Droit de la terre, droit du sang. Les termes paraissent clairs . Ils servent surtout à définir une nationalité. Mais qu'est une nationalité ? Qu'est-ce qu'une nation ?
La nation est -elle fondée sur la langue commune ou sur la conception de la vie, sur la religion ?
Ne désigne t -il qu'un groupe humain considéré comme une communauté d 'origine ou envisagé du point de vue de gouvernement et des rapports politiques, auquel cas ne se confondrait-il avec l’État.
L’État n'intervient il, en tant qu'administration, que pour figer en quelque sorte les flux et reflux de groupes humains et souder les sédentaires constituant une unité économique et une conscience ethnique l'incitant à se considérer comme partageant un avenir, possédant par ailleurs une langue commune et reconnaissant en commun une même autorité ?
Par ailleurs les droits du sang, traditionnellement, sont des droits du sol.
Les nobles – les seuls a avoir du sang- étaient désignés par le sol. Comte de Vaulliard, Duc d 'Anjou signent et désignent le titre et les droits sur le sol, la terre.
On ne pouvait devenir duc si l'on ne possédait des terres justifiant le titre ( Richelieu dut racheter Champigny – appartenant aux Monpensier-et ses terres pour accéder au titre)
Il n'y avait, en dehors des propriétés seigneuriales, que des terres communes – les communaux qui perdurent encore sous une forme fort atténuée mais qui existaient encore il y a 40 ans-
De même qu'il n'y avait pas d'identité, d 'existence, autre que celle qui rattachait l'individu à une communauté.
A partir du 15 ème siècle – en fait bien avant, mais il y eut cette terrible récession des 13 et 14ème -ce schéma tend a s'effriter. Des individus non nobles accèdent à la propriété – des robins pour beaucoup -qui accédant à la terre demande donc un nom, c'est à dire une identité.
La terre donne le nom et la propriété des terres et des nommés constituent la nation . La gestion de celle-ci ne peut être que celle de ceux-là, les propriétaires. Aprés la révolution qui permit à beaucoup de riches – fonctionnaires et marchands -d'accéder à la propriété au détriment des paysans trop pauvres pour acquérir les terres sur lesquelles ils travaillaient depuis des générations ( pour le compte des seigneurs et le leur dans le cadre des communaux- la démocratie fut d'abord et essentiellement censitaire – c'est à dire que n'avait le droit de voter que ceux qui avaient du bien et partant payaient l' impôt.
Ces quelques considérations, bien générales, peuvent toutefois nous aider à comprendre ou essayer de comprendre ce qui se passe en Cote d 'Ivoire. Non pour une vaine curiosité et manie de sociologue ou d 'ethnologue mais parce que le problème de la terre est directement responsable de la mort de dizaines de milliers de personnes entre 2002 et 2012 et que la volonté du gouvernement Ouattara, qui déclencha cette guerre, de toucher à la propriété des sols, risque fort de déclencher une nouvelle vague de terreur.
Car les données sont les mêmes. La terre appartenait non aux seigneurs mais aux communautés et à l'intérieur des communautés à un conseil des vieux qui en confiait la possession, c est à la dire la gestion, à des lignages qui avaient le droit de la faire travailler par des esclaves – ou le proche équivalent-et d'en faire ce qu'ils voulaient. La communauté décidant également de consacrer partie de son territoire aux fonctions sacrées. Ce territoire n'était pas, par ailleurs, cadastré mais la densité démographique, faible ,n'engendrait pas facilement des contestations territoriales.
Or, à partir des années 65/70, peu de temps après les indépendances le surenchérissement du coca et du café provoqua un ensemble de phénomènes : l'intérêt des citadins riches – et en particulier les hauts fonctionnaires poussés par le Président- pour la terre , ce qui leur permettait de réaliser de substantiels bénéfices, l'intérêt pour cette même terre des conglomérats étrangers et surtout américains et suisses et enfin l'arrivée massive de travailleurs étrangers surtout en provenance du Burkina Faso qui était encore Haute Volta et du Mali – ex Soudan.
Le pouvoir des communautés se retrouva donc rapidement débordé par leur mise sous tutelle par l'administration territoriale aux ordres des fonctionnaires d'une part et par les compromis que passaient les lignages avec les travailleurs étrangers ( ventes, locations, fermages etc..) d'autre part.
Dans les années 90, la confusion était extrême et les tribunaux débordés ( 90% des affaires étaient des affaires foncières) quand le « vieux « , Houphouët-Boigny, décida que » la terre appartenait à ceux qui la travaillent » sous réserve d 'en faire la déclaration .
Or un burkinabe pouvait -il acheter une terre ivoirienne s'il la travaillait depuis 10 ans ? Pouvait -il rompre le contrat qui le liait à une famille ivoirienne ? Mais beaucoup de burkinabes étaient là depuis plus de 20 ans , ils avaient grandi là, parlaient la langue du pays, s'étaient mariés avec des autochtones, et avaient, par leur travail, largement enrichi les familles autochtones.
