Il disait. Tu le cherches.
Il a léché ta lèvre puis disparu, au matin
dans les brouillards et les pavillons tristes
gardés par des chiens à pelade.
Une goutte de sperme larme, glacée, sur ta cuisse.
Tu le cherches. Il disait :
« Invite moi au saber des plages de Gorée
au Tanaber du soir
à ton cul cerclé d’or comme une mandarine ».
Tu remontes les pistes comme on remonte l’ancre.
Tu le cherches dans l’argent de la mer, l’or pâle des bougies
au fond des bouges et des aurores sales,
fardée pour le dernier voyage.
Civita t’attendait.
Elle fait le signe de la croix sur tes paupières bleues
C ‘est une gitane des quartiers nord de Grenade
-Elle prend ta main pour y mettre sa joue et embrasser ta paume-
Princesse transylvane
Rackösi fut son père, Yourane sa mère qu’il viola d’amour en Ukraine.
Dans le taxi il a troussé ta robe de laine.
Fiancée à l’aubépine noire tu prenais nid
dessinant des chevaux sur le papier d’un ciel orange
tout crachotté de riz.
Il gèle à cœur fendre.
Il disait leur peau caramel, les boues jaunes de l’Amazone, ce bordel de Manaus,
un bas-flanc patiné, une table, une cuvette d’eau
et des chapelets de filles vanilles et caramels
seins pointus, cheveux noirs,
qui sentaient le suif, le musc, la mousse et dansaient
mimaient l’amour, se branlaient, pissaient debout, jouissaient , hennissaient de plaisir , de rire, de cachaça, gobaient son sexe,
lui donnaient leur miel d’acacia dans le ricanement des singes le piaillement des perruches qui passaient en bandes et les airs de samba et de bossa-nova qui venaient du dancing.
Tu respires dans ses châles l’odeur des fumées et des boues
du grand fleuve mystique où méditent les caïmans, logarto
Civita te guide par des couloirs de sable gris.
Il disait :
« C’est le vent qui forge nos racines
C’est le vent »
Sa voix s’écorchait de ronces
« Il faut lever le camp, il faut foutre la paix
comme une gueuse
debout
sans enlever ses bottes
dans le creux d’un fossé
là où boivent les loups
les dents plantés dans sa nuque grasse,
lui planter un bâtard comme on plante un arbre
avec toutes ses racines.
Il faut mettre le nez dans les étoiles comme dans la fourrure d’un chien
Il faut lever le camp sans porter sur son dos
La tente noire des shammars bédouins
Nos racines courent le long des chemins de fer
Paris-Vladivostok- Bonjour Blaise-
Ouaga-Abidjan ma gazelle et la Maria Fumaça.
Partir, enlever cette boue
qui colle à nos bottes cosaques »
Il sanglotait des larmes d’huile rance .
Il disait :
« Je hais ces terres pourricières qui fondent notre race
l’empreinte des galoches sur le limon du temps
cette trace qui nous hante, palpite au cœur de nos totems,
qui nous crucifie au passé
et nous livre, nus, aux lances centurionnes et aux larmes des femmes ».
Tu sentais fleurir en toi des perroquets siffleurs, des certitudes de chiendent.
Tu mangeais des cerises et lisais, étendue sur des peaux d’ours polaires, l’histoire d’Harral le viking et des lapons, de leurs femmes adultères, sorcières puant le poisson.
Il disait :
« Rasées sont les maisons de nos enfances
muettes nos guitares
La raison dégouline là où coulait le sang des taureaux noirs.
Nous sommes en exil des terres
Où dorment les chevaux sauvages
En exil d’un temps fleuri du cadavre d’ hommes
mutilés, empalés, torturés, noyés, guillotinés, brûlés
dont nous lorgnions les moissons prospères
et leurs filles aux gorges blanches et aux rires d’enfant »
Attachée nue à la misaine tu t’inventais des mantilles
et te savais sa Princesse sarmathe, sa koumane des hautes terres
Qsikal aux bleus parfums
Il disait. Tu le cherches
ton danseur sarawak
coupeur de têtes, semeur de rêves, moissonneur de lilas.
