Mai 68 et l'entre deux tours des Présidentielles.
« La charge est lourde » conclue l’éditorialiste du » Monde »Philippe Ridet parlant et citant l’apostrophe de Nicolas Sarkozy sur Mai-68.
C’est vraiment le moins qu’on en puisse dire.
D’autant qu’elle est tardive, entre les deux tours de la Présidentielles, et clairement « idéologique » pour un tenant aussi déclaré d’un pragmatisme combattif qui l’autorise à dire tout et son contraire, pragmatisme saxon qui n’est pas s’en rappeler Reagan, Bush et Blair
Elle est surtout, dans sa lettre, d’une aveuglante clarté.
68 était bien l’arrivée à l’âge adulte des baby-boomers, leur « entrée en politique », 2007 est bien la sortie des mêmes, convertis en « papy-boomers », le temps qu’il fallut pour voir arriver à son apnée le capitalisme financier que 68 fit entrer avec fracas dans l’Histoire, en France mais aussi partout dans le monde.
Une page se tourne.
Il écrit : « Mai 68 a imposé… » Mais sait-il que Mai-68 dans son grand prurit anti-autoritaire n’imposait rien et fut, quels que soient les miels dont on veut tartiner son point-de-vue, justement, la porte ouverte aux « vents mauvais » du débat voire de la réunionite, de l’interdiction d’interdire, de l’interdiction d’imposer mais aussi un renouveau de l’acte et de l’exigence démocratique et républicaine qui entend donner, faire circuler parole et information pour que rien ne s’impose.
« imposé…le relativisme intellectuel » précise Monsieur Sarkozy
Qu’est-ce que le « relativisme intellectuel », expression reprise par Jean Daniel dans le Nouvel Observateur du 10 mai?
« Relativisme intellectuel », les « circonstances atténuantes », l’organisation de la Justice, entre Procureur et avocat, qui pense qu’il n’y a pas de « bien » et de « mal » de façon pure, mais que tout est lié aux histoires collectives et individuelles, que « le Bien » n’est qu’un long apprentissage plus qu’une doctrine taillée dans le marbre, et croyant plus à l’acquis qu’à l’inné cherche à comprendre pourquoi et comment un individu se marginalise et devient socialement dangereux ?
« Relativisme intellectuel » que de penser qu’il n’y a de hiérarchie que de la compétence, autorité que négociée ?
En plus, ce zombi conceptuel, « le relativisme intellectuel » de Mai-68, n’est rien de moins que coupable d’avoir « liquider l’école de Jules Ferry ».
Mais, l’école de Jules Ferry n’a pas eu besoin de Mai-68 pour mourir et disparaitre. Elle était déjà largement obsolète et ne répondait plus du tout à sa mission, dépassée par l’arrivée en masse des jeunes issus du baby-boom (qui avaient 12/15 ans en 1960), par l’accélération des savoirs et l’accélération de leur obsolescence alors que déjà le secteur universitaire était coupé de la réalité et surtout des besoins d’une classe d’entrepreneurs aux dents longues et aux appétits internationaux qui piaffait d’impatience. L’école de Jules Ferry était depuis longtemps à l’agonie quand 68 est arrivé. Mai-68 ne fit qu’accompagner sa chute.
Monsieur Sarkozy continue, toujours parlant de ce zombie conceptuel, que non seulement il détruisit un des piliers de la République laïque et républicaine, « l’école de Jules Ferry », mais qu’il a « introduit le cynisme dans la société ».
Certes, le cynisme a atteint aujourd’hui des proportions invraisemblables, impensables, mais il me semble qu’il soit surtout le fait de personnes qui n’ont, je crois, rien à voir avec Mai-68, comme, par exemple, ce patron qui a transformé un des fleurons de l’aéronautique européenne en champs de ruines, dettes et suppression d’emplois à la clé, qui s’en va avec plus d’un millions de fois plus, en récompense de ses déloyaux services, que ce qu’un technicien recevra comme prime. On peut parler aussi d’un cynisme généralisé et banalisé, international, qui pour commercer avec la Chine oublie Droits de l’Homme et compagnie et se refuse à aller chercher des poux dans la natte d’un partenaire commercialement si important. L’invasion du Tibet et son acceptation par l’ensemble des grands pays de ce monde, cet assourdissant silence, quel cynisme n’est-ce pas ? Quel cynisme dans ce capitalisme financier qui raye d’un touche de calculette emplois, traditions, au seul bénéfice de la rentabilité. Quel cynisme chez ceux de la Mitterrandrie et de la Chiraquie qui ont amplement puisé dans les caisses de l’Etat, par bâtiments publics ou de guerre interposés, pour asseoir leur pouvoir.
