Ca avait commencé, raconta-t-on plus tard, à la reprise, à 15 heures. Au PMU de la Place du 8 Mai. Martin, le chef des gardiens du Centre Culturel avait, en reposant son verre, déclaré d’un ton ferme « J’y retourne pas. Rien à faire. J’fais grève. Voila.»Y avait là, en dehors de Maurice, le patron du troquet, Gérard et Louis, ses subordonnés, gardiens eux-aussi, jeunes diplômés depuis deux ans dans une carrière où ils ne comptaient pas faire de vieux os. Ils se regardèrent un instant et, en chœur, claquant à leur tout leur verre sur le comptoir, déclarèrent sobrement : « On t’ suit ».Maurice les approuva, et paya sa tournée. JP, qui passait le plus clair et le moins clair de son temps au PMU, appuya et jugeant la nouvelle d’importance, derechef, s’en fut la colporter au buraliste qui venait d’ouvrir, la sieste terminée, au boulanger, à l’épicier qui replaçait ses cagettes, à l’assureur qui montait dans sa voiture. « Y font grève au Centre »…La nouvelle déferla sur la ville à peine réveillée des chaleurs comme un torrent de printemps des montagnes toutes proches.L’histoire raconte que c’est le buraliste qui le premier remettant les volets qu’il venait juste d’enlever déclara à qui voulait l’entendre, il y avait là déjà au moins trois personnes qui attendaient, dont Marcel, le cantonnier, qui venait acheter, comme tous les mercredi après-midi, son paquet de tabac, du bleu des Vosges, « Ils ont raison, Moi aussi je fais grève. Je ferme. Voila »-Et mon paquet de tabac cria Marcel-Désolé mon vieux mais tu t en passeras répondit le buraliste-Allez fais pas le con Georges répondit le Marcel. Tu f’ras la grève après.-La grève c est la grève répliqua Georges, péremptoire, qui n’y connaissait en fait de grève que ce qu’il avait vu à la télé.-Allez déconne pas….-Va donc dire à ton maire qu’il t en donne du tabac parce que, lui, c est de la merde qu’il nous donne.Marcel s’en alla furieux .Le mot fit le tour de la ville. A tel point qu’il ne passa pas deux heures que la moitié des commerçants ayant à leur tour refermé rideaux de fer et volets, et recadenassé leurs portes se retrouvèrent au PMU et sur la Place, décidés à ce que quelque chose se passât décidés à obtenir gain de cause, à manifester même…Maurice, le patron du PMU, n’avait jamais vu une telle clientèle en milieu de semaine à l’heure où chacun est encore derrière son comptoir, son établi, son bureau, jamais. D’autant que de verres en verres, de chopinettes en chopinettes, le ton montait. On avait ouvert les portes et sur le trottoir chacun interpellait les passants.-On est en grève !!!On est en grève !!! Faut que ça s’arrête, on n’en peut plus !!! »Il n’y avait pas un quidam qui, averti et comprenant de suite la gravité de la situation, n’approuvât et, à son tour, ne décidât de soutenir les grévistes.C’est Edmond, le restaurateur du « Coq hardi », qui vers 18h, montant, avec la permission de Maurice, sur une banquette, réclama le silence et proposa qu’on s’en fut tous ensemble, en « une marche de protestation silencieuse et massive » jusqu’à la Mairie, afin d’exiger du Maire qu’on mit fin à cette exposition qui « empuantissait » la ville, « faisait fuir le client et qui, peuchère, était dangereuse pour les enfants des écoles qui, comme des soldats de première ligne ( les chérubins ) avaient été obligés d’aller au Centre comme on va au feu.».Edmond, berrichon depuis la nuit des temps, avait fait son service militaire à Marseille et en avait rapporté l’accent comme d’autres une statuette de la Bonne Mère. 30 après, était –il en colère, feinte bien sur, que c’était Raimu en personne (son acteur préféré auquel d’ailleurs il ressemblait un peu surtout coté bedaine) qui frémissait sous les poutres 18ème de l’auberge du Coq-Hardi et là, maintenant, sous le plafond en stuc compliqué du PMU.Dans les applaudissements nourris, les « c’est-y-pas-possible » les « c’est pas croyable » chacun se retrouva dehors. Droit vers la Mairie qui n’était qu’à 100 mètres.Nicolas Souchard était un Maire jeune et Moderne. Fils de l’ancien maire à qui il avait succédé, il entendait faire de sa petite ville, endormie sous les habitudes comme un chat sous la couette, une capitale départementale de première importance et pour cela il lui avait semblé prioritaire de donner de sa ville une image qui correspondit à l’ambition qu’il avait qu’elle devint. Or les images sont le plus souvent données, à moindre coût, par la Culture. C’est donc au cabinet du Directeur de la Direction Régionale des Affaires Culturelles, la DRAC qu’il plaida son dossier. On lui fit bon accueil. Le Conseiller, responsable des arts visuels, lui proposa dans la foulée une expo « Tout de suite lui dit-il après le Palais de Tokyo, qui est, vous le savez, le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, un artiste, français, mais de renommée internationale, qui fera figurer votre ville en même rang que les plus grandes. Rendez vous compte Los Angeles, Melbourne, Paris et Votre ville sur la même ligne !!!!!! Et cela ne vous coûtera rien. Des cartons, un cocktail, je ferai venir la presse. On ne parlera que de vous je vous le garantis. »-C’est à voir répondit-il séduit.C’était tout vuIl reçut dans la semaine photocopie d’un article paru dans « le Monde » à propos de cet artiste et de cette exposition au Palais de Tokyo.Ce ne fut qu’un jeu de convaincre le Conseil Municipal.« Juste après Paris » fut l’argument décisif.L’expo dans les mois qui suivirent, terminée à Paris, se mit en place.On fit venir la Presse Quotidienne Régionale qui consacra aux projets du Maire une bonne demie-page, on parla de cet artiste qu’on s’honora de bientôt « voir dans nos murs ». On se vit offrir pendant trois semaines un renfort de gardien par la DRAC….tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il n’y avait pas un habitant de la ville qui ne fut fier d’avoir un Maire si dynamique qui se permettait de faire venir en cette ville, certes un peu endormie, des célébrités que même Paris avait du mal à obtenir.Le jour du vernissage, le cocktail préparé par Cuissot fut somptueux, cher mais somptueux, le Champagne, payé à moitié par Delattre, commerçant en vins et second adjoint, coula à flot, les photographes n’en finirent pas de photographier-mitrailler tout le gratin régional qui se retrouva le verre à la main, dés le lendemain, enchanté, dans la gazette. Le Préfet dit un mot, le Président du Conseil Général fit un discours, le Président du Conseil Régional et Madame parfumée Opium passèrent serrer quelques mains. On parla de la ville. On ne parlait depuis bientôt quinze jours que de la ville, ce qui n’allait pas, bien évidemment sans susciter jalousies et rancœurs, que Souchard, magnanime, balayait d’un revers de main.Il y eut bien quelques tiraillements, Antoine Seignier, le Directeur du Crédit Agricole s’étonna. « Je croyais voir de la peinture » déclara-t-il.. Souchard lui expliqua avec le soutien de l’attaché aux Arts visuels de la DRAC que c’était ringardissime et que quand on voulait donner une image moderne et dynamique il fallait faire du moderne et du dynamique. Seignier acquiesça, dubitatif murmurant dans sa petite barbe poivre et sel un « d’accord, d’accord mais ça pue votre modernité !! » qui fit naitre un sourire condescendant aux lèvres des Maitres de Cérémonie. C’est vrai que ça slinguait dur et qu’il fallait avoir l’amour de l’art bien chevillé au corps pour supporter ça. Mais le cocktail se déporta doucettement vers le jardin et quand vers 2heure du mat’ le Centre ferma ses portes chacun était d’accord pour dire que cela avait été une soirée culturelle réussie, et comme jamais encore il n y en avait eu dans la bonne ville.
