Ce n'est qu'aujourd'hui que je prends connaissance, dans le grand silence médiatique, de cette censure d'un autre âge, au travers de cet article signé Elodie Creze.
Cete censure est encore à l'oeuvre sur la Côte ou le Maire vient d'interdire à Elisabeth Brainos, peintre et sculpteur reconnue, d'exposer ses oeuvres sur le pas de sa galerie à Antibes.
Aubagne n'accueillera pas la 13e édition du Festival international d'Art singulier. La municipalité refuse d'exposer les oeuvres jugées pornographiques de deux artistes. En signe de contestation, la compagnie d'Art singulier en Méditerranée, organisatrice de l'événement, a décidé de l'ajourner.

"L'Amour", de Marie Morel
Marie Morel
"Des baisers, des amours, de l’accouplement, des fantasmes, de l’homosexualité, du bondage, des jeux érotiques, de la sexualité chez les personnes très âgées, de la sodomie, du S.M..." Ainsi Marie Morel présente-t-elle son oeuvre intitulée "l'Amour", qui se veut un manifeste sur l'érotisme. Elle devait être exposée à la chapelle des Pénitents noirs à partir du 26 juillet prochain, à l'occasion de la 13e édition du Festival international d'Art singulier. Seulement voilà, après deux années de travail sur la programmation artistique, la compagnie d'Art singulier en Méditerranée a préféré ajourner l'événement dont elle avait la charge. En cause, le refus de la nouvelle municipalité UMP d'Aubagne d'accueillir deux oeuvres dont "l'Amour" de Marie Morel et "la Machine à accoucher" du plasticien Demin.
De mémoire de Danielle Jacqui, commissaire artistique du festival depuis son origine, un tel pataquès n'avait jamais eu lieu avant. Même lorsqu'il avait fallu déménager le festival à Aubagne en 2000, lorsque la municipalité de Roquevaire - passée à droite - avait considérablement raccourci la subvention. Cette fois, les organisateurs et les artistes concernés crient à la censure. Michèle Guérin, commissaire de l'exposition ne décolère pas : "en vingt-trois ans de métier je n'ai jamais vu ça. Le service culturel de la mairie nous a d'abord expliqué que l'oeuvre de Demin, la "Machine à accoucher" n'offrait pas la meilleure vision de la femme. Puis il nous a été signifié qu'il ne serait pas possible de présenter les oeuvres de Marie Morel. Ensuite, du personnel municipal a été envoyé sans prévenir à l'imprimerie où devait être édité le catalogue de l'exposition afin de visionner les oeuvres montrables. "
"Mis à l'index"
Dans un communiqué de la compagnie organisatrice, il est précisé que "l'attribution de la subvention de la Commune d'Aubagne ainsi que la mise à disposition des lieux d'exposition étant subordonnés à l'assurance de la non participation de ces artistes mis à l'index", la décision d'ajourner le festival a été prise ce mercredi. "La Ville se prive de grosses retombées économiques", déplore Michèle Guérin. Danielle Jacqui, elle, a préféré démissionner après avoir"tout sacrifié" pour cette manifestation. Choquée par l'interdiction d'exposer des oeuvres, elle était pourtant opposée à l'annulation. "Près de 50 artistes ont bloqué leur été pour participer. Je pensais que l'on pouvait maintenir le festival et créer un off avec les oeuvres interdites. Il aurait fallu arriver à un consensus. Ce n'est pas au politique de décider de l'art singulier. Mais on ne peut pas partir comme ça en guerre." Le Théâtre Toursky de Marseille et d'autres lieux ont bien proposé d'accueillir les oeuvres rejetées, mais pour Michèle Guérin, "on ne pouvait plier et accepter qu'une équipe municipale vérifie la programmation artistique".
"C'est très violent, réagit l'artiste peintre Marie Morel qui écrit un texte pour expliquer sa démarche artistique. On a entendu que l'oeuvre de Demin était obscène. Quant à mon oeuvre, elle est érotique mais il était possible de placer un panneau d'avertissement devant." Le plasticien Demin estime que son oeuvre présente un caractère brutal : "ma machine est à taille humaine, bouge et il n'y a pas de distance avec le spectateur. Mais une oeuvre n'est pas là pour être belle, elle est un marqueur de son temps. J'ai fait le choix d'exprimer ma vision du monde d'aujourd'hui, avec toute sa souffrance."
"Censure" versus "droit de l'enfant"
L'artiste regrette surtout ne pas avoir eu l'occasion d'expliquer sa démarche à la municipalité :"ma machine a pour but de dénoncer l'absence du droit à l'avortement dans des pays où des femmes sont violées. C'est très hypocrite de se prétendre choqué par des oeuvres, et à côté de ne pas l'être par la réalité." Du côté de la mairie, on se défend de toute censure. Philippe Amy, délégué à la culture assure déplorer cette annulation. "Nous voulions vraiment faire ce festival. J'ai pris le temps de recevoir longuement les organisateurs et de regarder le catalogue. Nous sommes éclectiques dans notre culture, mais en parallèle, nous avons le souci de proposer des expositions qui peuvent s'adresser à un large public. Ces deux oeuvres présentent un caractère pornographique. Elles posent problème. On nous a opposé le droit à la création artistique pour ne pas dire "censure", mais moi je lui oppose la thèse du bon sens et du droit de l'enfant".
Tout en réaffirmant son attachement à l'éclectisme artistique, l'adjoint à la culture ajoute cependant : "ces oeuvres peuvent être exposées dans des galeries, des lieux privés. Pas ici. Nous sommes dans une société où tout est permis". Quant à l'argument du rideau et des panneaux explicatifs visant à avertir les parents, Philippe Amy le rejette catégoriquement : "Nous sommes dans un lieu public, financé par l'argent public, nous n'allions pas non plus dépêcher, tant qu'à faire, un agent municipal devant les oeuvres !"
Les artistes comprennent d'autant moins cette réaction que leurs oeuvres, rappellent-ils, ont déjà été exposées à plusieurs reprises en France et à l'étranger. Notamment celle de Demin, au salon du Parc Chanot en 2013. "Cela avait créé la polémique, mais suite à cela, j'ai été invité en Tunisie au Forum Social mondial pour représenter les artistes français. Et je suis refusé à Aubagne. Cela frôle l'absurdité". Le festival pourrait bien avoir lieu à l'automne 2014 ou à l'été 2015 sur une ou plusieurs communes du Pays d'Aubagne et de l'Etoile. Il pourrait notamment revenir, comble de l'ironie, à son lieu de naissance 25 ans plus tôt, à Roquevaire
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