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Billet de blog 22 janvier 2025

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Vision marine en devenir : entre dystopie plastique et utopies réparatrices

Notre vision de l’environnement marin traverse une transformation radicale, oscillant entre la prise de conscience des dégâts engendrés par nos activités et la recherche de nouvelles façons de coexister avec les écosystèmes marins. Autrefois perçu comme un espace infini et immaculé, l’océan est aujourd’hui au cœur de débats sur la durabilité, l’adaptation et la réparation écologique.

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Notre vision de l’environnement marin traverse une transformation radicale, oscillant entre la prise de conscience des dégâts engendrés par nos activités et la recherche de nouvelles façons de coexister avec les écosystèmes marins. Autrefois perçu comme un espace infini et immaculé, l’océan est aujourd’hui au cœur de débats sur la durabilité, l’adaptation et la réparation écologique. Cette transformation reflète une époque où les défis écologiques nous obligent à réinterpréter notre relation avec la nature, en y intégrant une part de responsabilité collective et une volonté d’agir.

L’impact des microplastiques sur la faune marine est à la fois un désastre écologique et un exemple emblématique des transformations de notre environnement. Bien qu’invisibles à l’œil nu, ces fragments modifient profondément la nature de l’environnement marin, s’intégrant dans les chaînes alimentaires et s’accumulant dans les organismes marins, des plus petits planctons aux grands prédateurs. Leur ingestion provoque des troubles biologiques : blocage des systèmes digestifs, empoisonnement chimique, voire altération des comportements naturels. Par exemple, des études ont montré que des moules et huîtres exposées aux microplastiques ont une réduction de leur capacité de reproduction, tandis que certaines espèces de poissons juvéniles préfèrent manger ces particules colorées plutôt que leur nourriture naturelle, mettant en péril leur croissance.

Ces microplastiques, qui finissent également dans nos assiettes, illustrent à quel point notre propre santé est liée à celle des océans. Ils révèlent une crise silencieuse, où notre corps alerte sur un changement que nous ne percevons pas encore pleinement. Cet exemple met en lumière l’interdépendance entre l’homme et son environnement, soulignant l’urgence de réagir avant que ces transformations ne deviennent irréversibles.

La faune marine comme personnage dystopique

Dans les fictions, la faune marine pourrait être représentée sous une forme presque hybride, transformée par l’omniprésence des microplastiques. On pourrait imaginer des poissons translucides marqués par des veines de plastique coloré, des tortues dont les carapaces deviennent un patchwork de déchets incrustés, ou encore des baleines ayant des masses de plastique dur dans l’estomac, perturbant leur flottabilité naturelle. Ces visions, inspirées par les observations scientifiques actuelles, donneraient naissance à un bestiaire dystopique où l’océan cesse d’être une arche préservée pour devenir un laboratoire d’altération.

La littérature pourrait explorer des récits où des espèces marines s’adaptent étonnamment à cet environnement pollué. Par exemple, un roman pourrait décrire des coraux ayant appris à incorporer des particules de plastique dans leur structure, créant ainsi des récifs artificiels robustes mais étrangers. On pourrait imaginer des méduses dont les filaments se mêlent à des fibres synthétiques, ou encore des crabes utilisant des bouchons de bouteille comme carapaces protectrices.

L’océan comme miroir de l’Anthropocène

L’impact des microplastiques sur l’imaginaire pourrait s’inscrire dans une tradition littéraire qui associe l’océan à la démesure humaine. Déjà dans Moby Dick, Melville faisait de la mer un espace d’exploration autant qu’un reflet des obsessions humaines. Dans l’avenir, les récits pourraient se concentrer sur l’océan comme espace colonisé par les déchets. Un roman contemporain pourrait suivre un équipage de marins confrontés à une "mer plastique", où chaque vague charrie des fragments de bouteilles, de sacs et de filets.

Ce genre de narration pourrait également emprunter des chemins plus philosophiques. On pourrait imaginer un écrivain contemporain explorant l’idée d’un "océan composite", où le naturel et l’artificiel coexistent, posant des questions sur la définition même de la vie et de la nature. Ces récits pourraient refléter une tension entre la nostalgie d’un passé où l’océan était pur et la nécessité d’accepter une nouvelle réalité où les écosystèmes marins deviennent des artefacts vivants. Par exemple, des fragments de plastique fossilisés dans les sédiments sous-marins pourraient devenir des "archives" de notre époque.

Fictions post-apocalyptiques et utopies réparatrices

Enfin, les microplastiques pourraient servir de point de départ à des récits post-apocalyptiques où l’océan, saturé de déchets, devient invivable, poussant les humains à réinventer leur rapport à cet élément. Dans un tel scénario, la mer pourrait être perçue comme une entité vengeresse, se rebellant contre l’humanité. Par exemple, des tempêtes cataclysmiques pourraient projeter des tonnes de plastique sur les côtes, rendant les zones littorales inhabitables.