La semaine passa dans le bonheur et la gloire. Les félicitations, certaines un peu aigres, succédaient aux félicitations. Souchard et l’attaché culturel aux arts visuels, qui exigeait qu’on l’appelât Alain, se voyaient souvent, étaient même devenus des amis .Ils préparaient déjà la seconde exposition.Certes il y eut la femme de ménage qui rendit son tablier. « J’peux pas supporter, j’peux pas supporter » avait-elle dit pour toute explication.On en chercha une autre. Vue la courbe du chômage cela n’allait pas être trop compliqué.Puis, comme un silence s’abattit sur la ville en même temps que l’odeur se fit plus forte.De plus en plus forte.Et aujourd’hui, mercredi, jour de réunion du Conseil Municipal, là, sous ses fenêtres cette foule qu’il regardait aux travers des rideaux l y avait là quasi tous les conseillers, tous ces gens qu’il connaissait depuis son enfance et qui semblait lui en vouloir.Des ennemis de l’art pensa t il. Des rétrogrades.Et il sortit d’un tiroir cet article de « Le Monde » qui à lui seul valait toutes les clameurs d’une population de commerçants et de bons à rien qui n’avait aucune culture ni sensibilité ni à l’art ni à la modernité.Il lut :« Le Monde
Vendredi 13 avril 2007
Michel BlazyPlasticien d’uneApocalypseDes pourrituresArtsC’est avant tout l’odeur quiassaille. Une bouffée âcre,Qui ne quitte pas le visiteurdu Palais de Tokyo habité par lesétranges installations de MichelBlazy. Plasticien de la pourriture, ila dessiné ici le paysage d’une hum-ble apocalypse : de celle qui peutsurvenir dans une cuisine aban-donnée, dans un jardin. Sur les murs, la purée de carottes’est étalée. Craquelée, harcelée de champignons, cette peinture murale est devenue, après deux mois d’exposition, ruine rosâtre, pas même repoussante. Un peu plus loin ce sont des tranches de bacon qui sèchent au mur et s’accumulent en une vivante mosaïque. A terre, une sculpture superpose les écorces d’oranges. Virées au noir ou au vert glauque, elles accueillent toiles d’araignées et spores de tous poils. Une microscopique déréliction, dont l’artiste s’est fait une spécialité depuis ses débuts dans les années 199O. Ici, tout mute ou mûrit, frétille d’une vie méprisée. Mais Blazy ne se contente pas de jouer la carte du putrescible. Plus généralement c’est dans les placards de notre quotidien qu’il va chercher sa matière première. Des bonbons Krema de ses enfants, il fait des galets tout en dégradés. D’une bombe de mousse à raser, il fait surgir comme une goutte d’eau tombée dans la neige fraîche qui se serait figée dans son élan. Ses poubelles vomissent de la mousse molle…..La crème dessert au caramel ? Elle devient peau de bête. Les paquets de nouilles ?......Et en sortant de l’exposition, on se découvre de folles envies de métamorphoses. BERENICE BAILLY« Post Patman » Michel Blazy au Palais de Tokyo/site de création contemporaine, 13, avenue du Président-Wilson,Paris 16. M° Iéna. Tel : 01-47-23-54-01De midi à minuit. fermé lundi. Jusqu’au 6 mai. De 3 à 5 euros.« Palais de Tokyo !!!!murmura t-il, il n’y a pas eu de plainte de la part des riverains du Boulevard Wilson ou de la Place d’ Iéna à ce que je sache…il faut que ça tombe sur moi…et puis Alain qui ne répond pas. Le Préfet qu’est absent.Dehors la foule scandait : « ça pue !ça pue ! »C’est vrai que le week-end avait été un enfer. Aucun des taverniers n’avait sorti sa terrasse.« ça pue, ça pue ..»Il eut l’idée d’ouvrir la fenêtre et de les haranguer, de leur dire « je vous ai compris » ou « Vive la Québec libre », de ces trucs qu’on dit en levant les bras, mais il eut peur du ridicule et surtout, en ouvrant la fenêtre, de laisser entrer les miasmes provenant du Centre Culturel Jorge Amado. Depuis deux jours les consignes étaient claires : on n’ouvre pas.Le téléphone sonna.-Alain, je te cherche depuis une heure.-Excuse-moi, j’étais en réunion.