« . ..abaissé le niveau moral et politique » continue-t-il encore.
Qu’est ce que « le niveau moral » ? La tolérance, la recherche de Paix, l’écoute de l’autre, la compassion, la solidarité, l’ouverture, le sens et le besoin de Justice, le gout de l’aventure, ….ont-ils vraiment été « abaissé » par ce « relativisme intellectuel » dont on voit de moins en moins à quoi il fait référence ou, au contraire sont-elles des valeurs qui font partie intégrante de l’héritage de Mai ? Est-ce abaissé le « niveau moral » que d’avoir légalisé l’avortement, favorisé la mixité dans les écoles, demandé la parité homme/femme, questionné, modifié les rapports parents /enfant, comme les rapports à son corps et à la nature ? Est-ce abaissé le « niveau moral et politique » que d’avoir pris conscience de ce que l’on appelle aujourd’hui l’écologie (dont vous avez signé le pacte) ? Le « niveau politique » est-il donc si bas qu’aujourd’hui le taux de participation explose lors de ces élections ?
Il conviendrait plutôt de s’interroger sur le « niveau moral » des grands patrons voyous, grands détourneurs de fisc et de fonds que d’accuser de détournement quelques idées qui entendaient et ont, de toute évidence, au contraire, élargi et élevé le « niveau moral » et reconnaitre, sans barguigner, que les « ce Mai-68 dont Monsieur Sarkozy veut « tourner la page »» » ne ressemblent en rien au portrait qu’il en dresse.
Cela n’a pas de sens.
Le rappel à l’ordre qu’est sa politique ne pose pas la question de savoir de quel ordre il s’agit. Et quand il parle de « liquider Mai-68 », le mot « liquider » ,choquant, renvoie à un ordre nouveau de sinistre mémoire
Quant au travail. Il est quand même curieux d’appeler avec tant d’énergie au travail alors qu’il y a quasi 3 millions de chômeurs et de « petits boulots »et autant et sinon plus de retraités. Sont-ils vraiment, tous ou quasi tous, des fainéants, des assistés, des RMIstes professionnels ? Peut-on remplacer ainsi la lutte des classes, le rapport capital/travail, par la notion vague de « bon citoyen » et de « mauvais citoyen », les « travailleurs »d’un coté et les fainéants de l’autre. Crierait-il au feu pour justifier son rôle de Sauveur ? S’il y a quelques « mauvais citoyens » qui sèment le désordre et vivent de la Bourse publique ,ce n’est certes pas, et uniquement, du coté des faibles, des petits, des paumés, des sans-grades qu’il faut les rechercher.
Cet appel à un réarmement moral fait face et répond à un délitement imaginé
Un peu inquiétant quand même, comme tout réarmement moral, bien que l’on puisse penser qu’il s’agit plus d’une posture et d’une imposture que d’un but réel.
Nous sommes au théâtre, dans le « monde du spectacle » plus que jamais.
Aussi quand il continue : « (ses héritiers de 68) trouvent des excuses aux voyous » je me plais à plaindre ceux qui, n’étant pas des héritiers de 68, ne trouvent pas des excuses aux voyous. Qu’est-ce qu’ils font alors et qu’est-ce qu’ils en font des voyous ? Les « nettoyer au kärcher » ? Les mettre au ban de la société en les enfermant dans des prisons déjà trop pleines ?
Ainsi se présente-t-il en chirurgien. Bien persuadé que la gangrène menace, le corps social suit : il faut opérer. Monsieur Sarkozy est le gendre et surtout le chirurgien idéal. Clair, décidé, franc du collier, courageux, il en appelle aux cris et aux larmes nécessaires, au courage, au mérite, voire au dévouement et à la justice, parle de rupture pour faire ordre, de couper, nettoyer le grand corps malade de la France, afin de le rendre à la vie, l’activité, la compétitivité nécessaire etc…
Or,
Le travailleur français, en l’an 2005, a été classé, par les instituts internationaux compétents, comme le plus compétitif et rentable du monde. Une première place aux olympiades des entreprises performantes.
