EN REPONSE A ACHILLE M'BEMBE. Il y eut de bons colons. Ceux qui vous faisaient découvrir le monde, soignaient vos maux et querelles. Et les mauvais colons. Ceux des chicottes et du mépris, du travail forcé et des exécutions sommaires. Ils ont en commun ceci qu'ils, bons et mauvais, considéraient, formant un seul et même corps, le nègre - et/ou l'indien- comme le chaînon manquant entre l'Homme-eux- et l'animal, une espèce intermédiaire qu'il convenait de sauver et/ou d 'exploiter mais une espèce à part, pas tout à fait humaine, gommant un passé souvent aussi sinon plus glorieux que le leur, gommant les sentiments, amour et générosité, gommant les connaissances aussi bien pharmacologiques, cosmiques que spirituelles, la culture considérée comme folklore, l'organisation sociale dite archaïque, les arts enfin dits, pendant longtemps, primitifs et comme la pensée, sauvages. Espèce qu'il fallait faire "évoluer".(- c'est d'ailleurs ainsi que les premiers diplômés des écoles implantées furent appelés : les évolués- ils avaient pour fonction l'exécution des tâches administratives subalternes -) et/ou asservir- c 'est à dire transformer en serfs- qui signifie dans les temps dits modernes et le travail forcé - les corvées- et un salaire juste suffisant pour renouveller la force de travail ( comme dit Karl).
Arriva ce qui devait arriver. Ces évolués, métis sociaux et quelque fois génétiques ( lire Hampaté Ba : " l'étrange destin de Wranglin", Voir les signares de Saint Louis et/ou" Madame Ba" de Erick Orsenna ...)acquièrirent bientôt des expériences, à travers les guerres mondiales, l'Université, l'extension d'une exploitation qui exigeait de plus en plus de compétences, expériences qui les ancra dans l'idée que la place qui leur était réservée pour lucrative et glorieuse qu'elle fut parfois ( quelques uns furent Ministres de la République Française comme Gueye, Senghor, Houphouet-Boigny ou sénateurs comme Dia..) était quand même un peu trop étroite.
Ils s'organisèrent alors à travers Partis, Syndicats, Associations pour demander plus, appuyés par les bons colons et combattus par les méchants, alors que s'affirmait la conscience d' un coté comme de l'autre d'une civilisation et d 'une culture nègres jusque là niées, oubliées, ridiculisées, objet d'ethnologues -entomologues aventuriers.
Ils demandèrent et exigèrent donc plus, à une époque qui changeait, victime de son succès, de registre et de système. A l'Etat, force suprême dont la maîtrise par les Grandes Compagnies (GC) était nécessaire pour la domination et l'exploitation d'une classe sur une autre et d'un espace sur un autre, se substituait un partenariat-1955-1980- sous la poussée d'une internationalisation naissante Les indépendances vinrent donc clore un premier chapitre avec cet exergue clairement raciste et sans complexe de Ian Smith " Jamais les nègres n'arriverront à gouverner seuls leurs états".
En se retirant - ou en étant poussé vers la sortie-les Etats coloniaux laissaient à leurs successeurs les outils - administratifs, juridiques, infrastructurels, monétaires et financiers ..bref l'ensemble des instruments huilés et rodés qui avaient servi et structuré l'exploitation par les GC et tournée vers l'extérieur des territoires.Ils laissaient aussi des pays "unifiés" par la force, les assassinats et la violence ( cas du Cameroun et en général passage de la politique à la barbouzerie) et aux Grandes Compagnies la nécessité de négocier la reproduction du système en renforcant leurs liens directs auprès des nouveaux décideurs.
Alors que s'amorçait déja sous la pression de la mondialisation , la montée en flèche des transports, l'exploitation pétrolière , l'importance du cash-flow et la mise en place de nouveaux outils financiers et techniques ( Bourse des Matières Premières) un nouveau glissement .
Mais peu, dans les milieux africains, comprirent alors que les indépendances n'étaient pas arrivées ni trop tôt ni trop tard mais qu'il fallait re-inventer le monde c 'est à dire abandonner des outils devenus inutiles pour peu que l'on voulût autre chose.