-Ben moi je suis dans la merde !!J’ai maintenant sous les fenêtres de la Mairie où je loge, tu t’en souviens, une cinquantaine de gugusses, mes administrés, des commerçants en vue pour la plupart, des employés municipaux, des instituteurs de l’école saint Grégoire où sont mes enfants, et même les gardiens que tu m’as envoyés qui se sont déclarés en grève… chaque heure m’apporte son lot de révoltés. Bientôt, c est sur, avec la fermeture du Grand Magasin, j’aurais les caissières, les rayons et leurs derniers clients, qui viendront à leur tour, sous mes fenêtres demander une seule chose, une seule, qu’on vire du Centre Culturel Jorge Amado ces paquets de détritus pourris qui empestent comme cent charognes et bouleversent ma ville.« Ça pue, ça pue !!!»-Ouiiiiii ouaisssss..génial..génial.-Quoi ?-Mais qui empeste mon cher Souchard, qui empeste ? C’est là la question.Quelques sacs emplis de détritus ou ton assemblées de charlots adonnés aux petits mensonges, détournements, lâchetés, veuleries. ? C’est ce que disait Blazy « Mon odeur ne me permet pas d’entendre celle des autres » qu’il opposait à « Sentez vous les uns les autres ».Pas uns de tes manifestants qui n’ait détourné le fisc, trompé sa femme ou son mari, menti aux douanes et aux impôts quand ce n’est pas à leurs clients, leur Directeur, leurs élèves. Pas un Souchard..Et tu ne trouves pas que ça pue ? »-« ça pue, ca pue !!! »-Je veux bien mais ce sont eux qui m’ont élu quand même..-Ils t’on élu et maintenant ils ne peuvent plus te sentir car ils ne peuvent plus se sentir, se supporter et toi, Souchard, tu es le résistant.-Comment ça le résistant ??-Tu es celui qui s’oppose de toute l’autorité républicaine à un autodafé, un holocauste, -Pardon ?!!!! »- Souchard, enchaîna Alain, en signant l’expo tu as signé de la garder et protéger 10 jours. Je t’enverrai demain si tu le veux les articles de loi se référant à la protection des œuvres d’art. Tu ne peux, parce que quelques excités te le demande, absolument pas détruire cette installation.Souchard tu entres, malgré toi, malgré toi tu rentres, dans la longue saga de ceux qui se sont opposés à l’ignorance à l’intolérance, de ceux qui se sont opposés à la destruction d’œuvres et de créations qui constituent aujourd’hui le patrimoine universel...-ça pue, ça pue !!!! » scandait toujours la foule.-Souchard, tu ne peux faire ça. Demain la presse du monde entier sera à tes basques. « Le Maire d’une commune détruit une œuvre d’art ». Tu veux ça ?-« ça pue, ça pue !!!!! »-Comment ça la presse du monde entier ?-Mais, coco, parce que c’est un scoop international que la destruction des œuvres d’art.- Faut pas déconner quand même !-Qui déconne Souchard, qui déconne ? Tu veux que je te cite les journaux new-yorkais, allemands, espagnols qui sont prêt à envoyer un correspondant sur le champ, s’ils ne sont déjà partis.Pharmacien, marié à une pharmacienne, 38 ans, deux enfants, Maire après que son père l’ait été, son nom était connu et respecté dans tout l’arrondissement. On l’avait certes vu au Chef-lieu en galante compagnie et on racontait que mais ces frasques le servaient d’autant que Claire, sa femme, discrète et efficace, qui tenait l’officine, l’aidait à donner d’eux l’image d’un couple moderne, classique, bourgeois, respectueux des codes et usages.« Ça pue, ça pue !! »Il était abasourdi.Claire entra.-Des problèmes à ce que je vois ?-Je te rappelle. Je te rappelle.-Non, non, attends Souchard. Rappelle-toi, toi, que seul Hitler a eu le culot de brûler des œuvres d’art, Hitler et quelques fanatiques afghans. Rappelle-toi et appelle les CRS.Alain raccrocha.-Ça pue, ça pue ! »-J’arrive pas à avoir la Préfecture. »-Va leur parler. »- ?-Tu descends et tu vas jusqu’au parvis en fendant la foule et serrant quelques mains et tu leur parles.- Pour leur dire quoi ?-Que tu vas faire le nécessaire mais qu’il y a quelques petits problèmes avec la DRAC, c’est la vérité non ?