Si Bourdieu ne fait plus problème le débat public lui continue à être source de confusion.
D'abord parce qu'il recouvre deux notions distinctes.
L'une est un débat perpétré par deux, trois ou quatre acteurs, face à un public, « vivant « ou télévisuel.
L'autre une procédure ouverte initiée au Québec il y a près de 35 ans et dont le processus d’institutionnalisation a démarré en France il y a près de 20 ans (circulaire Bianco de 1992) et n’a cessé de s’élargir depuis la création de la Commission nationale du débat public (CNDP, lois de 1995, 2002 et 2010) qui est une autorité administrative indépendante . Elle a réformé le code de l'environnement. Elle a des règles précises de fonctionnement avec son thème, son Président, ses ateliers, sa participation citoyenne et son rapport remis à l'exécutif. C'est une des formes les plus abouties de la démocratie participative à laquelle elle est souvent rattachée.
Du premier chacun sait qu'il s 'agit d'un show, d'une publicité, d'un acte de communication, où les éléments de langage interviennent comme maquillage ou lumière dans les spots ou la marque sur le maillot des sportifs, où tout est contrôlé où il s 'agit plus de charmer que de convaincre et où le vainqueur est celui qui a le mieux réussi sa prestation, dont le profil est le plus télégénique . A l'austère prof de maths on a largement préféré le clown-magicien venu là pour nous divertir sous prétexte de nous instruire : la démagogie a remplacé la pédagogie .
Sur le Débat Public, marque déposé, le bilan est beaucoup moins évident. Il n'y a pas de show, pas de vedettes ni d'acteurs, de debater aux swings puissants, comme boxeurs qui s'affrontent à mains nus à l'aide d'un profil conquérant et d'une batterie de statistiques triés à l'avance sur le volet, mais des ateliers de reflexion composés de volontaires, citoyens à qui est obligatoirement fournis réponses à leurs questions, documentation à leur demande et cela pendant plusieurs semaines dans le but d 'éclairer par des interventions les points de vue afin d'élaborer ensemble une solution qui sera consignée et remise aux pouvoirs exécutifs. Le tout sous la houlette d'un Président , nommé par le Pouvoir, responsable de la clarté des débats et non d'un animateur chargé de la dynamique du show.
Ainsi avec le Débat Public beaucoup avaient pensé trouver là le socle d'une démocratie c 'est à dire le faire ensemble. Contrairement au sarkozisme qui est peut -être porteur de tous les péchés capitaux du monde mais qui est d'abord l'instigateur et le moteur pétaradant d'une procédure, foncièrement, structurellement anti-démocratique puisqu'elle consiste surtout à élaborer et concevoir des projets dans l'ombre et la ouate des cabinets pour les présenter à l'opposition ( syndicats, parlements, associations, assemblées territoriales...) comme un chevalier tout de fer vêtu prêt à l'affrontement ( voir le « débat » sur les retraites etc etc..)
Bref un combat où le plus fort et le plus décidé l'emportera, comme dans les champs d'armes du Moyen -Age dans un tournoi où il y a un vainqueur et un vaincu en oubliant que vainqueurs et vaincus participent, ensemble, du même devenir, et qu'à désespérer Billancourt on court droit à l'échec collectif, en d 'autres termes que le vainqueur ne peut être qu'un Pyrrhus de Banlieue plus que d' Ausculum et qu'il se retrouvera, in fine, nu, parce que vainqueur de ce qui n'est pas un combat.
Le débat public est donc une des formes actives les plus satisfaisantes de cette démocratie après la quelle nous courrons tous .
Il repose sur cette idée simple -mais qui choquait encore hier- qu'il n'y a pas d 'élite mais des gens informés ou non et que partant le tirage au sort est aussi démocratique que l'élection et ne présage en rien de la qualité du service.Que tout se joue donc à égalité pour autant qu'il y ait égalité des circuits d'information et que les divergences sont des divergences d 'intérêts, de points de vue. Il n'y a pas de bonne solution qui ne soit acceptable par tous.
Cependant Bourdieu souligne de son coté que le débat public y compris dans sa version citoyenne, participative, « revient souvent à poser à tous les questions qui se posent à l'opinion éclairée, de produire la réponse de tous à des questions que se posent quelques uns » bref qu'il y a instrumentalisation du débat, ce qu'il appelle sa théatralisation, remettant ainsi en cause la structure même du pouvoir qui décide, aussi, du débat.
D'autres, ailleurs, ont souligné que le débat était donc seulement dans son intitulé « dirigé » ( on l'a bien vu sur le débat sur l'identité) et qu'il participait d'une participation fantasmatique mais qu'il n'ouvrait souvent que sur des rapports qui ne constituait jamais une obligation exécutive . Plus, l'exécutif peut en fonction des débats mettre en place une stratégie de contournement qui viendrait confirmer ses décisions antérieures en mettant sur la touche les difficultés démontrées, affichées dans les débats.
Enfin d'autres ne voient dans le débat public qu'un objectif celui de produire encore du débat les « choses « et la réalité se passant largement ailleurs.
Le chemin de la démocratie est une route ouverte...un cheminement non un objectif. C'est aussi ce que Bourdieu nous apprend.