Grève des gérants des stations-services à la Réunion : mon kozman (ma parole).
Depuis ce matin 30 Janvier 00h00 la plupart des stations-services deLa Réunionsont fermées pour cause de grève illimitée de leurs gérants. Celles qui sont restées ouvertes seront vite à sec , les livraisons de carburant étant bloquées par les grévistes sur le site du grossiste ,la SRPP(Société Réunionnaise de Produits Pétroliers).
Les raisons de cette action telles qu’elles sont résumées par le représentant des gérants se ramènent si j’ai bien compris à la peur d’une baisse de leur marge bénéficiaire suite à la décision du Ministre des Outre-mers Victorin Lurel de limiter la marge des pétroliers. Ces gérants craignent que les grossistes ne se rattrapent sur leur marge ce qui , selon leurs dires , les mettraient en grand péril et les obligerait à licencier du personnel. Ils demandent donc le report du décret qui devrait parait paraître le 1er Février au JO. Une réunion s’est tenue avant-hier à Paris à ce sujet. Celle-ci s’est soldée par un échec. La raison de l’échec avancée par les gérants est la mauvaise volonté du représentant du ministre qu’ils qualifient même de méprisant à leur égard. Le ministre quant à lui rappelle les 99 millions d’Euros de bénéfices des pétroliers outre-mer dans les régions Caraïbes et Océan Indien et souhaite les faire baisser de 13 millions et pense ainsi faire bénéficier au consommateur d’une diminution de 2 à 5 centimes par litre de carburant à la pompe. Il reproche à ces distributeurs de vouloir par des manœuvres détournées remettre en cause ce processus qui semble à première vue ne pas les concerner directement mais plutôt le grossiste qui, d’ailleurs , ne dit rien. Je m’interroge.
Il convient d’ajouter , pour avoir une idée assez précise du contexte , que la SRPPa le monopole de l’importation et du stockage du carburant à la Réunion.Donc chez nous il n’y a aucune concurrence , même formelle , dans ce domaine.
Voilà , grossièrement , et sans doute incomplètement, planté le décor de cette grève telle que je la perçois comme consommateur et professionnel ayant un besoin vital de sa voiture pour travailler.
Dès lors des pensées étranges ont envahi mon esprit hier matin pendant je « patientais » pendant plus de deux heures dans une file interminable de voitures à l’entrée de la station-service de mon quartier. En effet, me disais-je : « Qu’ai-je donc fait ? De quoi suis-je donc responsable pour mériter un tel traitement ? Pourquoi dans une démocratie des citoyens comme moi ont-ils le pouvoir de me nuire , de me faire perdre mon temps , de me faire perdre de l’argent , de nuire à mes clients ? Pourquoi s’être battu , d’une manière ou d’une autre , contre les dictateurs de notre temps comme Hitler , Staline, Mao, Franco, Castro et autres si c’est pour se retrouver otage impuissant d’un dictateur de quartier dont les revendications sont peut-être justifiées mais dont la satisfaction n’est pas de mon ressort ? ». Je me demande aussi pourquoi cette situation de monopole n’est-elle pas assortie d’une obligation de service public ?
Je me dis aussi que le pouvoir économique dans une petite île comme la Réunionest assez particulier et porte toujours l’empreinte des habitudes coloniales ancestrales. Je veux dire par cette réflexion que deux caractéristiques remarquables de cette société coloniale perdurent dans notre société départementale ou post-coloniale. Ces deux caractéristiques sont d’une part la remarquable entente entre les différents acteurs économiques (sauf rares exceptions) pour pratiquer des prix anormalement élevés et d’autre part la connivence traditionnelle entre le pouvoir économique et les autres formes de pouvoir tels que le pouvoir administratif , intellectuel, religieux, etc….
Ces affirmations peuvent paraître gratuites dans un monde moderne mais si on est attentif à ce qui se passe dans la vie réelle on s’aperçoit vite que les règles du jeu sont faussées. Il suffit de voir toutes les explications alambiquées fournies par les importateurs pour justifier les prix de détail pour comprendre que la transparence n’est pas de notre monde. A titre personnel il m’est arrivé de constater de visu des manipulations sur les prix de ma grande surface préférée et cela a suffi pour me convaincre. Il s’agit du prix des agrumes. Ceux-ci , originaires d’Afrique du Sud, étaient à un certain prix assez élevé à un moment donné. Puis est arrivée la saison de la récolte àla Réunionet les produits locaux étaient vendus alors à un prix nettement inférieur. Mais cela n’a pas duré. Deux jours plus tard le prix des agrumes importés était passé sous celui des agrumes locaux , ce qui représentait , si mes souvenirs sont bons , une baisse de plus de 30% immédiate.
Le pouvoir économique réunionnais donne l’impression d’avoir changé de nature depuis la départementalisation mais je pense que cette impression est fausse. En fait, au cours des décennies , depuis la profonde mutation capitaliste « moderne » post-esclavagiste ce pouvoir a toujours été en perpétuelle évolution mais avec un noyau historique qui donne le tempo et auquel se réfèrent et se raccrochent tous les détenteurs du pouvoir venus de tous les coins du monde , pas seulement de métropole.
Un exemple de cette connivence ou convergence d’intérêts qui se fait par-dessus la tête des Réunionnais est l’idée saugrenue , qui personnellement m’a profondément choqué , de baptiser un centre culturel , je dis bien « culturel », d’une commune du sud du nom d’un ancien gros propriétaire esclavagiste du XIXème siècle qui possédait pratiquement le tiers de l’île à un moment donné jusqu’à obtenir le droit de battre monnaie. A ma connaissance personne n’a protesté. Si on ajoute que cela s’est fait sous le règne d’un maire descendant de ceux qu’on nomme ici les « Gros Blancs » (contrairement aux « Petits Blancs » qui eux sont aussi blancs mais pauvres) , que ce maire , en prélude à sa campagne électorale , a présenté dans la presse un gros projet immobilier pour la ville avec le soutien de gros commerçants de l’île dont l’un est propriétaire de l’un des deux quotidiens du département , on comprend comment s’exerce le pouvoir ici et admettre que la démocratie n’est qu’une illusion.
Dans ce contexte la « révolte » des gérants de station-service qui consiste à prendre en otage le peuple réunionnais a un arrière-goût de manipulation colonialiste et mafieuse qui ne contribue guère à l’évolution démocratique de notre société.