-Tu as raison j’y vais. Il les connaissait quasi tous. Beaucoup avaient la mine renfrognée, beaucoup semblaient en colère. Il serra quelques mains, silencieux, atteignit les premières marches du parvis, se retourna. Les cris s’étaient fait plus forts « ça pue, ça pue ! ». Puis se fut le silence. On entendit une hirondelle.Il commença : « je vous ai compris ….» mais les mots lui restèrent dans la gorge. Il n’y comprenait rien. Une saute de vent ramena les pestilences, un bref instant.-Vous me connaissez, beaucoup depuis le temps de mes genoux écorchés et de mes premiers pantalons.« Ça pue, ça pue !!! » hurla quelqu’un dans la foule.Il y eut quelques rires et des chutttts intempestifs.Il tenta de défendre l’Art« L’Art c’est aussi ce qui dérange » mais Edmond, le patron du »Coq hardi » lui coupa la parole et avec un accent qui sentait l’ail, déclara :-C’est pas de l’art, Monsieur le Maire, sauf le respect que je vous dois, peuchère, ce n’est que du cochon. Et le cochon ça pue, Monsieur le Maire ».Applaudi bruyamment alors qu’à nouveau on entendait « ça pue, ça pue !! » il se retourna vers la foule et cria « Tous au Centre Culturel, tê ! »Le mot d’ordre fut repris en chœur et malgré les appels du Maire la place se vida peu à peu.Rentré chez lui il apprit que le Préfet avait appelé. Presbois vint lui dire qu’il y avait eu des jets de pierre contre la façade du Centre.Il rappela.-Qu’est-ce que c’est que cette histoire rocambolesque, Souchard cette histoire de pissotière, nous sommes en plein « Clochemerle » mon vieux ! ?-On vient d’attaquer le Centre Culturel à coups de pierre, Monsieur le Préfet et il y a moins d’une demi-heure il y avait quasi 100 personnes qui scandaient « ça pue, ça pue ! ».-Je leur donne raison Souchard. Je suis passé pas loin de chez vous hier et ça slinguait sérieusement. Il faut faire évacuer d’urgence ces ordures.-Mais Monsieur le Préfet il s’agit pas d’un tas d’ordures mais d’une œuvre d’art installée au Centre par un artiste internationalement connu depuis plusieurs années et qui vient d’exposer au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.-Paris fait ce qu’il veut avec ses ordures Souchard mais je vous somme d’aller incinérer tout cela et de délivrer votre ville de ces bouffées âcres.-Mais c’est alors que je m’expose aux foudres de la Loi sur la protection des Œuvres d’art d’une part et d’autre part à la Presse internationale qui va me tailler et vous tailler Monsieur le Préfet un costume de première classe et de première communion sur le thème de l’intolérance, du conservatisme militant, du ringardisme exacerbé, du démodé obscène-Modérez-vous Souchard, modérez vous, je ne vois pas très bien les journaux internationaux s’intéresser aux déboires d’une exposition…un peu provocatrice et fort provinciale de surcroît-Et pourtant Monsieur le Préfet. C’est bien ce que m’a signifié on ne peut plus clairement l’attaché aux Arts visuels de la DRAC.-Alain Du…-Oui, Monsieur le Préfet, Alain, qui a du déjà alerter le large mouvement des défenseurs des installations y compris puantes qui comprend, en gros, les plus grands Musées du Monde et demain il y aura les ténors cultureux de la presse internationale qui seront ici prêt à filmer les bennes qui conduiront l’œuvre à l’Incinérateur, Ogre dévorant de la modernité.-Vous avez parlé aux habitants ?-Oui je leur ai dit que j’allais benner mais qu’il y avait de petits problèmes avec les Beaux-arts-Le résultat ?-Ils criaient « ça pue, ça pue ! », maintenant ils scandent aussi « les Beaux-arts aux chiottes ».