Mais les nouveaux pouvoirs mirent en place, derechef , et sans que personne n'y trouva trop à redire ce que l'on appelerait aujourd'hui un copier-coller des systèmes antérieurs avec drapeau, hymme national, Assemblée législative et surtout droit de vote..comme si la Révolution Française de 89 s'était contenté de changer le roi de sang bleu pâle par un roturier de sang rouge- vin.
Il n'y eut pas de Constituante mais l'épatant privilège et avantage et bien-être de " chausser les bottes des blancs" . Les meilleurs y succombèrent. Les salauds aussi. Si le niveau de vie moyen des évolués évolua celui des classes populaires sombra.
L'Etat périphérique dominé, pour politiquement indépendant qu'il fût, n'en demeurait pas moins économiquement soumis non plus à des Etats -coloniaux-ou néo-coloniaux mais de plus en plus aux Grandes Compagnies. Ses besoins ne pouvaient êtr satisfaits, tant bien que mal, que par elles. Le Pouvoir, indépendant, était à leur botte il était surtout à la charnière, profitable, entre elles et le peuple et son territoire sur lesquels s 'exercait leur domination et leur exploitation. La conquête du pouvoir et son exercice devint vite ainsi la seule possibilité offerte de constitution d'une classe nationale possédante. Devenus indépendants les pays changeaient de mâitres; à l'état colonial ou néo-colonial se substituait une dépendance nouvelle et renforcée auprès des Grandes Compagnies affranchies elles-mêmes de la tutelle des Etats .La militarisation de la société civile trouve ici son origine. Certains pays, potentiellement riches glissèrent vite à l'asservissement sous la tutelle d'une classe -souvent militaire- asservie. D'autres, pauvres, glissèrent vers le néant, la classe dominante se contentant des miettes ( douanes, aides multiples etc..).
En chaussant les bottes des blancs c 'est à dire en essayant de reproduire en 1960 un système politique qui s 'appuyait sur une réalité économique culturelle et sociale, celle des pays occidentaux, qui n'avait rien à voir avec celle des pays africains, l'Afrique multipliait les tares du système représentatif eurropéen et occidental ( démagogie et hiatus entre élus et électeurs entre dirigeants et citoyens) et créait de toute pièce une classe sociale particulière celle des Présidents et Associés, potiches, dont le rôle est plus de régler les conflits internes et de permettre et faciliter les conditions de l'exploitation que de s'associer au développement. La contradiction dévoilée et explicitée par Perroux entre développement et croissance s'estompait ainsi des esprits ( et des commentaires cf les récents articles de "Le Monde" sur" l' Afrique est bien partie" et ma réponse sur mon blog). Sous le drapeau aveuglant de la croissance, 5%,les pays s'enfoncaient dans la recession et voyaient se développer un sous-développement inquiètant ( repéré par l'IDH) dans l'indifférence et la cécité générale, et/ou une lutte sans merci- où le militaire bien sûr avait le beau rôle- pour tenir le bavoire aux GC et ainsi tirer de substanciels bénéfices personnels de l'obéissance.
La décolonisation rêvée et souvent mise en oeuvre- par les les Fanon, Cabral, Dia, Machel, Andrade, Neto d'un re-enchantement du monde ( cf sur mon blog le commentaire au livre de Roland Colin) était morte-née sans que les Etats colonisateurs aient eu longtemps a y jouer un grand rôle.
Parmi les mascarades et autres copier-coller de cette allégeance le vote est le plus spectaculaire puisqu'il entend donner une apparence de démocratie là où même son ombre s'est depuis longtemps estompé.
Mascarade car la technique même - mettre un morceau de papier imprimé dans une boite avec un trou- relève, en Afrique d'un non sens profond : la tradition est plus orale qu'écrite, l'isoloir -symbolisant l'individualité des consciences-un non sens, le choix un exercice ne s'appuyant ni sur un programme ni sur une analyse mais sur une allégeance négociée depuis des decennies,l'information étant dans une grande mesure absente - hors des métropoles- l'état-civil déficient ( au Burkina il n'y a que 3 millions d'inscrits sur plus de 8 millions de citoyens en âge de voter ), la nationalité incertaine, les transferts d'urnes aléatoires dans des pays immenses souvent sans routes dignes de ce nom, et les décomptes à la merci de fonctionnaires stipendiés. Les résultats, analysés par départements, sont staliniens. Seuls le mélange de ces départements donne une image rassurante peu conforme à la réalité. Dans les fiefs du Nord, en Cote d' Ivoire, Watara obtint plus de 100 % des suffrages. Ibidem dans les fiefs gbagbiens du Sud. Le tout donne un 50-50 dont les organismes internationaux se contentent...on se demande pourquoi.. et non seulement s'en contentent mais se disent prêtes sur la base de ce résultat ubuesque à faire la guerre.C'est pathétique et tragique.De la même eau que la déclaration de guerre à l'Iraq sur la base d'un mensonge éhonté dont les responsables n'ont pas encore été traduits devant les Tribunaux Internationaux bien qu'ils soient responsables de milliers de morts.
