La grève des gérants de station-service dela Réuniona pris fin le Dimanche soir 2 Février après quatre jours de blocage de l’activité économique de l’île. Je rappelle que cette grève avait pour motif la peur des quelques 140 gérants de station-service de ce territoire de voir leurs marges rognées par le projet de décret du Ministre des Outre-mer ayant pour objectif final de diminuer les bénéfices des pétroliers avec pour conséquence la baisse des prix des carburants à la pompe. Ces gérants craignaient, du moins c’est ce qu’ils donnaient à entendre, que les pétroliers (ils sont quatre àla Réunion : Total, Shell, Engen, Tamoil qui passent tous parla SociétéRéunionnaisede Produits Pétroliers ou SRPP qui gère les stocks ) ne se rattrapent sur leurs marges à eux. D’où l’importance de la discussion au Ministère des Outre-mer sur le fameux décret de méthode qui devait éclaircir, si j’ai bien compris, le mode de calcul des prix qui a abouti à un clash et à la décision de la grève. Il semble que la reprise en mains du dossier par le Préfet avec l’aval de Matignon ait permis au bout de deux jours de tractations de débloquer la situation ce Dimanche.
J’ai déjà donné mon sentiment sur l’abus de position dominante que constitue cette grève. Je n’y reviendrai pas. Mon propos est d’analyser le déroulement de ces évènements et surtout la communication qui a été utilisée par ces patrons représentés par leur leader qui a occupé tout l’espace médiatique durant cette période. A mon sens les arguments utilisés pendant cette grève , que ce soit pour en justifier le début ou pour en expliquer la fin, font abusivement appel à des sentiments qu’on pourrait qualifier globalement d’identitaires mais qui relèvent en fait de la plus banale manipulation de l’opinion , à première vue. Mais ce n’est pas que cela. Dans le contexte réunionnais les affects mobilisés par ce leader ont une résonance particulière mais ils relèvent surtout de la plus parfaite malhonnêteté intellectuelle, dans l’absolu, et s’inscrivent malheureusement dans une filiation historique bien établie. D’où le titre de ce billet.
La prose de ce représentant des patrons a attiré mon attention dès l’échec des négociations à Paris, l’avant-veille de la grève. En effet, il a fait état à ce moment-là du comportement inadmissible du représentant du ministre M. Dahan qu’il a qualifié de méprisant à l’égard de la délégation ces patrons ultra-marins. Il a ajouté (je cite de mémoire) que cette personne avait l’air de croire que les Réunionnais « vivaient encore en s’habillant d’un pagne et avec un os dans le nez ». Ce qui me choque dans ces paroles c’est qu’il s’approprie une image coloniale traditionnelle qui concerne certes les habitants du sud en général mais les habitants noirs , pas les Blancs comme lui qui sont les descendants des maîtres (même s’il doit être un peu métissé et ses ancêtres ruinés après l’abolition de l’esclavage). Il a sûrement voulu par ce subterfuge s’attirer les bonnes grâces du peuple réunionnais dont il allait pourrir la vie pendant une période « illimitée » et de ses employés corvéables à merci et payés au smic dans le meilleur des cas. Ainsi ce petit patron de choc s’attribue une histoire et un imaginaire qui ne lui appartiennent pas pour faire « peuple » et obtenir le qualificatif « gentil » ou « pas fier » ce qui lui assure une sympathie sans limite auprès de la population. Cette imposture est aussi largement utilisée par les hommes politiques. Cette confusion volontaire contribue à obscurcir un peu plus notre histoire, celle du petit peuple réunionnais, qui a déjà beaucoup de mal à sortir des ténèbres.
Par la suite d’autres réflexions pendant la grève m’ont fait comprendre que cet homme (et peut-être cette corporation) avait une conception particulière de la vie sociale. Le Préfet ayant réquisitionné quelques stations-services pour les urgences vitales , celles-ci devaient rester ouvertes de 8h à 12 h et de 14 h à 16h. Ces horaires n’ont pas eu l’heur de lui plaire car, disait-il, il n’était « au service des autres ». Ah! le brave homme! C’est toute une « culture ». Et il ose faire appel à mon sens de la solidarité !
C’est , en effet, le thème qu’il a décliné à la fin de la grève pour se donner une image de leader raisonnable et pétri de bonne volonté , exhaltant la légendaire solidarité qui aurait cours dans la société réunionnaise et dont il est bien entendu un représentant parfait. Néanmoins, tout le monde a pu remarquer son agacement difficilement contenu devant l’insistance de la journaliste d’Antenne Réunion (http://www.linfo.re/Videos?ps=891525) qui voulait savoir absolument quelles étaient les avancées obtenues au cours des discussions avec le Préfet. Quelques instants plus tard il a été plus zen face à celle de Réunion 1ère qui a été plus « gentille ». Toutefois on n’a pas su pourquoi il a décidé de mettre fin à la grève à l’issue d’une parodie de consultation de la base qui a consisté en un vote à main levée devant les grilles dela SRPP par une soixantaine de personnes (employés et gérants) sur les 1500 employés et les 140 gérants concernés. L’Histoire retiendra que gérants et pétroliers sont sortis satisfaits de ces discussions. Sur quelles bases ? Qu’est-ce qui a changé ? Nous n’en saurons rien. C’est trop « technique » pour nous. Ce qui reste à notre portée c’est de subir les inconvénients d’une grève aux motifs obscurs, de payer notre carburant au prix qu’on nous impose sans aucune autre alternative. Nous restons dans la grande tradition coloniale. Mais Français. La magie du verbe pérennise l’imposture.