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Billet de blog 21 novembre 2024

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Un X pas XL

X n'est pas Twitter, on l'aura compris. En effet, X est devenu le nouveau bac-à-sable d'Elon Musk, dont la politique a plus que déformé l'entreprise créée par Jack Dorsey, Evan Williams, Biz Stone et Noah Glass en 2006. « Partir ou ne pas partir ? », telle serait la question depuis 2023.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les médias se sont fait l'écho des départ de nombreuses entreprises (Chevrolet, Chipotle, Ford, Jeep, Balenciaga, etc.) et de leur propre départ (Radio SR, CBC/Radio-Canada, NPR, PBS, entre autres). Le quotidien national Le Monde (avec AFP) du 18 avril 2023, titrait "Twitter : de nouveaux médias quittent le réseau social pour protester contre sa nouvelle politique". Cette question fait écho à la précédente. Des personnalités de la culture ou de simples anonymes ont fait de même, d'autres sont partis et sont revenus pour diverses raisons, dont l'une d'entre elles n'est pas anodine : ne pas parvenir à reconstruire "leur réseau" -à ne pas confondre avec "le réseau"- sur d'autres plateformes. 

Il ne sera pas question ici d'engager une analyse sociologique et politique du phénomène X depuis l'arrivée d'Elon Musk qui semble se prendre pour dieu, à l'inverse de ce dernier qui ne voudrait probablement pas se prendre pour Musk. Ce billet sera donc le partage d'une analyse personnelle n'engageant, de fait, que son autrice.

Docteure en Sciences de l'information et de la communication, j'ai pourtant longtemps résisté aux réseaux sociaux, à la suite des forums sur lesquels je notais beaucoup trop de violences à mon goût pour y voir de véritables lieux de partages et de contacts. Mais en les appréhendant comme un outil, cela changeait la donne. Je pouvais suivre, demeurer ou entrer en contact avec des personnes rencontrées lors d'événements culturels, politiques, militants, universitaires en France comme dans de nombreux pays du monde. Cette fonctionnalité avait l'avantage d'agir comme un anesthésiant face à des écrits dont la violence n'avait d'égal que le petit nombre de caractère pour l'exprimer. C'est assez terrifiant de constater qu'une mauvaise idée peut se formuler si facilement et avec peu de moyens. La désinformation jouit d'une sorte de performativité. Il suffit de "dire" pour "faire" (croire).

Je pourrais décrire deux tableaux, avec peu de choses entre les deux. Exposer l'un et l'autre serait un travail long et exigeant, mais l'esprit du temps permet les raccourcis. A l'égal des conservateurs, je vais en emprunter un, en parlant d'un camp anti-wokiste accusant l'autre d'être wokiste. On met en avant un "universalisme" qui masque son suprémacisme*, dévoyant par là même le sens originel. De fait, cette formulation me classe de facto dans le camp wokiste.

A la débottée, quelques "souvenirs" de "choses" vues sur X, comme des moqueries sur le suicide d'une jeune adelphe trans, des campagnes de harcèlements sur telle ou telle personne, tel ou tel groupe, des menaces de mort pour une affiche, et me concernant, le souvenir d'une vague de haine suite à mon alerte sur le pied-dans-la-porte de partisanes d'idées conservatrices au sein d'une structure dont la mission était de veiller à ce que cela ne se produise pas. Les conditions des auditions conduisant au rapport des LR au Sénat, ayant lui-même conduit à la proposition de loi contre les transitions des jeunes personnes trans, semblent m'avoir donné raison. Il y avait bien "conservatisme sous roche".

Cette infime partie des violences constatées n'est pas surprenante venant de profils nationalistes blancs, racistes et sexistes, mais elle est plus surprenant venant de femmes brandissant l'étendard du féminisme, alors qu'on les voit adhérer aux idées de l'extrême droite, aux thèses conservatrices religieuses, et s'allier à des mouvements masculinistes, juste pour faire la peau à un nouvel "ennemi principal" : les personnes trans accusées de tous les maux de notre temps. Il suffit de suivre certains comptes pour s'apercevoir que je suis encore loin du compte.

Dans mon champ de vision, la justification avancée est celle d'un fumeux "transactivisme" omnipotent et omnipuissant, construit de toute pièce à l'image du Pizzagate, d'un État profond, des politiques qui seraient en réalité des reptiles, et autres inepties que l'on croirait sorties de V, la série des années 1980. La réalité alternatives y a tout pouvoir, dont celui de passer pour plus vraie que vraie. Le moindre post en soutien au Planning familial, de soutien à telle ou telles personnalité LGBTIQ+ ou de Gauche, vous crée plus d'ennemis que de voler dans les caisses publiques. Depuis 2019, les rhétoriques sur les personnes trans sont calquées sur un modèle connu : la figure "du juif", "de l'arabe", " du pédé", etc., de toutes ces personnes et groupes qui se sont vus déshumanisés pour rendre leur discrimination, exclusion et parfois même élimination, "acceptables", et ce, dans un silence assourdissant.

Les récentes politiques ou plutôt de non-régulation valant pour règle, dont celle de ne pas permettre aux personnes de se protéger grâce au blocage, ou encore la place prise par Musk dans la nouvelle donne américaine qui s'annonce dans les nominations comme dans les profils, les CV et les déclarations laissent peu de doutes quant-aux politiques envers les personnes trans, les migrant-es, les femmes...

Quitter X pose des questions quant aux relations avec l'information, bonne ou mauvaise, suivant où l'on se place. Se couper de son réseau n'est pas évident. Certaines choses peuvent manquer comme des personnes que l'on apprécie sans pour autant les connaître hors du réseau, des sources d'informations et d'analyses que l'on estime fiables, des échanges parfois drôles à coup d’émojis ou de gifs, etc. Partir, c'est parfois être exact avec soi-même et accepter la perte s'il reste encore quelque chose auquel renoncer.

Je suis partie deux fois, une fois de Twitter, une fois de X. Dans les deux, je suis revenue. Depuis des semaines, je ressens un malaise à être sur le réseau de Musk. Je ne peux plus me cacher derrière l'idée d'infiltrer son espace en quelque sorte, de rester et d'agir tel un virus pour défendre les droits de ma communauté de destin, et bien au-delà en m’inscrivant comme féministe intersectionnelle.

Je vais tenter de retrouver un réseau en réinvestissant un horizon bleu et accueillant. Et si je n'y parviens pas, ce n'est pas si grave. Tout vaut mieux pour moi que de rester dans le bac-à-sable de tous les conservatismes haineux qui finiront pas se bouffer entre eux, un jour ou l'autre.

Il m'est impossible d'admettre devoir justifier mon droit à exister, de débattre sur les droits des personnes trans à exister, des femmes à disposer de leur corps, aux migrant.es d'être respecté.es, des précaires à ne pas être accusés de se complaire dans l'assistanat, quand les riches modèlent le monde jusqu'à se payer des terraformations pour le plaisir et le confort de quelqu'un.es (voir les îles artificielles ou privatisées, entre autres exemples). Comment accepter qu'assister aux discriminations dont sont victimes mes adelphes, mes camarades, mes ami.es, soit devenue une chose normale que l'on ne doit plus discuter ?

Ce sera sans moi.

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*Idée que j'emprunte à Maud-Yeuse Thomas.

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Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas, Transidentités et transitudes  se défaire des idées reçues, éditions Le Cavalier Bleu, 2022, 2024.

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