-Ca évolue à ce que je vois. Je vous rappelle Il se demanda alors où étaient ses enfants. Il était tard. Il avait demandé à ce que le conseil municipal ordinaire fut annulé pour être remplacé par une réunion de crise. Le sous-préfet devait y venir ainsi que le Chef de la gendarmerie. Mauricette, au téléphone, avait décidé de rester. Il avait dépêché pour protéger le Centre ses trois auxiliaires de police municipale.La réunion fut houleuse.A 9 heures du soir un car de Garde Mobile prit position et on vit sortir trois agents, masqués, avec bouclier et matraque, qui se postèrent devant le Bâtiment. Il n’y avait plus personne. L’odeur était suffocante. La Manif’ vengeresse s’était naturellement déportée vers le PMU et le « Coq Hardi » ainsi que trois ou quatre bars qui fermèrent tard ce soir là, bien au-delà de l’heure autorisée mais « on était en grève » et jamais les affaires ne furent aussi florissantes. D’autres, plus romantiques, avaient allumé de grands feux de pins odorants, de feuilles d’eucalyptus et causaient en tisonnant les branches du bout d’un pied rêveur.Les plus hautes autorités avaient été alertées et il fallait attendre leur décision. C’était plus ou moins en ces termes que s’étaient achevée une réunion où entre les arguties du droit, les intérêts personnels, les possibilités techniques et Prébois qui interrompait sans arrêt les débats pour rendre compte de ce que se passait « à l’extérieur »,chacun essayait d’y retrouver ses petits.Le réveil fut, pour beaucoup, difficile d’autant que les instituteurs de St Exupéry s’étaient déclarés solidaires « au nom de l’intérêt des enfants » et s’étaient eux aussi mis en grève.Mais tout le monde dés potron-minet acheta son journal et se retrouva qui au PMU qui au Coq Hardi qui au Lion d’or pour lire et commenter les nouvelles.
Dépassé, le localier qui avait sans moufter « couvert » le vernissage, avait fait appel au Central qui avait aussitôt dépêché un photographe et un journaliste. Du quasi jamais vu. Et ça se voyait. La demi-page 2. Et une photo en Première.Ca s’était des nouvelles !Nouvelles que lisait Souchard, un peu pâle, dans son bureau.« Les Odeurs de l’Art » titrait la PresseEt en sous-titre : « C’est pas d’l’art, c’est du cochon et ça pue » déclare Edmond Breban, Président de l’Association pour la défense de l’air que l’on respire ( APLADAR).En deuxième sous-titre, en gras :« Une manifestation pour retirer du Centre Culturel Jorge Amado des œuvres d’art qui empestent »La Photo de première page représentait la Place alors qu’il essayait de faire un discours. On l’apercevait et le reconnaissait. Mais on voyait surtout une foule. De dos. C’était assez impressionnant.L’autre photo, en page deux, avait été prise devant le Centre Culturel et l’on voyait des gens qui lançaient des pierres. Cela lui rappela les banlieues, 95…Il frémit.Il apprit que le journaliste avait réussi à joindre Blazy, le concepteur, l’artiste, l’installateur, le créateur qui avait déclaré : « Ceux qui crachent aujourd’hui sur les œuvres d’art d’aujourd’hui sont ceux qui crachaient hier sur Picasso, Renoir, Cézanne, Picabia et les plus grands. ».Prébois rentra brutalement dans son bureau.-Monsieur le Maire, y a un américain avec un appareil photo et une carte de presse en bonne et due forme qui veut vous voir et vous interwiever.-Dites- lui que je suis pris jusqu'à 17h.-Mais il insiste-Moi aussi.Il apprit rapidement qu’une télévision néerlandaise, une journaliste espagnole et deux journaux de Paris étaient dans les murs, furetaient, questionnaient, photographiaient, filmaient d’abondance.Dans l’après-midi, alors qu’une vague torpeur s’était installée sur la ville, Presbois vint lui annoncer que le niveau de puanteur avait considérablement baissé de façon aussi mystérieuse que brutale.