Lettre ouverte à l'attention des dirigeants politiques du monde entier... qui ne la liront sans doute pas. Ce texte a été lu par Christian Gonon, comédien sociétaire de la Comédie Française.
Version anglaise à la suite de la version française.
Messieurs les dirigeants politiques (veuillez excuser ici l’usage unique du masculin mais la majorité des hommes à ce poste m’oblige à ce Messieurs) je vous écris depuis un petit point noté sur la carte du globe, un point guère plus gros que la tête d’une épingle je vous l’accorde, mais qui représente simplement celle que je suis.
De conférences de presse en conférences de presse, je vous écoute nous parler. J’écoute les mots qui sont les vôtres, qui en appellent à la patience et à la résistance ; et je pense à mon ami Jack Ralite qui fut en France maire, député, ministre et sénateur mais qui fut surtout et plus encore l’ami des poètes. Jack affirmait que la poésie l’avait sauvé de devenir un politicien en lui permettant de rester un homme politique, c’est-à-dire : un être qui est du côté de la pensée. Alors je voudrais partager avec vous les derniers mots d’une jeune femme belge qui se nommait Marguerite Bervoets et qui était poète. D’elle, nous parlions souvent ensemble. Elle fut arrêtée en 1942 par la Gestapo. Intellectuelle et résistante, cela faisait beaucoup pour espérer survivre. On lui fit un procès, ce qui était rare, où lui fut reproché de ne pas « baisser la tête », en conséquence de quoi on la condamna à la décapitation. La sentence eut lieu le 15 octobre 1944, l’année de ses 30 ans. Dans sa dernière lettre elle disait ceci : « Mon seul regret est de ne pas pouvoir connaître cette période d’amour, cette ère de joie qui viendra… »
Marguerite Bervoets pensait, comme cet autre poète belge qu’elle aimait tant qu’est Maurice Maeterlinck, que le poète a le rôle d’une fourmi ; qu’il est cet être de foule qui se sacrifie pour elle et lui offre sa vie afin qu’elle continue son chemin de façon éclairée. Mais, Messieurs les dirigeants, vous qui nous dirigez dans des directions contraires, ce chemin n’est plus à vous. Pas plus à vous qu’à ceux qui vous dirigent que l’on nomme « financiers ». Car sur ce chemin il y a un petit point, et puis un autre, et en fait des millions, des milliards, tous minuscules mais qui forment une toile, et cette toile a la force subversive d’une toile d’araignée, nous unissant les uns aux autres et faisant de nous non plus des isolée.es mais toute une humanité.
Ces milliers de malades, voyez-vous, qui ont été ces jours sacrifiés au chevet de vos choix économiques ont espéré eux aussi que l’ère de joie viendrait et c’est en leurs noms que nous nous battons désormais pour que la fin de l’isolement nous permette d’éviter la fin du monde, celle vers laquelle vous nous dirigez depuis si longtemps.
L’araignée, Messieurs, a cette force sublime : elle construit sa toile avec douceur. Et ce que ces jours difficiles nous démontrent à nous toutes et tous – et surtout à vous qui vous en effrayez – c’est que cette toile n’est pas à faire car elle existe déjà. Elle nous est apparue un matin en sa robe de nacre et sa solidité de forteresse et nous ne fumes pas étonné.e.s de la découvrir car ce sont nos mains qui l’ont construite et nos rêves qui l’ont habillée. Et si nous n’avons plus peur de vous faire face c’est parce que nous savons, comme le disait si joliment Louise Bourgeois, que l’araignée est cette « tisseuse qui élimine les parasites », qu’elle le fait avec patience et surtout, comme aurait dit Jack, avec toute « la grandeur qu’ont les petits ». Dès lors, et ne vous en déplaise chers Messieurs les dirigeants, la révolution qui se prépare est une révolution arachnéenne et c’est bien là toute sa singularité.
Avec l’expression de mon profond respect,
Karelle Ménine

Agrandissement : Illustration 2

IN ENGLISH:
Dear gentlemen political leaders (please excuse the use of the male gender, but the scarcity of women in this position obliges me to write Gentlemen) I am writing to you from a small point noted on the map of the globe, a point not much bigger than the head of a pin but which simply represents who I am.
From press conference to press conference, I’m listening to you talking to us. I’m listening to your words, which are appealing to patience and resistance; and I think about my friend Jack Ralite who was in France a mayor, a member of Parliament, a minister and a senator, but was above all the poet’s friend. Jack asserted that poetry saved him from becoming a politician allowing him to remain a political man, in the sense of : someone staying on the thinking side.
So, I’d like to share with you the last words of a young Belgium woman poetess named Marguerite Bervoets. She was arrested in 1942 by the Gestapo. Intellectual and resistant, it was too much to keep hoping to stay alive. She was judged, which was quite exceptional, and because they accused her not to lower the head she was condemned to be decapitated. The sentence was carried out on October 15th 1944, when she was thirty years old. In her last letter she wrote : “ My only regret is not to be able to know this love moment, this delight time that will come…”.
Marguerite Bervoets thought, together with Maurice Maeterlinck, this other wonderful Belgian poet she loved so much, that the poet is like an ant, someone ready to give his or her life to the society so that (s)he may continue on his/her path in an enlightened way. But, gentlemen leaders, you are leading us in opposite directions. This path is no longer yours. Neither yours nor to the ones who manage you, who are called "financials". Because on this way exist a little point, and then another, and in fact millions, billiards, every very tiny but they create a canvas and this canvas has the subversive power of a spider’s web, uniting together and transforming us no more in isolated persons but in a total humanity.
Those thousands of sick people who were these last days sacrificed in the name of your economic choices also hoped that the delight time should come and it’s in their name that we are fighting now to ensure that the end of the isolation will give us the opportunity to avoid the end of the world, the one towards which you have been leading us for a so long period.
The spider, gentlemen, has this sublime strength: it builds its web with gentleness. And what these so difficult days show us, to each of us – and especially to you who are afraid of this reality – is that this web is not to be made because it already exists. It appeared to us one morning in its golden dress and its fortress solidity, and we were not surprised to discover it because it was our hands that built it and our dreams that dressed it. And if we are no longer afraid to face you it’s because we know, as Louise Bourgeois so beautifully said, that spider is this ”weaver who eliminates parasites”, that it does it with patience and time and with all the greatness that little ones have.
Therefore, with all due respect, my dear leaders, the revolution that is being prepared is an Arachnean revolution, and that is what makes it so unique.
With the expression of my deepest respect,
Karelle Ménine