La délivrance de l’agrément par le 1er ministre
En 2021, Jean Castex délivre le renouvellement d’agrément à l’association Anticor. Conformément au décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 relatif aux conditions d’agrément des associations de lutte contre la corruption, le 1er ministre regarde si celle-ci répond aux différents critères énumérés. Il note, dans son arrêté du 2 avril 2021, qu’eu égard à certains éléments tenant au fonctionnement de l’association, des doutes sur le caractère désintéressé et l’indépendance de ses activités passées sont soulevés. Pour autant il estime qu’un certain nombre de promesses formulées lors de l’instruction (recours à un commissaire aux comptes, refonte des statuts) sont de nature à permettre le renouvellement.
C’est cette partie de l’arrêté du 1er ministre qui va servir de faille juridique exploitée par d’anciens membres d’anticor pour contester l’agrément. De son côté, l’association Anticor affirme qu’il s’agit d’une erreur de rédaction, et qu’elle remplit bien, depuis le début, les critères permettant le renouvellement de son agrément. Que décide alors de faire le juge administratif ?
L’annulation du renouvellement de l’agrément par le tribunal administratif et la cour administrative d’appel
Le juge administratif raisonne au final de façon assez simple : si le renouvellement est octroyé en tout ou partie sur des promesses de mise en conformité future, alors celui-ci est illégal, puisque les critères ne peuvent être appréciés qu’au regard des éléments fournis lors de l’instruction, et non sur la base d’engagements de régularisation. C’est ce qu’a dit le tribunal administratif en 1ère instance, et c’est ce qu’a répété la cour administrative d’appel de Paris en octobre 2023 :
« Les dispositions précitées de l’article 1er du décret du 12 mars 2014 ne permettent pas à l’administration d’accorder l’agrément à une association qui n’en remplit pas les conditions. Dès lors, le Premier ministre ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, se fonder sur la circonstance que l’association se serait engagée à prendre des mesures correctives visant à se mettre en conformité avec ses obligations postérieurement à la date de la décision d’agrément ».
Ainsi, contrairement à ce qui a pu être dit, le juge d’appel ne s’est pas prononcé sur la capacité actuelle de l’association à être agréée : il s’est astreint à regarder si l’arrêté initial du 1er ministre était légal ou non, sans d’ailleurs s’attarder sur le fond du dossier d’instruction déposé par Anticor. Cette dernière a continué à soutenir que l’arrêté était mal rédigé, et a demandé une substitution de motif, technique juridique permettant au juge de modifier a posteriori les motivations et justifications retenues par l’administration afin de rendre légal un acte administratif mal fondé. Or, cette substitution ne peut être demandée que par l’administration auteure de l’acte contesté, ce qui, en l’espèce, n’a pas été fait. Au terme de cette décision de la cour administrative d’appel, l’arrêté de renouvellement est donc bien annulé, et l’association se retrouve sans agrément.
Le rejet tacite de la demande par le gouvernement
Suite à ce revers, Anticor a déposé une nouvelle demande d’agrément. A partir de ce moment, tout était donc entre les mains du gouvernement, qui pouvait rédiger un nouvel arrêté consolidé sur le plan juridique et mettre fin à ce feuilleton. Pourtant, au terme du délai de deux mois imparti, le gouvernement n’a pris aucun arrêté, mettant l’association face à un rejet tacite.
Certains ont affirmé que l’association ne remplit toujours pas les critères fixés par le décret de 2014, et que, face au tollé que susciterait un arrêté de refus, le gouvernement a préféré se réfugier derrière un rejet tacite. Pourtant, on a pu apprendre que la 1ère ministre Elisabeth Borne a envoyé à la cour administrative de Paris, le 3 octobre, une note de 5 pages confirmant « que l’association avait bel et bien mis en place, avant avril 2021, un certain nombre de mesures en ce qui concerne la transparence et l’information sur ses donateurs, ainsi qu’une réforme participative des statuts visant à améliorer les procédures internes, la création d’un comité d’éthique et le recours à un commissaire aux comptes ». Le gouvernement avait donc, sur le papier, les éléments de fait et de droit pour motiver pleinement un renouvellement d’agrément.
Au-delà du cafouillage juridique, c’est donc ce rejet tacite qui apparait le plus problématique et contradictoire. A tel point qu’à ce jour, aucun ministre ni aucun membre de l’administration d’Etat ne semble avoir donné de justification. A ce stade, il ne peut plus s’agir d’une erreur d’instruction, d’une erreur technique ou juridique : il s’agit clairement d’une décision politique.
Sources:
Cour administrative d'appel de Paris, arrêt n°23PA03811, 16 novembre 2023
Décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 relatif aux conditions d'agrément des associations de lutte contre la corruption en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile
Arrêté du 2 avril 2021 portant renouvellement de l'agrément de l'association ANTICOR en vue de l'exercice des droits de la partie civile