-Faut voir pensa-t-ilC’était tout vu.Vers 17 heures quand il sortit pour aller constater et vérifier lui-même que les gardes mobiles, toujours de faction, ne manquaient de rien et que l’air devenait plus respirable il dut faire face, comme une vedette, à quelques cameras et appareils alors que fusaient des questions : « Pourquoi voulez-vous détruire une œuvre d’art, sur quels critères, suivant quelle idéologie. » lui cria l’un « Comment assumez-vous, comme responsable politique et culturel le fait de détruire l’art d’aujourd’hui ? » asséna l’autre.Il les regarda un peu interloqué. L’espagnole était jeune, mignonne, l’œil vif le cheveu noir et court. Elle le regardait avec un mépris affiché, palpable, qui le blessa.Il passa outre, sans répondre.A 19 heures la nouvelle se confirma, l’odeur n’était plus que résiduelle.A 20 heures avec le capitaine des pompiers, son premier et son deuxième -adjoint, le Directeur du Centre, sorti d’urgence de l’hôpital où il se remettait mal d’une jambe cassée en faisant du ski, un garde mobile, le gardien en chef, le concierge et une employée, ces trois derniers en grève depuis hier, pénétrèrent dans le grand hall du Centre Culturel Jorge Amado où l’objet du délit et du délire étaient« installés ». Il n’y avait plus rien. Rien .Pas une trace. Comme si l’installation n’avait été qu’un cauchemar. Une vague odeur de lait caillé et d’eau de Javel flottait encore dans l’air mais il ne restait plus rien des sacs noirs remplis de détritus, des écorces d’orange virées au noir ou au vert glauque, des jus de carottes répandus sur le sol, des bonbons Krema vomis par un chien, des spaghettis sculptés en forme de chiottes. Plus rien. Un soulagement. Un coup de massue.La petite horde de journalistes était là, derrière lui, entrée comme chez elle, à mitrailler ce vide et à s’interroger et à l’interroger.-Vous l’avez faire incinérer dans la nuit ? -Le crime est ainsi consommé ?-Qu’est ce que cela vous fait si on vous traite de vieux schnoque rétrograde ?- Noooooon tenta-t-il de répondre…. pas moi, c’est pas ma faute, c’est pas ma faute…C’est alors qu’arriva Alain.Il serra quelques mains.-Et voila déclara-t-il d’emblée. Magnifique non ?-Quoi magnifique ?demanda l’américain.-Le Rien. -Le Rien, nous re-éditons Yves Klein dont c’est l’anniversaire de sa mort. Savez vous qu’il est enterré à La Colle sur Loup près de Saint Paul de Vence ?Le Rien. Nous vous convoquons à la contemplation du Rien. Qui vous renvoie à vous-mêmes. Comme les odeurs de Blazy n’étaient rien d’autre qu’une façon de nous renvoyer à nous-mêmes. Soyons zen. Le rien est plein de vous. Vous c’est chacun et c est tous. Le Rien est plein de tous et de tout, rêves, envies, espoirs..C’est l’objet de l’expo. Le Rien. Et ses dérivés.Zen… »-Ouaihhh !le rien c’est le tout interrompit la belle espagnole-Voila, voila c’est ça enchaina Alain, on est aux extrêmes. Après le tout étouffant, le rien impossible.Une chaise trainait, métallique. Elle fut photographiée et filmée d’abondance. La jeune espagnole s’était rapprochée de Souchard, tout sourire, aguicheuse.-Je vous avais pris pour un rétrograde lui glissa-t-elle.Souchard remarqua qu’elle avait un oeil plus haut que l’autre et de vilaines dents.Peu à peu le hall s’était rempli. Silencieux. Tous les membres de l’ADAPLAR étaient là et ça faisait du monde. Ils écoutaient Alain, les journalistes venus de si loin. Le Maire regardait tout le monde, l’air ahuri.-Regardez, regardez, il y a rien à voir clamait Alain, emphatique et jubilant .Ils regardaient ce rien.Et s’en retournèrent doucement chez eux vers leurs habitudes et leurs conforts, leurs idées et leurs amours.On ne sut jamais qui et comment l’expo avait été déménagée, de nuit, en présence des gardes mobiles. Les commentaires allèrent bon train beaucoup disaient savoir mais ne voulaient rien dire. Puis le silence se fit.Peu de temps après Souchard donna sa démission et quitta la ville. Claire, sa femme resta, fidèle, à l’officine, toujours aussi discrète et efficace. Quand on lui demandait des nouvelles de l’ancien Maire, elle répondait toujours dans un sourire qu’il allait bien et se reposait.Blazy fut décoré de la légion d’honneur. Alain eut un poste au Cabinet du Ministre. C’est Maurice qui eut le dernier mot de la farce : « tous ces intellectuels, peuchère, ça pue non ? »