Élysée ne voulait surtout pas entendre
On se demande diable, mais pourquoi le Président français a-t-il tenu, contre vents et marées, quitte à enfreindre toutes les règles du protocole, à faire la sourde oreille aux alertes de la DGSE, à clouer le bec aux militaires et aux diplomates sur le terrain qui ne partageaient pas son aveuglement , et à soutenir à ce point à régime génocidaire et raciste. La réponse est toute bête hélas : Mitterrand qui contrairement à ce qu’on a fait croire n’était pas un grand humaniste, mais une bête à sang froid, un ‘tueur’, il suffit de se souvenir comment il s’est lancé, les yeux fermés, dans la destruction de l’Irak en 1990. Pour lui et ses proches le FPR[MK1] de Kagamé était une tête de pont de l’influence anglo-saxonne, car soutenu par l’Ouganda, mais aussi par les américains et les anglais. Ses militants seront qualifiés à l’Élysée de « Khmères noirs ». Il fallait coûte que coûte sauver ce bastion de la francophonie et du christianisme dans une Afrique de l’Est où l’Islam gagne du terrain de jour en jour
Mais le Rwanda restera perçu, selon une vision ethno raciale française, comme un pays africain, miné, congénitalement, par les luttes inter tribales.
Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, évoque devant l’Assemblée Nationale, un « malheureux pays déchiré par une guerre civile – une guerre tribale en fait ».
Quant à Mitterrand interrogé plus tard sur le rôle de la France au Rwanda, il confiera durant l’été 94. “Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important ».[3]
C’est vrai, pour qu’une mort parvienne au monde, il faut que son cri parte de Kiev ou de Sarajevo, pas de Bamako ou de Bissessero.
Ce que veut dire Mitterrand c’est que la mort des nègres ne fait pas de bruit, et ne cause pas de remords et qu’Il pouvait dormir la conscience tranquille après avoir fermé les yeux de la Fr[MK2] ance sur le génocide et accueilli à bras ouverts les génocidaires.
RESPONSABLES MAIS PAS COMPLICES
Au terme de deux ans d’examens d’archives, une commission d'historiens dirigée par Vincent Duclert remet en 2021, un rapport sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en avril 1994. Ce rapport de 1000 pages pointe des "responsabilités accablantes" pour la France mais souligne l'absence de complicité de génocide. Malgré des lacunes, l’impossibilité d’accéder à un certain nombre d’archive, ce rapport constitue un évènement, dans la mesure où il confronte pour la première fois la France à son passé africain. Selon ce rapport si « rien dans les archives consultées ne vient [démontrer] une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire », les historiens jugent que la France est « demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime » puis, «au moment du génocide », qu’elle a « tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du [Front patriotique rwandais] au sommet de ses préoccupations. Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise, qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsis du Rwanda, exterminés dès les premières semaines du génocide. »
Ce rapport est unique, même s’il a laissé beaucoup de zones d’ombre. Il fait ouvrir pour la première fois les yeux de la France sur son histoire coloniale.
Cependant, il me fait penser à la commission Kahane mise en place par Israël après les massacres des réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chailla à Beyrouth en 1981. Après une enquête de plusieurs mois la Commission conclut que la responsabilité directe des massacres était imputable aux phalangistes libanais. Elle détermine qu'aucun Israélien ne peut être jugé directement responsable, mais qu'Israël a une responsabilité indirecte, puisque l'armée encerclant les camps. Le ministre de la défense Ariel Sharon est tenu responsable pour avoir ignoré le risque d'effusion de sang et de vengeance et n'avoir pas pris les mesures appropriées pour éviter le carnage. Mais Tsahal n’avait pas participé directement, et c’est vrai au massacre, ses soldats se sont contentés d’armer les phalangistes, d’encercler les camps pour empêcher les palestiniens de fuir, puis ils les ont éclairés la nuit pour que les bourreaux puissent voir leurs victimes, enfin ils ont creusé des fosses communes remplies de chaux pour recevoir les cadavres.
Debout sur leurs chars, ils admiraient le massacre de loin, ils sont restés blancs comme neige et personne ne pourra dire un jour devant l’histoire que Tsahal a le sang de Sabra et Chatila sur les mains. Il en va de même pour la France au Rwanda.
[1] Discours sur l'Afrique, Actes et paroles, IV, 1879.
[2] Colette Braeckman, « Rwanda, Histoire d’un génocide », Fayard. 1994
[3] Propos rapportés par le journalise Patrick Saint Exupéry dans son article