Tu sais les terres dont il se voulait potier, les ciels que l’alouette fait trembler
et sous ta jupe d’épines la mûre noire du roncier.
Civita embrassait tes lèvres, caressait tes cheveux
« C’est le grand réfugié dit-elle
Il ne se reconnaît plus dans les miroirs »
Elle boulangeait tes bonheurs et chantait
« le Danube est bleu comme une orange amère
bleu comme les veines méandres à ton poignet
Noir est le Danube
comme un nuage bu par les oiseaux »
Elle te couvrait de bijoux, t’huilait de parfums
T’agenouillait docile sur un prie-dieu ponceau
joignait tes mains, léchait ton cou
priait à voix haute
-je te salue mon père-
pleurait des larmes d’amour, caressait tes seins
suppliait
« je voudrais qu’il me pisse en la bouche »
craignait les sacrilèges, s’agrippait à toi, cherchait ta bouche
s’offrait, dansait, t’allaitait enfin.
Elle disait « Au nom du père »
Elle disait « Au nom du fils »
Te baptisait des jus de sa folie, te mordait
et crachait en ta bouche l’hostie de son amour.
Le vent pleut dans tes feuilles.
Tu sombres, maritime, bois, le cherches,
hérissée de mottes,
conjugues au présent ce passé de marécages et de soleil chauve
Il a déterré tes haches de guerre
Ta faux de cueilleuse d’ans
Tu as peur.
De ces pays de quartz
Tremblante, tu viens, te courbes, vénères le feu
Secouée comme un arbre
Tu branles les idoles, l’ergot des coq blancs
Tu mets ta robe andalouse, tes souliers de satin
Tu sais qu’il est en dedans de toi-même
Cancer de vie
Tu sais qu’il est l’écumeur de lune
Tu as fermé ta porte.
Les cigales chantaient
Tu sais qu’il faut te taire. Tu as tant et si mal aimé.
Tu écoutes la mer, le vol des comètes aux cheveux d’orchidées
Il est là, immobile
Comme un livre d’images et de boues gercées
Sanglier bleu au flanc percé
Il disait les tyrans bègues et taciturnes
Les jardins embuissonnés de roses, les mousses violettes
Il disait
« Quel désordre inventer qui ne soit ces jappements de chiens tenus en laisse ?
Où est Marduk
Qui prit sa mère en son filet, la tua et créa l’univers de son sang ?
Où sont les salamandres, les dogues furieux, les hommes béliers
mangeurs de mandragore, les eunuques à voix de filles, les apsaras à taille fine, aux ongles longs et aux lèvres charnues ? »
Ils se parlent
front contre front
accoudés à la table où les verres s’entrechoquent
Civita presse encore en ses mains tes deux pommes jumelles
T’appelle loutre marmotte colibri baise-fleur
Tu les sais nourris de chair humaine
Une lune noire baigne l’eau pure de la kora
Awa dort sculptée de lumière
Tu hais leurs rires, leur complicité d’anguilles
Le cheval qu’il partage.
Tu les sais debout dans les poussières
Priant des shamanes en cheveux ivres et fous
hurlant à la lueur des villes en flamme
les noms pluriels et rauques de leurs dieux sangliers
Tu veux fuir
retrouver les pins et ton village
l’angelus percheronne
le vol de 19heures..
Tu n’es que ce que tu as aimé.
Sur sa bouche, à ses doigts la graisse des plaisirs vendangés
Tu t’enracines dans ses mots samoyèdes
Les brouillards de Loire et les terres lapones qu’il dessinait pour toi.
Tu fermes les yeux à son odeur de cendres, te cogne à son absence.
Tu fumes comme terre retournée.
Civita te sourit et s’éloigne
Drakkar flamenco tout cabossé de lys
Mouchoir rouge de larmes
Il est là
Le soleil a une odeur de paille et de pollen
Il est là
Au présent de sa mort
Paré pour le dernier exil, le dernier voyage
Pelant de sa dernière peau
Le regard en dedans de lui-même. Les yeux fermés
sur les steppes kirghizes où il voulait faire paître tes chevaux
1993/96