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Billet de blog 22 février 2011

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Lecture de Jacques Lévine

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chacun (élève, stagiaire, enseignant, formateur) éprouve le besoin d’être reconnu comme une personne à part entière, et demande le respect de :

- ses besoins physiques

- ses besoins affectifs ( pouvoir s’exprimer, ne pas être abandonné à sa solitude mais, au contraire, avoir l’occasion d’échanger avec d’autres et d’apporter aux autres, en même temps que de recevoir d’eux)

- ses exigences de compréhension et de réalisation

En même temps, une personne ne peut être membre d’un groupe (« un parmi les autres » sans renoncer à sa singularité) si elle ressent trop violemment des sentiments de non-conformité, de différence, d’infériorité ; et c’est là que se pose le problème de l’intrusion des problèmes familiaux et sociaux.

Le système éducatif a besoin d’apporter de trouver des réponses aux attitudes de toute-puissance et de non- pactisation de certains jeunes (ou enfants) « d’une susceptibilité extrême, intolérants à la frustration, jouissant de leurs capacités à défier, porteurs de noyaux de rancœur et de violence, n’hésitant pas à montrer leur désaccord systématique et reprochant aux adultes de les avoir floués » (Jacques Lévine). Jusque-là, l’école n’a fait que nier son rôle face à ces problèmes. Pourtant, si elle reconnaissait qu’elle doit travailler avec l’image sociale de lui-même que porte avec lui chaque enfant ou adolescent (une image qui peut être marquée par la honte), il n’est pas impossible qu’elle puisse largement dédramatiser les situations.

Le système éducatif devrait reconnaître qu’il n’est pas extérieur à la société : chaque enfant vient à l’école avec une image de sa place dans la société et se comporte en fonction de cette image (voir « la problématique des 40% du milieu de la classe », in Entretiens Nathan, 1996).

Le premier besoin est que l’institution cesse de croire qu’elle peut résoudre les problèmes en les niant et en apportant des réponses simplistes de l’ordre de l’incantation (« fermeté », « autorité », « bonne » méthode) ou du rejet de la faute sur des boucs-émissaires…

L’école pourrait apprendre aux enfants qui ne le savent pas à :

- construire une image de son propre corps comme non-morcelé

- prendre conscience de ses origines directes et indirectes

- dialoguer avec soi-même ; découvrir le plaisir de penser

- dialoguer avec des interlocuteurs invisibles et imaginaires

- s’interroger sur le désir de l’autre, lire la pensée des autres

- imaginer un futur

- construire un Moi qui, en même temps qu’il est un Moi- Moi, soit aussi un Moi-Monde : les faire sortir de l’univers réduit, appauvri, où ils ne forment groupe, à la limite, qu’avec eux-mêmes, pour qu’ils se sentent concernés par ce qui se passe aux différents endroits de la planète.

Les enseignants ont évidemment besoin pour cela d’apprendre à combiner la conduite collective de la classe avec le souci du développement optimal de chacun…

Encore faudrait-il commencer par être capable de présenter le savoir comme les réponses apportées aux mystères de l’univers ou des rapports humains (les grandes questions qui rassemblent les hommes depuis le début de l’humanité)…

Jacques Lévine a une jolie image pour présenter ce que pourrait être une classe coopérative : à la fois habitation et corps vivant, « l’enfant de tous à faire grandir par tous ».

« Qu’est-ce que veiller à la croissance d’un groupe, comme si ce groupe était l’enfant de chacun ? C’est d’abord faire de l’identité de la classe l’identité de chacun, mais sans pour autant renoncer, comme ce serait le cas dans une conception totalitaire, à son droit d’exister et de s’affirmer avec ses qualités propres. C’est vivre la classe comme ayant un Moi, donc porteuse d’une histoire qui, grâce à chacun, est en train de se développer, avec un passé, un présent, un futur. C’est vouloir que ce lieu soit suffisamment nourrissant en termes d’acquisitions pour que l’on soit fier de ce que l’on y apprend. (…) C’est un lieu où chacun sait être soucieux du sort de l’autre, ce qui suppose que le maître ait introduit, dans les contrats de base qui régissent le fonctionnement de la classe, les idées de solidarité, de non- jugement agressif les uns par les autres, grâce à la centration sur les problèmes communs à résoudre. On observe dans ce contexte que les enfants comprennent, mieux que les adultes, qu’un camarade puisse avoir du mal à suivre et qu’il existe divers procédés pour aider l’autre sans l’humilier et en partant de ce qu’il sait faire (…). Chaque élève a donc un statut d’interlocuteur valable. (…° L’appartenance s’accompagne de l’envie d’apporter au groupe.(…) On peut parler, sans craindre d’exagérer, de « pulsion d’apportance » et de « jouissance de l’apportance ». On en trouve l’expression dans une multitude de conduites. Par exemple, lorsque l’enfant lève le doigt avec insistance pour se faire entendre. Cela veut dire qu’il se positionne comme capable d’apporter quelque chose, même si souvent, au moment de parler, il déclare : « J’ai oublié ce que je voulais dire ». C’est donc plus qu’une manifestation de narcissisme (…). La récompense, un simple regard d’estime, n’est pas seulement une caresse faite à l ‘amour-propre, c’est une reconnaissance de la valeur de l’enfant en tant qu’apportant à la collectivité. Cette notion est, le plus souvent, oubliée, dans une société où le Moi groupal passe aux oubliettes au profit du Moi individuel. » (Pour une anthropologie des savoirs scolaires. De la désappartenance à la réappartenance p67)

Encore ne faut-il pas faire preuve encore une fois d’ « hallucination positive » : « toute classe, avant d’être un lieu de travail, ou pendant qu’on imagine qu’elle est un lieu de travail, est un lieu de conflits. Conflit entre le désir d’aimer la classe (A) et le désir de la haïr (H). (…° La rencontre groupale fait miroiter qu’ensemble on va entreprendre quelque chose d’important qui n’appartiendra qu’au groupe et qu’en tout cas les non- membres du groupe ne connaîtront pas. A cette idéalisation du cadre s’oppose une pulsion de destruction. » (p75).

Les enseignants ont évidemment besoin d’êtres accompagnés.

Malheureusement, Jacques Lévine est sans illusion quant à l’étayage que pourrait faire l’institution : « il faut admettre que l’institution actuelle, avec les pesanteurs et les finalités qu’elle véhicule, n’est pas prête pour une pédagogie anthropologique de la diversité. Elle n’est même pas à en assurer la préparation. Elle n’a que trop montré sa fascination pour les réformes à opérer dans l’immédiat, au mépris du travail minutieux de recherche et d’expérimentation qu’exigerait la pédagogie que nous préconisons. »(p114)

Pouvons-nous mettre un terme au déficit de solidarité entre administration, enseignants, parents, élèves ? Avons-nous le désir de construire ensemble ? Cela impliquerait de se mettre d’accord sur l’objectif de l’école, au-delà des apprentissages et des savoirs minimaux : « la formation obstinée d’un certain type de rapport à l’humain ».

« Le mot « culture » évoque en priorité, pour nous, des êtres humains qui, au-delà de leur propre personne ou de leur entourage immédiat, s’interrogent sur trois aspects : le sort passé de l’humanité, son sort présent, son sort futur. » (p122)

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