Visions marines en devenir : entre dystopie plastique et utopies réparatrices
Notre vision de l’environnement marin subit une transformation profonde. Longtemps perçu comme un espace infini et immaculé, l’océan est désormais au centre des débats sur la durabilité et la réparation écologique. Face aux défis environnementaux, nous sommes poussés à réinterpréter notre relation avec la nature en assumant une responsabilité collective et en adoptant de nouvelles pratiques respectueuses des écosystèmes.
Cet imaginaire marin puise ses racines dans le XIXe siècle, marqué par la peinture et la littérature. Sous le Second Empire, des artistes comme Gustave Courbet, Eugène Boudin ou Claude Monet ont immortalisé les plages et les bains de mer dans des tableaux lumineux et colorés. En littérature, Henri Taine, Guy de Maupassant ou encore Prosper Mérimée ont célébré les rivages et leurs paysages pittoresques. Plus tard, pendant les Trente Glorieuses, le tourisme balnéaire s’est appuyé sur un marketing axé sur le soleil, le sable et la mer, transformant la mer en objet de plaisir et de désir, omniprésent dans les publicités et photographies.
Cependant, cet imaginaire se heurte à une réalité altérée par l’industrialisation et le tourisme de masse. Les tableaux et photos qui idéalisent la mer ont aussi favorisé sa sur fréquentation et son exploitation. La pollution marine, des marées vertes en Bretagne aux plages jonchées de plastiques, remet en question ces visions. Un sondage Ipsos pour le Débat public sur la mer révèle une tension entre ce patrimoine culturel et une prise de conscience écologique croissante.
Les microplastiques représentent un désastre écologique. L’exemple de leur omniprésence est emblématique de la transformation de la mer en un véritable océan de plastique. Invisibles à l’œil nu, ils s’intègrent dans les chaînes alimentaires, s’accumulent dans les organismes marins et finissent dans nos assiettes, impactant ainsi directement notre santé. Par ailleurs des moules voient leur reproduction diminuée, tandis que certains poissons juvéniles ingèrent ces particules au lieu de leur nourriture, compromettant leur croissance. Ces microplastiques, qui finissent également dans nos assiettes, illustrent à quel point notre propre santé est liée à celle des océans. Ils révèlent une crise silencieuse, où notre corps alerte sur un changement que nous ne percevons pas encore pleinement.
La faune marine comme personnage dystopique.
Dans les fictions, la faune marine pourrait être représentée sous une forme presque hybride, transformée par l’omniprésence des microplastiques. On pourrait imaginer des poissons translucides marqués par des veines de plastique coloré, des tortues dont les carapaces deviennent un patchwork de déchets incrustés, ou encore des baleines ayant des masses de plastique dur dans l’estomac, perturbant leur flottabilité naturelle. Ces visions, inspirées par les observations scientifiques actuelles, donneraient naissance à un bestiaire dystopique où l’océan cesse d’être une arche préservée pour devenir un laboratoire d’altération.
La littérature pourrait explorer des récits où des espèces marines s’adaptent étonnamment à cet environnement pollué. Par exemple, un roman pourrait décrire des coraux ayant appris à incorporer des particules de plastique dans leur structure, créant ainsi des récifs artificiels robustes mais étrangers à notre expérience. On pourrait imaginer des méduses dont les filaments se mêlent à des fibres synthétiques, ou encore des crabes utilisant des bouchons de bouteille comme carapaces protectrices.
L’Océan comme miroir de l’anthropocène.
L’impact des micro plastiques sur l’imaginaire pourrait s’inscrire dans une tradition littéraire qui associe l’océan à la démesure humaine. Déjà dans "Moby Dick", Melville faisait de la mer un espace d’exploration autant qu’un reflet des obsessions humaines. Dans l’avenir, les récits pourraient se concentrer sur l’océan comme espace colonisé par les déchets. Un roman contemporain pourrait suivre un équipage de marins confrontés à une "mer plastique", où chaque vague charrie des fragments de bouteilles, de sacs et de filets.
Ce genre de narration pourrait emprunter des chemins philosophiques, explorant l’idée d’un "océan composite" où naturel et artificiel coexistent. Ces récits poseraient des questions sur la définition de la vie, entre nostalgie d’un océan pur et acceptation d’écosystèmes marins transformés. Des fragments de plastique fossilisés pourraient ainsi devenir les "archives" de notre époque.
Fictions post-apocalyptiques et utopies réparatrices
Les microplastiques pourraient servir de point de départ à des récits post-apocalyptiques où l’océan, saturé de déchets, devient invivable, poussant les humains à réinventer leur rapport à cet élément. Dans un tel scénario, la mer pourrait être perçue comme une entité vengeresse, se rebellant contre l’humanité. Par exemple, des tempêtes cataclysmiques pourraient projeter des tonnes de plastique sur les côtes, rendant les zones littorales inhabitables.