Mais peut-être le bébé de la Révolution africaine n'est-il pas tout à fait mort. Il vagit encore sous les édredons des bons sentiments et des analyses qui l'étouffent.La Révolution de 89 accoucha aussi de l'Empire mais aussi des révolutions de 48 et de 70.
Il importe de porter un rêve - Dia l'a, à mon sens, porté plus haut que quiconque en Afrique, et la révolte qui gronde ne peut se tromper de cible. Malgré les exactions de la Françafrique dont on parle tant aujourd'hui, l'ennemi ne peut être la puissance ex coloniale, ex néo-coloniale mais bien les Grandes Compagnies devenus insaisissables, anonymes, internationales et ceux qui, à l'intérieur des Etats africains, les soutiennent et dont ils sont les porte-cotons. Les amis sont aussi du coté de ceux qui dans les citadelles métropolitaines les combattent. La contradiction n'est plus colonie/métrople mais bien libéralisme/ socialisme autogestionnaire.
Précisant que les "solutions " et luttes comme celle par exemple de l'effacement de la dette me paraissent dérisoires et contreproductives dans la seule mesure où elles ne font que renforcer le pouvoir des dominants-dominés sans rien remettre en cause de l'équilibre général . Il m'en semble de même d'une augmentation des prix des Matières Premières voire à la limite d'un affaisement de l'inégalité des termes de l'échange qui ne dynamite nullement cet équilibre entre les trois acteurs de l'exploitation.
Il y a quelques décennies il semblait que l'industrialisation de substitution ( "produisons ce qu'on achète") allait permettre aux pays dominés de s'indépendantiser de s'autonomiser en créant une classe moyenne intermédiaire d'ouvriers de contremaitres et d'ingénieurs. Mais la mondialisation, en réduisant drastiquement le coût des produits finis, bénéficiant d'importantes économies d 'échelle, de la baisse du coût des transports et d'un secteur recherche dans lequel s'investissait des sommes sans arrêt plus importantes, a réduit cet espoir à néant. Car les ennemis de classe ne sont plus, n'étaient plus les mêmes. Il ne s'agit plus de lutter contre un pays ( la France n'est aujourd'hui en rien responsable de ce qui se passe en Afrique) ni même contre les entreprises de ce pays ( dont le chiffre d 'affaire est somme toute réduit) mais bien contre les entreprises internationales, les GC, qui exercent vis à vis de leur pays mère et des pays dominés un pouvoir de chantage et une volonté de soumettre inhérente à leur puissance et à leur idéologie.
Aussi la solution viendra t elle peut-être d'une volonté pour le pole pays dominés indépendants d'affronter les GC, par l'obligation qui peut leur être faite d'un transfert de technologie qui les obligerait à traiter sur place partie des Matières Premières. Il est en effet curieux qu'il n'y ait en gros aucune raffinerie de pétrole en Afrique, aucune usine de traitement des métaux précieux au Zaïre, et que le seul traitement, en valeur ajouté, de l'uranium passe par la constitution de cette "boue jaune" expédiée à Cotonou. Pas de fabrique de savon ou d'huile dans les pays arachidiers, pas de création chocolatière dans les pays cacaoyer etc... La Bolivie entend obliger une firme japonaise à traiter sur place les métaux précieux qui lui servent à construire les téléphones mobiles. Mais à l'heure où Areva permet à la France de ne pas mourir de froid à des prix somme toute fort aceptables, à l'heure où elle réalise de substanciels bénéfices qui se chiffrent en milliards, 4 enfants meurent par jour de faim à quelques kilomètres de ces mines où elle réalise 65% de son chiffre d 'affaire.