I/Une réglementation… inexistante
Contrairement à ce qu’on pourrait croire de prime abord, il n’existe aucun texte, législatif ou réglementaire, qui encadre le pavoisement de drapeaux sur les mairies. Certains édifices publics, comme les écoles, ont obligation d’apposer le drapeau tricolore et européen sur leur façade (article L111-1-1 du code de l’éducation). Mais pour ce qui concerne les mairies, il n’existe à ce jour ni obligation, ni interdiction, ni encadrement de quelque sorte que ce soit. Certaines préfectures mettent en revanche à disposition des recommandations, sans valeur normative.
Les communes peuvent donc sur le principe gérer leur façade comme bon leur semble: cela signifie qu’elle peuvent, potentiellement, mettre tout drapeau de leur choix, qu’il s’agisse d’un drapeau national ou de tout autre symbole ( pourquoi pas le blason de la localité, ou le logo du département).
Le juge administratif a cependant eu l’occasion de cadrer cette pratique.
II/Les limites définies par le juge administratif
Historiquement, le juge administratif opère un contrôle sur deux points en la matière. Le premier, anecdotique pour ce qui nous intéresse car relevant d’un simple élément de procédure, concerne l’autorité compétente. Le juge estime en effet, de manière constante, qu’en l’absence de disposition spécifique conférant au maire un tel pouvoir, il revient au conseil municipal, via une délibération, de prendre toute décision relative au pavoisement. En l’absence, la décision, qu’elle ait été prise par arrêté ou qu’elle ne soit matérialisée par aucun acte, est systématiquement annulée.
Le second point concerne la neutralité du service public. Toute commune qui affiche en façade de mairie un message à caractère politique ou religieux, s’expose à voir cette décision d’affichage annulée. Il en a été ainsi par exemple de la banderole déployée en 2023 par Grenoble, prenant position contre le réforme des retraites (TA Grenoble, 29 mars 2023, n° 2301656). Il en a été également de même, bien plus tôt en 2005, lorsque la commune de Saint-Anne, en Martinique, avait apposé sur le fronton de la mairie un drapeau rouge vert noir, symbole de la lutte anticoloniale et à l’époque non officiel. Dans cette affaire, le juge avait estimé que, bien que n’étant pas l’emblème d’un parti politique déterminé, le drapeau exprimait une revendication politique de certains mouvements martiniquais, et que sa présence contrevenait donc au principe de neutralité (Conseil d’Etat, 27/07/05, n°259806).
Le tribunal administratif de Versailles a également apporté récemment une contribution intéressante sur le sujet, dans son jugement n°2208477 du 20 décembre 2024. Il s’agissait ici de savoir si la commune de Saint-Germain-en-Laye pouvait maintenir le drapeau ukrainien qui avait été apposé sur le fronton. Le juge, pour motiver l’absence d’atteinte à la neutralité du service public, a d’abord rappelé “l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie”, en affirmant que la commune avait cherché à exprimer “symboliquement sa solidarité envers une nation victime d’une agression militaire”. Il a par ailleurs considéré que cette initiative de pavoisement, partagée par plusieurs autres communes françaises et encouragée par le ministère de la cohésion des territoires, ne pouvait dès lors symboliser une revendication des opinions politiques du maire.
Le juge s’est donc ici fondé sur deux éléments pour retenir l’absence d’atteinte à la neutralité: le caractère purement solidaire de l’action, en lien avec une situation géopolitique claire entre un agresseur et une victime, et le caractère consensuel, l’initiative étant partagée et encouragée par l’Etat. Ces critères sont cependant assez flous, et le juge semble de surcroît les adapter en fonction du contexte.
III/Une solution à géométrie variable
En fait, l’appréciation que doit porter le juge est purement casuistique. Il est amené à essayer d'évaluer l’intention de solidarité d’un conseil municipal, et à la mettre en balance avec le potentiel sous-texte politique qui serait porté, ce qui est un exercice éminemment subjectif et sensible.