Des utopies réparatrices pourraient émerger, décrivant des efforts pour nettoyer les océans et recréer une harmonie. Par exemple, des scientifiques-poètes à bord d’un navire-laboratoire pourraient transformer les microplastiques en œuvres d’art. D’autres récits pourraient évoquer des communautés utilisant des "dévoreurs de plastique" biologiques pour purifier l’eau et restaurer les fonds marins.
Dans ces récits, la mer pourrait être re-sacralisée, non pas comme une entité pure mais comme un lieu de renaissance et de résilience. Ces utopies pourraient aussi inspirer de vraies initiatives humaines, comme le projet The Ocean Cleanup ou des systèmes de filtration des eaux portuaires innovants.
Réinventer la mer : artistes et récits au défi de l’écologie
La vision dystopique d’un océan saturé de microplastiques inspire une nouvelle génération d’artistes contemporains connectés à l’observation scientifique. Ces créateurs, influencés par des résidences artistiques comme celles menées à bord de la goélette Tara, explorent les interactions entre art, écologie et technologie. Les sculptures, peintures et installations qui en résultent traduisent les mutations de la mer en formes visuelles frappantes.
Des sculptures en plastique recyclé figurent des créatures marines hybrides, mêlant fascination et inquiétude. Des peintres explorent les couleurs des reflets artificiels des déchets, montrant une mer où beauté et dévastation coexistent. Certaines installations reproduisent le bruit des vagues mêlé au crissement du plastique, offrant une expérience dérangeante.
Ces artistes, en collaborant avec des scientifiques, utilisent les données et les matériaux récoltés directement dans les océans. Les particules de plastique deviennent des pigments, les filets abandonnés se transforment en toiles, et les statistiques sur la pollution marine sont intégrées dans des œuvres interactives. Par leur travail, ils donnent une voix aux écosystèmes marins silencieux et traduisent la crise environnementale en une esthétique engagée qui nous relient au vivant. (https://www.instagram.com/plduncombe/), (https://www.artshebdomedias.com/article/scopitone-2023-lart-numerique-sera-politique-ou-ne-sera-pas/)
L’omniprésence des microplastiques marque la fin d’un imaginaire romantique de la mer et redéfinit notre perception sociale. Jadis symbole de pureté et d’évasion, la mer reflète aujourd’hui les dysfonctionnements humains altérant profondément la perception des habitants, transformant un patrimoine immuable en une entité vulnérable et hostile.
Ces changements influencent les pratiques sociales et les imaginaires. Des festivals locaux autrefois consacrés à la célébration de la mer, comme les fêtes maritimes, incluent désormais des espaces de sensibilisation aux enjeux écologiques. Les récits des anciens marins, souvent empreints de nostalgie, côtoient les témoignages des jeunes générations, qui expriment une inquiétude face aux changements climatiques et à la pollution.
Dans les arts populaires, la musique et la littérature bretonnes intègrent des thèmes liés à la résilience face aux tempêtes ou à l’adaptation aux marées polluées. Des réalisateurs documentent les impacts de ces phénomènes sur les communautés locales, illustrant comment les marées vertes ou les "pêches fantômes" (filets abandonnés piégeant la faune) reconfigurent l’interaction des humains avec leur environnement.
Le médium de la bande dessinée sensibilise de plus en plus aux menaces sur nos rivages. Des auteurs explorent des thèmes comme le recul du trait de côte ou la submersion, mêlant art et science pour éveiller les consciences. Mais cette prolifération soulève une question : peut-on changer les comportements par les mots et images seules, sans actions concrètes ?
Ainsi, ce paradoxe entre "œuvres sans actes" et urgence écologique met en lumière les efforts artistiques pour produire un imaginaire sensible. Ces créations visent à responsabiliser les populations face à la mer, en rompant avec l'idée persistante d’un espace uniquement au service des plaisirs humains. Pourtant, ces tentatives se heurtent à des comportements ancrés dans l’inconscient collectif.
Par ailleurs, la profusion des arts numériques et des images virtuelles, qui nous invitent à nous reconnecter au vivant, soulève une question cruciale : peuvent-ils vraiment changer nos comportements ou risquent-elles d’accentuer notre éloignement du milieu marin concret ? Ces médiations, en substituant des artefacts à la véritable mer, peuvent réduire l’expérience émotionnelle directe et altérer notre lien avec l’océan réel (Ce constat invite à combiner imagination, engagement politique et gestes concrets pour réconcilier art, science et action.
Kalaora (Janvier 2025)