République mon amour : pourquoi 1789 nous hante toujours
Ah, la France, éternelle scène de théâtre où le rideau ne tombe jamais tout à fait. Cette fois encore, les acteurs s’affrontent dans un remake de la grande querelle entre Jacobins et Girondins, mais avec des costumes d’époque un peu défraîchis et des dialogues empruntés à la chronique politique. À gauche de la scène, Emmanuel Macron, le Jacobin moderne, empereur des injonctions verticales, dont la superbe vacille. Il gouverne Paris comme s’il tenait un sceptre invisible, mais ses ordres tombent dans un vide sonore : il reste le roi d’une capitale qui n’écoute plus. À droite, François Bayrou, le Girondin pastoral, qui choisit Pau comme épicentre symbolique de son républicanisme à la sauce régionale. Pau, ce n’est pas seulement un jeu de mots, c’est un manifeste : ici, on cultive le sol avant la nation, le clocher avant l’État.
Au milieu, s’avance Bruno Retailleau, nouvelle figure de l’intégrisme catholique. Si Macron symbolise la République laïque et Bayrou un certain régionalisme apaisé, Retailleau représente la France des cantiques et des croisades morales. Son catholicisme fervent le place en croisade contre tout ce qui pourrait troubler l’ordre naturel tel qu’il l’imagine : l’euthanasie, l’avortement, et peut-être même l’idée même de changement. Il n’est pas là pour dialoguer ; il est là pour sauvegarder, préserver, immobiliser. Avec Retailleau, on sent presque l’odeur de l’encens dans l’hémicycle, et on entend résonner les cloches d’un conservatisme inébranlable.
Et puis, surgit Marine Le Pen, l’intruse dans cette grande fresque révolutionnaire, ou plutôt, celle qui se rêve comme une Marianne moderne. Ancienne femme de l’extrême droite, la voilà désormais drapée dans le tricolore, clamant qu’elle est la République en personne. Le Pen, c’est la comédie dans la comédie : l’enfant terrible du clan lepéniste devenue soudain la protectrice de la patrie. Son visage, tantôt sévère, tantôt enjôleur, promet une République « apaisée » mais continue de brandir le drapeau d’un certain nationalisme, parfumé d’un encens plus identitaire que religieux. Et tandis qu’elle pose en Marianne, la cocarde sur le cœur, on ne peut s’empêcher de voir, en arrière-plan, l’ombre de son père, toujours prêt à soupirer : « Cela ne se fait pas comme ça, ma fille. »
Et en arrière-plan, bien sûr, Mélenchon. Ah, Mélenchon ! Robespierre des plateaux télé, tribun implacable et anachronique, toujours prêt à s’emporter pour un « peuple » qu’il semble préférer imaginaire. Il en appelle à la Révolution, rêve d’un nouveau 1793, mais dans la confusion d’une époque où le peuple est davantage sur Netflix que dans la rue. Mélenchon, c’est la figure tragique par excellence : il croit encore que les mots suffisent à renverser un monde qui ne les écoute plus. Il est là, sombre et solitaire, prêt à monter sur sa tribune ou, au besoin, sur l’échafaud rhétorique.
Et le public, lui, est-il encore là ? Oui, mais fatigué. Spectateur désabusé, il regarde cette scène en soupirant : « Encore ce vieux duel ? » Car pendant que les planches tremblent sous les invectives jacobines et girondines, le monde, lui, explose littéralement. Les océans montent, les écosystèmes s’effondrent, l’économie mondiale vacille. Mais en France, fidèle à elle-même, on rejoue encore 1789. C’est là tout son génie et sa folie : un pays où l’on préfère la dramaturgie révolutionnaire à l’urgence climatique, la querelle des principes à celle des réalités.
Et que dire de ce contexte quasi psychanalytique ? La France semble coincée dans une boucle temporelle, comme un patient qui rejouerait sans cesse un traumatisme originel. Jacobins contre Girondins, laïcs contre religieux, République contre terroir : tout y est, comme une vieille rengaine dont on ne peut se débarrasser. On pourrait presque entendre Freud murmurer : « Et si la Révolution française était son complexe d’Œdipe ? »
Mais ce théâtre, s’il est tragique, est aussi une comédie. Les personnages se débattent avec des postures grandiloquentes, comme s’ils rejouaient des rôles qu’ils ne comprennent plus. Macron, à la fois Bonaparte et Louis XVI, Bayrou en Danton champêtre, Retailleau en Torquemada d’opérette, Marine Le Pen en Marianne déguisée, et Mélenchon, bien sûr, toujours prêt à décréter la République universelle depuis son salon.
Alors, faut-il en rire ? Oui, il le faut. Parce que si la France est incapable de tourner la page, c’est peut-être parce qu’elle y trouve un étrange réconfort. Et après tout, quel autre pays pourrait rejouer la même pièce depuis deux siècles avec une telle passion ? Tragi-comédie, farce ou mélodrame : peu importe. Tant que le rideau reste levé, la France continue de jouer.
B.Kalaora (socio-anthropologue, enseignant chercheur EHESS, Professeur honoraire de l’UPJV d’Amiens )