Kandem (avatar)

Kandem

Juriste en droit public

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 avril 2022

Kandem (avatar)

Kandem

Juriste en droit public

Abonné·e de Mediapart

Projet du RN : modifier la constitution par référendum est-il souhaitable ?

Marine Le Pen propose, si elle est élue Présidente de la république, de modifier la Constitution par référendum. Ce procédé, au delà même des questions de sa faisabilité sur le plan juridique, est utilisé pour parer le programme du Rassemblement National d'une légitimité démocratique incontestable. Pour autant, l'expression directe du peuple est-il le seul fondement de nos démocraties modernes ?

Kandem (avatar)

Kandem

Juriste en droit public

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1/ Un outil institutionnel détourné de son usage

Parler de référendum c’est parler de nos institutions, et à ce titre il est important de comprendre de quoi il est précisément question, le débat pouvant s’avérer technique.

La Constitution de la Vème république, en vigueur depuis 1958, dispose à son article 3 que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La mise en œuvre de ce procédé peut se faire de deux manières. D’une part en utilisant l’article 11, pour soumettre « tout projet de loi » relatif à l’organisation des pouvoirs ou encore à la politique économique, sociale et environnementale du pays ; et d’autre part en utilisant l’article 89, seul article du Titre XVI relatif à la révision de la constitution, pour précisément entériner une réforme constitutionnelle votée préalablement en termes identiques par l’Assemblée Nationale et le Sénat.

Cela signifie que le peuple peut être consulté soit pour voter seul une loi ou prendre une décision à valeur législative, soit pour finaliser une procédure de révision, mais dont la rédaction est contrôlée et éventuellement amendée par les députés et sénateurs. Cette dualité de procédure permettant ainsi au peuple d’être facilement consulté pour les lois, mais d’être seulement co-acteur pour les modifications constitutionnelles, afin d’éviter de trop nombreuses ou de trop dangereuses révisions par les majorités politiques successives.

 Or, le Rassemblement National a assuré à plusieurs reprises qu’il ferait usage de la procédure prévue par l’article 11 pour faire passer leur réforme constitutionnelle, enjambant ainsi l’article 89 qui s’applique en principe. Un coup de force institutionnel justifié selon Marine Lepen par une référence historique, celle de Charles De Gaulle proposant, en 1962, une révision constitutionnelle directement au peuple par utilisation de l’article 11, afin d’instaurer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Cependant, beaucoup de constitutionnalistes sont aujourd’hui d’accord pour dire que cette utilisation de l’article 11 n’est pas conforme à la constitution, et qu’elle pourrait donc être retoquée par le conseil constitutionnel, qui est désormais compétent pour contrôler les décrets de convocation ou d’organisation du référendum (voir notamment les décisions « Hauchemaille » rendues en 2000). La non-conformité était par ailleurs, déjà à l’époque, la conclusion juridique officieuse du conseil constitutionnel (https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/aux-origines-de-l-election-du-president-par-les-francais-un-coup-de-poker ).

Dans une telle situation, une Le Pen Présidente pourrait alors choisir délibérément de s’affranchir du contrôle du juge, ce qui créerait une crise institutionnelle et politique profonde.

Mais alors, pourquoi n’est-il pas possible de modifier la constitution facilement, en consultant uniquement le peuple souverain ? Pourquoi protéger ce texte plus que les autres ? Pour une raison simple : la constitution joue un rôle majeur dans les démocraties modernes.

2/Légitimité populaire contre respect des normes : à quoi sert politiquement une constitution ?

Dans nos démocraties modernes, les constitutions ont trois rôles principaux. Le premier, c’est celui d’organiser nos institutions, c’est-à-dire de déterminer les compétences, les missions et les interactions entre le Parlement, le gouvernement, les collectivités territoriales, les entités supra-nationales, ou d’autres organes tel que le conseil économique, social et environnemental. Peut-être plus important encore, les constitutions sont garantes de la séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, condition de la démocratie et de l’existence de contre-pouvoirs. Enfin, les constitutions sont aussi garantes de la protection des droits fondamentaux, c'est-à-dire des droits consacrés, chez nous, principalement par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, par le Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que par la Charte de l’environnement de 2004. Ces textes, dont le conseil constitutionnel est le gardien, appartiennent depuis plusieurs décennies à ce que l’on appel le « bloc de constitutionnalité », c'est-à-dire l’ensemble des écrits sur lesquels le juge constitutionnel se base pour opérer son contrôle. Ils permettent aujourd’hui de protéger aussi bien des droits et libertés individuelles (liberté d’expression, inaliénabilité des droits humains) que des droits dits sociaux (droit à l’action syndicale et à la grève, consacrés au lendemain de leur piétinement par le fascisme et le nazisme).

Ces droits fondamentaux sont le fruit d’une histoire française et européenne, d’une philosophie politique partagée par le plus grand nombre, selon laquelle chaque individu bénéficie de droits naturels dont le respect est indiscutable. Leur consécration dans les textes de valeur constitutionnelle est donc éminemment importante, car leur présence écrite octroie une protection effective aux gens vivant sur le sol français.

Plus encore que leur formalisation textuelle, c’est aussi leur protection institutionnelle qui est garantie, avec des procédures de révision constitutionnelle relativement verrouillées, afin de se prémunir de ce que certains philosophes et politistes, tels que Tocqueville, ont appelé la tyrannie de la majorité. Ce concept est plutôt clair : il s’agit d’une situation, où, bénéficiant d’un pouvoir total et non borné, une expression majoritaire est en mesure de contraindre, de persécuter ou d’opprimer une minorité. Pour éviter cette situation, un certain nombre de droits et libertés ont été constitutionnalisés et protégés par un contrôle juridictionnel, instaurant ainsi un équilibre entre conduite des choix de la nation par une majorité politique, intrinsèquement volatile, et protection pérenne des minorités et de leur expression.

Nos démocraties ont donc mûries avec cette histoire et ces philosophies politiques. Bien sûr, l’expression populaire directe bénéficie, à raison, d’une forte légitimité, et est un fondement essentiel de l’exercice de la souveraineté. Mais ce n’est pas la seule composante. Consacrer des droits fondamentaux pour tous est un objectif nécessaire, non seulement pour protéger les minorités, mais aussi au nom de la sauvegarde même de la démocratie.

En effet, revenir sur les droits individuels et sociaux, c’est au final revenir sur le pluralisme, sur l’organisation de contre-pouvoirs, sur la libre émergence de forces politiques et sociales de contestation. C’est la confiscation, par une majorité, des fondements mêmes de la vitalité démocratique. Leur protection est donc tout à la fois une nécessité philosophique, éthique, politique, institutionnelle et démocratique.

Modifier la constitution sans limitation par seule voie référendaire n’est donc pas souhaitable, puisqu’elle exposerait la norme la plus haute de notre pays à des modifications potentiellement régulières, profondes, abruptes, qui seraient donc vectrices d’instabilité, d’insécurité juridique, d’oppression politique et de décisions non consensuelles. Le référendum deviendrait dès lors une arme politique disproportionnée, non pas aux mains du peuple mais aux mains des majorités élues, qui en détermineraient la question, le contenu, les contours et l’argumentaire. Et lorsque l’on voit que le projet de Marine Lepen a pour ambition précisément de revenir sur les droits fondamentaux pour appliquer un système de discrimination généralisé, on ne peut que se dire deux choses : oui il est nécessaire de protéger nos normes constitutionnelles, et non, il n’est pas responsable de tester la résistance de nos institutions en laissant un tel projet l’emporter.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.