À l’inverse, des utopies réparatrices pourraient également voir le jour, décrivant des efforts humains pour nettoyer les océans et recréer une harmonie avec les écosystèmes marins. Une histoire pourrait suivre un groupe de scientifiques-poètes qui, à bord d’un navire-laboratoire, collectent les microplastiques pour les transformer en œuvres d’art, tentant de réconcilier la beauté avec la dégradation. Une autre pourrait imaginer des communautés côtières vivant en symbiose avec des technologies avancées, utilisant des "dévoreurs de plastique" biologiques pour purifier l’eau et redonner vie aux fonds marins.

Dans ces récits, la mer pourrait être re-sacralisée, non pas comme une entité pure mais comme un lieu de renaissance et de résilience. Ces utopies pourraient aussi inspirer de vraies initiatives humaines, comme le projet The Ocean Cleanup ou des systèmes de filtration des eaux portuaires innovants.

 Quelles conséquences sur la production artistique contemporaine

La vision dystopique d’un océan saturé de microplastiques inspire une nouvelle génération d’artistes contemporains, souvent connectés à la science et à l’observation. Ces créateurs, influencés par des résidences artistiques comme celles menées à bord de la goélette Tara, explorent les interactions entre art, écologie et technologie. Les sculptures, peintures et installations qui en résultent traduisent les mutations de la mer en formes visuelles frappantes.

Par exemple, des sculptures monumentales en plastique recyclé représentent des créatures marines hybrides, à la fois fascinantes et inquiétantes. Des peintres explorent des palettes de couleurs inspirées des reflets artificiels des déchets dans l’eau, créant des paysages marins où la beauté et la dévastation coexistent. Certaines installations immersives reproduisent le bruit des vagues mêlé au crissement du plastique, plongeant le spectateur dans une expérience sensorielle dérangeante.

Ces artistes, en collaborant avec des scientifiques, utilisent les données et les matériaux récoltés directement dans les océans. Les particules de plastique deviennent des pigments, les filets abandonnés se transforment en toiles, et les statistiques sur la pollution marine sont intégrées dans des œuvres interactives. Par leur travail, ils donnent une voix aux écosystèmes marins silencieux et traduisent la crise environnementale en une esthétique engagée.

Vers un nouveau récit marin

L’omniprésence des microplastiques ne signe pas seulement la fin d’un imaginaire romantique de la mer, elle redéfinit également en profondeur notre imaginaire social. La mer, jadis associée à l’idéal de pureté et d’évasion, devient aujourd’hui un miroir des dysfonctionnements humains. Elle nous force à réévaluer les relations entre les sociétés côtières et leur environnement. Par exemple, en Bretagne, les pollutions par les algues vertes, liées à l’agriculture intensive, combinées aux tempêtes de plus en plus fréquentes, modifient en profondeur la perception des habitants. Autrefois perçue comme un patrimoine naturel immuable, la mer est aujourd’hui vue comme une entité vulnérable et parfois hostile.

Ces changements influencent les pratiques sociales et les imaginaires. Des festivals locaux autrefois consacrés à la célébration de la mer, comme les fêtes maritimes, incluent désormais des espaces de sensibilisation aux enjeux écologiques. Les récits des anciens marins, souvent empreints de nostalgie, côtoient les témoignages des jeunes générations, qui expriment une inquiétude face aux changements climatiques et à la pollution.

Dans les arts populaires, la musique et la littérature bretonnes intègrent des thèmes liés à la résilience face aux tempêtes ou à l’adaptation aux marées polluées. Des réalisateurs documentent les impacts de ces phénomènes sur les communautés locales, illustrant comment les marées vertes ou les "pêches fantômes" (filets abandonnés piégeant la faune) reconfigurent l’interaction des humains avec leur environnement.

Parallèlement, le médium de la bande dessinée joue un rôle croissant dans la sensibilisation aux menaces pesant sur nos rivages. Des dessinateurs informés des enjeux environnementaux explorent des thèmes tels que le recul du trait de côte, la submersion et leurs conséquences humaines et écologiques. Par des récits visuellement percutants, ces bandes dessinées conjuguent art et science pour éveiller les consciences et provoquer l’empathie. Cependant, cette prolifération de créations éditoriales, artistiques et médiatiques pose une question essentielle : peut-on véritablement changer les comportements par le seul biais des mots et des images ? Alors que la foultitude de colloques et initiatives consacrés à l’océan semble avoir un impact limité sur les pratiques humaines, il existe un risque que l’environnement marin devienne un objet de fascination esthétique et publicitaire, sans aboutir à des transformations concrètes.

Ainsi, ce paradoxe des "mots, dessins et œuvres sans actes" révèle une tension fondamentale entre le besoin de créer des récits pour alerter et l’urgence d’agir pour préserver l’océan. Ce constat devrait encourager non seulement des gestes artistiques et discursifs, mais aussi des engagements politiques et pratiques tangibles, en vue de réconcilier imagination et action.

                                                             Kalaora (Janvier 2025)

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