Les dominants sont dominés par leur domination disait Pierre Bourdieu. Et les dominés légitiment et acceptent volontairement leur sort continuait-il. Ces affirmations n'ont jamais autant été d'actualité.
Notre époque concilie de nombreux paradoxes, dont cet état qui conditionne un mal-être individuel et général. L'état du monde, de l'humanité et plus largement du vivant, n'a jamais été dans une situation aussi symptomatique d'une incompréhension et d'un malaise profond.
D'abord, par sa présence (sept milliards, nous n'avons jamais été aussi nombreux) et son impact, l'humain n'a jamais autant modifié son environnement. De part sa domination envers la nature, ses décisions sont de caractère unilatéral et intéressé. Les prises de décision de ces dernières décennies anticiperont notre extinction et plus largement celui du vivant. Au fond de nous, nous savons. Nous savons tous. De quelques origines que nous soyons, quelques richesses que nous ayons, quelques connaissances que nous détenions, nous le savons. C'est parfaitement visible. De plus en plus chaque jour. Mais nous ne faisons rien, ou si peu.
Cela tient à la relation des dominants et des dominés. Les seconds, bien plus nombreux, et grands perdants de notre époque, éprouvent ce sentiment d'injustice qui s'apparente souvent à de la colère. Les dominants, peu en nombre, détiennent un pouvoir lié à leurs patrimoines. Propriétaires de multinationales, influenceurs politiques, propriétaires de médias et sociétés d'édition et de distributions, ils orientent la colère des dominés. A force de répétition de théories simplistes, de culpabilisation et de stigmatisation, ils obtiennent le résultat attendu. Une population aveugle et sourde au malheur et à la misère qui se développe. Une intolérance à la différence se joint à une critique haineuse pour légitimer des propos d'une violence nouvelle, moins par son originalité que sa magnitude.
La stratégie de nos dominants économiques et politiques n'est pas d'une grande finesse et nous amènera inéluctablement vers les voies du conflit et de la désolation. Ils le savent sans aucun doute, mais ne veulent, ou plus inconsciemment, ne peuvent donner le crédit nécessaire. Ils ne sont pas capables d'une remise en question qui remettrait en cause leurs acquis, et plus largement leurs croyances et assises culturelles.
Le modèle sociétal qui empreigne notre environnement depuis plus d'un siècle, porté par une excroissance d'un besoin de liberté au déficit de l'égalité et plus encore de la fraternité ne laisse que peu de place à l'échange objectif et l'initiative collective.

Loin de moi de sacraliser ce constat et en faire un état inéluctable. Tout ce qui se fait se défait. Plus encore, l'observation des chemins pris par la vie pour se renouveler nous permet de dévaluer le fatalisme ambiant. Non seulement tout peut changer, mais il est fort probable que le changement soit imminent. "L'espérance est l'improbable" dit Edgar Morin. Improbable moins dans le sens d'exceptionnel que d'inattendu.
Chaque analyse éclairante, chaque prise de conscience, chaque prise de position, chaque indocilité, chaque preuve de courage en contradiction avec ces mouvements de domination sont des actions qui permettront l'improbable.