Mais les cours, au début des années 2000 s'effondrèrent. Les avantages que le gouvernement avait accordé aux autochtones pour céder partie de leur pouvoir-avoir et permettre aux grands groupes d' investir et aux burkinabés de fournir la main d 'œuvre furent supprimés ; les fils citadins revinrent à la campagne. Mais les burkinabe et maliens, qui finissaient par représenter parfois jusqu’à 50% de la population, n'entendaient pas céder la partie et abandonner aux nouveaux arrivants de la ville leurs avoirs et biens et droits..
La Loi de 98 ne fut pas appliquée, ne put être appliquée ; le pouvoir territorial devint bientôt l'objet de toutes les attentions.
Si aux élections présidentielles Konan Bedié inventait le concept d'ivoirité – ne peuvent voter que ceux qui sont né de parents ivoiriens- ce qui souleva un tollé international- Ouattara avec l'aide du Président Burkinabe Campaoré- l'assassin de Sankara- décidait de prendre par la force le pouvoir territorial, de faire une purification ethnique à l'envers . Aidé par Charles Taylor de la Sierra Leone proche, il fut arrêté dans son invasion par l'intervention des forces françaises Licorne. Mais Chirac en convoquant à Marcousis les belligérants considérait Ouattara non comme un rebelle mais comme partie prenante de la problématique, lui donnant une légitimité alors qu'il n'était qu'un envahisseur.
La partition du pays, le travail de conquête organisé au Nord et à l'Ouest- ethnocide des wé- par les armées rebelles, l'aide décisive de la France de Sarkozy eurent raison de Gbagbo et de la légitimité.
Il restait maintenant à parachever le travail, de cadastrer le pays, de permettre aux grandes entreprises américaines de considérer la Cote d 'Ivoire comme un pays conquis, d'en finir avec les communautés légitimes et anciennes et, en signe de reconnaissance, de permettre à des centaines de milliers de burkinabés et de maliens de s'établir et d'obtenir, étant propriétaire, la nationalité ivoirienne qui permettra à Ouattara de disposer ainsi d 'une assise clientéliste assurée.
En dépit de ses affirmations d’objectivité et de neutralité, le Plan Foncier Rural est un bon exempled e la manière dont les cartes peuvent
être utilisées comme moyens technocratiques pour modifier lessystèmes africains de droits fonciers. Les cartes du Plan contribuent
au processus de transition des droits fonciers << communautaires >> vers les droits fonciers <<individuel>s>, de trois façons au moins. Tout
d’abord, les cartes subdivisent les terres de lignage en parcelles individuelles actuellement cultivées par les emprunteurs de terres. Les chefs
de lignage craignent que les cartes ne deviennent un moyen d’appropriation, vu que les noms et numéros d’identité des emprunteurs des
terres sont notés dans le registre parcellaire. L’avenir de ces terres est un point d’interrogation, et le processus de parcellisation est une
importante source d’inquiétude pour les propriétaires fonciers coutumiers. En second lieu, par sélection et omission, les cartes excluent des
droits fonciers un certain nombre de groupes et d’individus. Seuls les droits des chefs de lignage et ceux des agriculteurs sont inscrits. Les
cartes ne mentionnent nulle part les droits des chasseurs, cueilleurs,bûcherons et éleveurs. Par conséquent, l’imbrication et lad iversité des
droits fonciers sont niés par un projet trop exclusif et rigide. Ainsi que Pauline Peters l’a remarqué dans le cas de l’aliénation foncière au
Bostswana, Cette étude montre comment les cartes possèdent ce pouvoir de redéfinir les systèmes de droits fonciers par l’intermédiaire
de signes cartographiques conventionnels tels que les limites,les systèmes de numérotation et les espaces vides.
Enfin, le pouvoir qu’ont les cartes du Plan de redéfinir les droits fonciers est accentué par leur statut officiel, et tout spécialement par l’emphase scientifique entourant leur traçage. Le fait que le gouvernement ivoirien et la banque de développement la plus puissante d u monde
soient à l’origine du Plan donne aux cartes une autorité inégalable.
L‘usage des technologies les plus récentes tel le système GPS (GlobalPositioning System) renchérit la respectabilité scientifique du Plan. Par
contraste avec le faible niveau du développement de la campagnei voirienne, la simple mention d’un outil satellitaire suggère que les
cartes sont tracées avec la plus grande précision possible. . Cette emphase sur la vérité cartographique s’infiltre dans les documents du Plan et estr éitérée par ses promoteurs.
- . Le pouvoir des cartes dans
le Plan Foncier Rural réside dans la capacité qu’elles ont de fabriquerde nouvelles réalités tout en donnant l’impression qu’elles sont la
représentation fidèle de la situation actuelle. .."
Cet article est une traduction d’une communication présentée pour la premiére fois au colloque hfaps alid @-ica (Les &rtes et l’Afrique),
organisé par le Groupe d’études africaines Afiican Studies Group de
1’Universitê d’Aberdeen (Ecosse), les 5-6 avril 1993.