Dans une récente ordonnance de référé, le juge de l’urgence (tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 20 juin 2025, n°2510707) a, par exemple, et a rebours du tribunal administratif de Versailles concernant le drapeau ukrainien, suspendu la décision de pavoisement du drapeau palestinien. Pourtant, la commune s’était manifestement bien inscrite dans la jurisprudence récente, puisque la décision évoquait une “expression de solidarité” avec une “nation victime d’une opération militaire”, et qui prend place dans le cadre de l’opération de coopération décentralisée pour la Palestine, menée par le ministère des affaires étrangères. Le juge de l’urgence a cependant estimé qu’il y avait un doute sérieux sur la légalité de l’acte, en motivant sa décision de façon assez évasive:
“Compte tenu du contexte international sensible dans lequel s’inscrit la démarche de la commune de Gennevilliers, le pavoisement d’un drapeau, symbole politique d’une autorité étrangère, sur le parvis de son hôtel de ville, témoigne, selon les écritures mêmes de la commune, de l’expression d’une solidarité envers « une nation victime d’une opération militaire » et s’inscrit dans un contexte de « soutien à la reconnaissance d’un Etat palestinien ». Ainsi, l’action menée par la commune ne peut être regardée comme se référant seulement à un soutien humanitaire à la seule population civile palestinienne de Gaza”.
A la lecture de ce considérant, on ne sait pas trop comment fonctionne l’articulation entre le contexte international sensible, le drapeau comme symbole politique d’une autorité étrangère, et la justification de la commune.
Si l’argument consistant à considérer la revendication de reconnaissance de l’Etat palestinien comme ayant un caractère politique tient en effet juridiquement (et encore, on pourrait opposer que le chef de l’Etat lui-même a engagé la France dans un début de processus de reconnaissance, vidant au moins en partie de sa substance le caractère politique de la revendication) et fragilise la décision de la commune, on ne sait pas quel poids ou quel sens a entendu donner le juge aux autres éléments composant sa motivation. Leur présence interroge d’ailleurs: notamment, le “contexte international sensible” est une formule qui pourrait s’appliquer à de nombreuses situations de conflits armés, et en premier lieu la guerre en Ukraine. On comprend ici, entre les lignes, que le juge évoque plutôt le caractère polémique des débats autour du conflit israélo-palestinien, et qu’il entend fermer la porte à toute manifestation de solidarité dès lors que la société française est traversée par ces conflits.
C’est par ailleurs une lecture que le juge des référés du tribunal administratif de Nice a confirmé, dans deux ordonnances du 26 juin 2025 (n°2503174, n°2503369). Saisi par des administrés de la commune de Nice, le juge de l’urgence a estimé en substance que, bien que l’intention d’origine du pavoisement soit un acte de solidarité envers le peuple israélien au lendemain du 7 octobre 2023, le passage du temps et l’évolution de la situation militaire et géopolitique font que le maintien du drapeau israélien sur le fronton de la mairie doit être désormais interprété comme un soutien à l’Etat israélien, et donc comme la revendication d’une opinion politique. Le juge du tribunal administratif de Nice reprend également la formule de son confrère de Cergy Pontoise, en précisant, de façon conclusive, que “ les drapeaux [sont] au demeurant les symboles politiques d’une autorité étrangère”, comme pour rappeler que, de toute façon et peu importe au final les circonstances, le pavoisement de drapeaux étrangers reste un acte politique, plus ou moins toléré donc.
Conclusion
Le juge administratif tâtonne sur l’application du principe de neutralité des services publics aux cas d’espèces. Si on observe une similarité dans l’argumentaire pour les recours concernant le drapeau palestinien et israélien, visant à assurer un égal traitement sur le fondement du “contexte international sensible” et éviter ainsi la critique d’un juge partial, on constate aussi que sa motivation reste assez floue, ou à tout le moins non stabilisée, notamment au regard des jugements rendus précédemment.
On peut aussi noter, dans ce contexte juridique et politique, une forme d’instrumentalisation du juge par les préfets, ces derniers étant invités par le pouvoir central à déférer promptement certains pavoisements (drapeau palestinien à Gennevilliers et dans d’autres communes) et à laisser passer certains autres.
Les jugements au fond de ces récentes affaires en référé pourront apporter un éclairage jurisprudentiel complémentaire, a fortiori si le contentieux se poursuit en appel et devant le Conseil d’Etat, mais on pourrait aussi penser qu’une précision par la loi permettrait peut être de régler cette question de façon plus claire et définitive.