L’ILLUSION ESTHETIQUE
De la Révo. Cul. dans une France pouj.
Avis de tempête sur l’Art Contemporain. Les dernières années du siècle ont viré à l’eau de boudin et l’idéologie qui les soutenait bat largement de l’aile. Avec un discours populiste hérité de Malraux, la « langerie » d’hier et d’aujourd’hui fait, de plus en plus, beau linge défraîchi . La dite avant –garde enveloppée dans les châles délicatement parfumés de la reconnaissance officielle prend, derechef, un coup de vieux, préambule aux coups de torchon. Sa cote ne vaut pas tripette aux baromètres du marché international. L’Histoire semble déjà avoir jugé et il semblerait qu’il n’y ait plus qu’un universitaire d’un autre âge pour revendiquer les dépouilles, que personne ne réclame, d’un art cinétique que d’aucuns, encore sur la brèche, considéraient comme fondamental. Cette dite avant-garde qui écrasait, hier, le monde de son souverain mépris, considérait toute critique comme sacrilège et, comme Buren, proclamait haut et fort que s’attaquer à eux revenait à cracher sur Renoir ( sous-entendu nous sommes les Renoir d’aujourd’hui ), ringardisée, semble aujourd’hui n’avoir droit, réponse du berger à la bergère, qu’à un oubli hargneux.
Mais les mystères de l’incroyable dérive, l’incroyable importance donnée pendant tant de temps par tant de têtes pensantes à tant d’indigence créatrice, ce dévoiement poussé à l’extrême, ce charabia de peintres non-peignants, salmigondis glaireux et prétentiards d’ une REVOlution CULturelle dans une France POUJadiste, participent d’une illusion esthétique et relèvent, en fait, pour redevenir cohérents, d’une analyse globale qui doit prendre en compte plusieurs facteurs concomitants.
Le premier est lié à la montée en puissance du rôle de l’Etat dans le marché de l’Art.
Amorcée dés 1959 par les lois qui créèrent le Ministère de la Culture et lui donnèrent les moyens et les attributions d’un ensemble jusque là hétérogène, elle correspond à une volonté politique, gaullienne, de ne pas laisser la Culture aux seuls marchands –pas plus que le politique à la Corbeille- et de redonner à Paris la place de premier marché de l’Art que Londres puis New York venaientt de lui ravir.
Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris achetait en 1960 Brayer, Brianchon, Léonor Fini. Mathieu et Buffet faisaient, en France, figures de héros de la Liberté et de créateurs fous et déjantés. Motherwell, Warhol, Lichenstein, à New York avaient beau jeu de rire et de se moquer. La nécessaire subversion de l’Art tardait à se développer dans un Paris conservateur et endormi sur des lauriers devenus secs et poussiéreux. La création d’un Ministère ad hoc devait redonner vie au moribond.
Le deuxième élément qui permet de rendre compte de la dérive quasi maffieuse des années Lang est lié à la montée en puissance, à l’intérieur de ce même Ministère, d’un fragment de classe sociale qui, réfugié dans l’Appareil d’Etat –relooké formule un- cherchera son affirmation identitaire et sa reproduction dans le déploiement d’un code, la mise en place d’une religion et d’un discours qui s’articuleront sur la nécessaire reconquête de l’Ouest et d’une prétendue modernité assimilée aux Sciences et techniques pour une part et à un baroquisme blasonnant d’autre part qui privilégieront la forme sur le fond, le signe sur le signifiant, le code sur le sens, la communication sur l’expression. Publicité, communication, marketing, signeront ainsi le « moderne » en Art, ce glissement progressif de la réalité vers son signe et de celui-ci vers la volonté de pouvoir.
Ainsi dans une France vieillotte et passablement endormie un Appareil d’Etat, réarmé, va-t-il permettre à un fragment dynamique de la petite bourgeoisie intellectuelle de développer un « modernisme » sûr de lui, prétentieux et sans remords, déshumanisé, qui donnera aux « experts » le soin de faire à notre place, pour nous et pour notre plus grand bien, une révolution culturelle que chacun appelle de ses vœux. En ce sens ils constituent effectivement une avant-garde c’est à dire une volonté militante de prendre les autres, tous les autres, pour des cons, de s’ériger en prophètes et en curés, de capitaliser à son unique profit attentions et subsides en récusant un passé parce que passé, et en encensant, fort bigottement un avenir, bon parce qu’avenir.
Face aux enjeux de la fin de siècle et au défi américain elle trouvera en Lang les moyens de son ambition en se donnant pour objectif d’américaniser –sous couvert de dynamiser- la production et le penser local, de mettre en place la version franchouillarde de l’art International et de s’ériger en clergé oint d’une mission sacrée, le tout dans l'esbrouffe, la paillette, l'abscon. L’Etat et ces fringants abbés de cour et autres inspecteurs à la création allaient ainsi- pensaient-ils- sortir le pays de l’ornière passéiste. Devenus les nouveaux maîtres à penser d’ une modernité, dont ils étaient quasi les seuls à sentir la grandeur, ils allaient dans un premier temps et tout naturellement haïr tout le monde, mêlant dans une même opprobre Alechinsky et Brayer, et, dans un deuxième temps, dans une magnifique poussée lyrique et en toute sécurité matérielle, rejeter et maudire tout ce qui de prés ou de loin pouvait ressembler à la peinture.