« Les entreprises françaises ont passé trois ans à restaurer leur marge et les résultats sont là : En 2004 les 2O premières sociétés françaises ont engrangé 32 milliards d’euros de profits avant impôts et celles du CAC 4O, 57 milliards. Elles ont dépensés pour les 8 premiers mois de 2005 pour 80 milliards d’euros pour réaliser 881 acquisitions d’entreprises étrangères.( Pernod Ricard s’est offert le britannique Alliaed Domecq, France Telecom le n°3 de la téléphonie mobile espagnole, Gaz de France a augmenté sa participation dans la SPE belge… »
La France n’est malade que du discours que l’on tient sur elle.
Une maladie nosocomiale.
Sans nier aucun des nombreux diagnostics des mandarins, aucune des feuilles de température produite et prise chaque jour à toute heure en tout endroit du corps économique, aucune des analyses de nombreux laboratoires prestigieux, la France ne va pas mal du tout.
Sur les faiblesses les plus criantes – la recherche, la formation, l’écologie, le taux d’emploi- tout le monde est d’accord .IL faut des réformes rapides et profondes. Elles font consensus.
Alors de quelle intervention s’agit-il hors celles qui font consensus ?
De quel ordre s’agit-il ? Quelle purification mettre en œuvre si on se refuse à « donner des excuses aux voyous » ? Quand on dit, et pense, qu’a travers ses héritiers les idées de 68 ont « affaibli l’autorité de l’Etat », de quel Etat s’agit-il ?, celui que, peu à peu, la vague libérale rogne, dilapide, par privatisation, « affaibli l’idée de citoyenneté », alors qu’il n’ y a eu jamais autant de votants et « .font l’apologie du communitarisme ( !? sic)» ?
Ce type de discours n’est pas sans rappeler un réarmement moral qui prépara la liquidation des acquis du Front Populaire. Réarmement moral qui dissous aujourd’hui les « vraies » questions, les questions « de fond » dans une seule et monolithique volonté d’ordre, qui fait un peu peur.
Tremblez délinquants, glandeurs, fraudeurs du fisc, conducteurs trop véloces, brûleurs de voiture, tricheurs, rêveurs, picniqueurs des milieux de semaine, pêcheurs à la ligne, joueurs de cartes, peintres du dimanches, neurasthéniques, planqués, travailleurs au noir, caillasseurs de bus, resquilleurs du métro, jointés, ivrognes, drogués, fainéants, faux rmistes, faux malades, faux grévistes,…..
Mais, quand même, la contradiction n’est pas là ! Les problèmes aujourd’hui qui se posent à la France et au monde, la raréfaction du travail, le gaspillage éhonté d’énergie, l’écologie, le réchauffement planétaire et la fin des approvisionnements, le terrorisme, le vieillissement de la population, l’explosion des besoins de santé, l’éradication d’une pauvreté tiersmondiste force motrice d’ immigrations non voulues l'alignement social sur le niveau le plus bas etc…ne peuvent, en toute bonne foi, se résumer en un « mouiller sa chemise et vous serez récompensé » !La solution ne peut, en aucun cas, venir d’un retour à l’autorité de l’Etat, du prof, du mari ou du père dans le cadre précis de la dissolution de l’Etat dans un ensemble européen et mondial, ( Qui décide quand les plus grandes entreprises françaises peuvent être du jour au lendemain rachetées par des fonds de pension américains, chinois ou guatemaltèques qui ont tout loisir de tailler dans la masse des emplois ?), dans le cadre précis de la dissolution des savoirs et des certitudes et leurs remises en cause critiques quotidiennes.
1)La politique se ferait-elle à la corbeille ? Ne signe –t-il pas, là aussi dans ce rapprochement sans remords ni cachotterie, la fin du gaullisme ?
(2) « Libé » titrait, le 8 Mai, « Le futur président est applaudi aux Etats-Unis (les « forts ») et suscite des craintes en Afrique (les »faibles »). Sarkozy s’est toujours positionné comme faisant partie des « forts » : les ricanements sur le coût de sa « retraite » n’entament en rien sa crédibilité et au contraire la servent