Donc plus de peintres, couleurs, formes, volumes, toiles, cadres .Plus rien. Peintres non-peignants, œuvres invisibles, ready-made en tout genre, installations, devinrent avec les décors et le décorum, l’événementiel et l’éphémère, le publicitaire et le tape-à-l’œil, les lettres de noblesse d’un art qui se répondait d’un bord à l’autre de l’Atlantique. Montre-moi ton crachat je te montrerai mon zizi. Claes Oldenbourg et Andy Warhol, les Happenings et Motherwell devenaient les maîtres à penser de ceux qui dans les startings blocks de la gloire et de la consécration voulaient, en France, et avec ces mentors, sinon conquérir l’Amérique et le Monde du moins jouer dans la cour des grands.
L’école de Nice était là. Klein venait de mourir. C’est fin 67, aux Ponchettes, à Nice que se célébrèrent les noces ingrates et encore non cotées des dissidents et de l’establishment. La Mairie et la Culture invitaient ces potaches bruyants, auxquels elles n’avaient cessé jusque la de faire la guerre, potaches trublions qui faisaient dans le rire et le dérisoire, entassaient des montres dans des poches plastiques, déambulaient sur la Promenade en tirant des poupées, peignaient des trous noirs et proclamaient à tout vent que « l’art est tout » et que « je suis Dieu. »
Les farces et bizutages, qui avaient fait la joie des lycéens niçois des années 60, se virent élevés soudain au rang de chef d’œuvres et les joyeux drilles consacrés artistes. Ben n’arrêtait pas de conchier un système ( « L’art c’est de la merde ») qui n’en finissait pas de lui taper dans le dos en rigolant, lui offrant achats massifs, rétrospectives et expos internationales. Arman n’en finissait pas de casser des violons dont on n’arrêtait pas de s’arracher- à prix d’or- les miettes. Buren jouait les grands initiés et le philosophe grand teint– vertu du 8,7–avec l’a –propos et la grâce d’un canard cendré se faisant les ongles.
Le reste allait suivre, la glose s’installer, les potaches se faire profs, les musées et fonds régionaux se jeter sur ces blason de la modernité, la langerie se répandre, asphyxiante, dans toute son horreur, religiosité, mépris, ignorance et incompétence. « Plus de pinceau, plus de peinture, plus d’œil, plus de main, plus de jeu de matière, plus d’émotion, plus de personnalité »écrira, ravi, Otto Hahn le critique chéri du parterre. L’insolence niçoise des années 60-70 allait se systématiser, se fonctionnariser, se décliner comme sésame d’une coterie cléricale qui allait faire régner l’inquisition sur la production hexagonale et se transformer en nouveaux chiens de garde d’un domaine, les Arts Plastiques, confisqués.
Les années 70-80 avaient esquissés pourtant une réponse forte -des affiches de Mai à la Figuration Libre en passant par Erro, Cremonini,Seguy et tant d’autres- une réponse forte aux nécessités subversives…Mais les années 80 étouffèrent dans l’œuf une voie jugée trop politique et/ou trop figurative - « Qui se souvient des images produites, écrit C.Millet, il ne faut en parler que pour évoquer la participation d’artistes aux luttes politiques »- ou trop populaire –« la Figuration Libre ne vaut la peine d’être envisagée que comme fait social. Elle n’appartient pas à l’Art » C.Millet again. Il importait en fait, de condamner de façon définitive et théologique un art tout à fait incapable, dans la grande surenchère orchestrée par New York, de permettre à nos beaux abbés de cour l’accès tant fantasmé aux strapontins d’un art International que mijotait dans l' Amérique des communicants libéraux engagés via la pub, dans la voie royale de la manipulation.
Le tour alors était joué et la machine allait, sans contre pouvoir, devenir folle, l’illusion esthétique se répandre dans l’indifférence du plus grand nombre, la démission et le suivisme intellectuel face aux experts qui dans le même temps et dans le même mouvement concoctaient Sarcelles et le Super phœnix, mais grâce aussi aux pratiques inquisitoriales de ces tenants de l’Art Officiel pour lesquels toute critique attentait au Droit Canon.
Artistes, plasticiens, critiques, essayistes, fonctionnaires, marchands, galeristes, médias, circuits internationaux, classements et cotes participèrent vite d’un mode clos, fermé sur lui-même, mobilisé sur la définition et la répétition d’un code et la glorification d’une Eglise hors de laquelle, pauvre de nous, il n’y avait point de salut, ainsi que sur la captation à son unique profit des prébendes de l’Etat
La tartufferie des critiques qui aujourd’hui de toute part cherchent à saper les effets d’une machine bien huilée propre à se reproduire et produire de la poudre aux yeux ne doit pas cependant faire trop d’illusion. L’extravagance petite bourgeoise de nos abbés de cour, suicidaire, n’a pu se développer qu’avec l’accord explicite et négocié des marchands –ce qui nous interdit de relancer le faux débat libéralisme/étatisme- et de tout l’arsenal institutionnel rapidement mis en place des outils de la reconnaissance ( FRAC, CAC…)d’une part, mais aussi, de l’autre, sans l’émiettement, la faiblesse, l’incohérence du groupe largement majoritaire des exclus. Dénoncer l’idéologie poujadiste, réactionnaire et l’arrivisme opportuniste des tenants de la langerie dans les Arts Plastiques qui nous ont valu les Clareboudt, Morellet, Raynaud, Buren, Levêque, Vieille, Vilmouith, Journiac..lève le voile sur l’incapacité des « autres », dont je suis, à mettre en place un contre-pouvoir dont le magazine ARTENSION fut, sans doute, à un moment l’emblème, contre-pouvoir qui aurait eu l’immense avantage de parler de vie et d’amour, de couleurs et de formes, de plaisirs et d’émotions face à l’infatuation techniciste, l’avantage, immense, de mettre un peu de Tchernobyl dans les épinards de la Science.