Hollande a peut-être enfin trouvé sa « posture présidentielle » et elle tient en deux mots : solennité et gravité. A deux ans de la prochaine échéance présidentielle, il est fort à parier que les réformes tant promises depuis le début du quinquennat auront autant de saveur qu’un bloc de tofu.
A la triste faveur des évènements qui ont bouleversé notre pays, il a en effet troqué le costume du «président normal» pour adopter celui du «Président de tous», celui qu’a porté Jacques Chirac durant deux septennats. Un costume si beau qu’il interdit à quiconque l’adopte, de mettre ne serai-ce qu’un auriculaire dans le cambouis. Désormais, Valls et consort se chargent de la manutention, des basses tâches, des ballons d’annonces envoyés pour sonder l’opinion publique; à Hollande la représentation, les médailles, les chrysanthèmes, le climat…tout ce qui fait qu’on ne peut qu’être d’accord avec lui.
L'exercice de figure imposée de cette dernière conférence de presse n'est qu'une énième illustration de ces plats tièdes qu'il nous ressort à chaque intervention. Le résultat est bien loin du teaser balancé par ses géniaux conseillers en com' depuis 48 heures. On vous a promis la saga STAR WARS, et on a vu l'intégrale de Louis La Brocante...Normal quand on a pour objectif de conserver le pactole des récents 21 points de progression dans les sondages jusqu’en 2017.
Touché par la grâce, il se positionne depuis trois semaines en sage gardien de l’«esprit du 11 janvier»…
Gageons que chaque projet, chaque loi, chaque mauvaise nouvelle désormais, seront estampillés «esprit du 11 janvier».
Grâce à cette sauce qui relève les plats, Hollande sait qu’il peut quasiment tout justifier…tout nous demander…presque tout imposer.
Mais reconnaissons-lui l’intelligence tactique dont il a fait preuve durant ces dernières semaines :
- Il a, en effet, réussi à remettre l’opposition à la place qui est la sienne : le placard aux vanités
- Il a éloigné la menace d’un Syriza à la Française en faisant, de ceux qui pourraient s’opposer à sa politique…. des ennemis de « l’esprit du 11 janvier ».
- En appelant à ne pas céder aux amalgames, il a réussi à ancrer les français dans le manichéisme pour, ainsi, pouvoir mieux se positionner comme l’unique rempart face à la « menace FN ».
Car « oui les sacrifices demandés aux français sont rudes…mais la France est forte, elle est capable de l’esprit du 11 janvier ».
« Oui, il faudra accepter que vos mails, vos appels soient scrutés, écoutés… mais accepter cela c’est garantir notre sécurité…notre liberté d’expression, tout ce qui fait l’esprit du 11 janvier ».
« Nous avons plié devant les notaires, mais tiendrons bon pour offrir aux patrons les 12 dimanches travaillés, nos 12 deniers de Judas…mais c’est aussi cela l’esprit du 11 janvier : dialoguer, écouter tout le monde »
Un label QUALITE, presque un certification ISO 9002…
Mais ce label, c’est aussi celui qui permet d’éloigner l’attention de l’opinion publique, prompte à s’intéresser à ce qu’ont fait les Grecs et, demain peut-être, les Espagnols. Ces peuples capables, eux aussi, de descendre dans la rue par millions pour un autre sentiment que celui d’une trouille bien légitime mais qui n’a pas voulu dire son nom.
Il permet aussi d’adopter l’attitude condescendante des gouvernants modernes de « la vieille Europe » vis-à-vis de ceux qui, maladroitement parfois, proposent d’autres alternatives au bricolage social libéral, seule doctrine économique en vigueur depuis 40 ans.
Mais si la manœuvre est un peu facile elle ne doit pas nous faire oublier que 66 millions moins 4 millions, ça fait 62…dont certains ont senti l’odeur rance de la récupération.
Certains se tournent vers des non-solutions (les extrémismes), d’autres vers une forme de nihilisme, et une majorité a sans doute choisi de réfléchir avant de suivre.
Dès le soir du massacre, avec quelques amis, nous avons, sans l’ombre d’un début de culpabilité, choisi de ne pas aller aux rassemblements opportunément proposés par le gouvernement. Pressentant ce qui allait arriver : la création du LABEL 11 JANVIER.
Car ne vaut-il pas mieux se dire que le ciel est beau chaque jour plutôt que d’attendre que passe une comète ? Une chose est sure, on a plus de chance d’être moins souvent déçu.
C’est vrai que c’est beau une comète : mais en France, ça passe une fois tous 70 ans, une fois toutes les victoires de coupe du monde, une fois tous les 4 millions de manifestants, une fois tous les 20 morts…..
Mais parfois, la fin du spectacle est loin d’être à la hauteur des espérances.
Car être Charlie c’est tous les jours, tous les soirs… même quand ils sont les plus graves, plus tristes, plus trempés de larmes….et l’innommable ne doit cependant pas nous faire oublier combien les Français sont versatiles et que ce savoureux mélange du 11 janvier ne s’est pas forcément fait avec les meilleurs ingrédients.
Car demain, ou seras-tu Charlie ? Que décideras-tu…
- Quand dans le doux silence de l’isoloir il te faudra choisir entre la politique de Mélenchon ou celle de Macron…quitte à ne pas adopter la bonne stratégie de victoire ?
- Quand il te faudra résister à la tentation de la résignation comme celle qui consiste à approuver des MESURES D’EXCEPTIONS qui n’auront pour seul effet que de grignoter lentement mais surement tes libertés individuelles…juste parce que tu as peur ?
- Quand il te faudra chasser cette irrépressible envie de gouter les vieilles recettes d’antan dont la «sagesse populiste» trouve « qu’elles avaient du bon », comme le retour au troufionage ou sa version édulcorée qu’est le service civique… ? Tu sais, gentil esprit, moi je l’ai fait le service national…et la seule chose que j’ai apprise là-bas, c’est que c’est un copié-collé de la société hors caserne : les biens nés sont dans les bureaux ou chauffeur du colonel. Les autres s’entrainent à devenir de la chair à canon et à nettoyer les latrines au coton tige.
- Quand il te faudra peut-être choisir entre Marine et MarTine, t’apercevras-tu que les seules saintes écritures qu’il te faut défendre sont celles de ton bulletin de vote ? A la même occasion tu observeras peut-être les vertus de l’éducation dès le plus jeune âge en t’apercevant qu’à une lettre près…ce ne sont pas les mêmes bruits de bottes qu’on entend arriver…
- Sauras tu défendre, à tout crin, la laïcité en envoyant tes enfants dans la seule école qui puisse te garantir l’égalité : celle de la république, et ce, sans contourner la carte scolaire par peur d’obliger tes bambins à prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur social.
- Défendras-tu, toi aussi, la première liberté d’expression qui soit, c’est-à-dire celle qui consiste à tout dire à tes amis, ta famille et même ton patron, quitte à ce qu’il ne t’octroie pas le prix de l’employé du mois ?
- Sauras-tu toujours traiter sur un même pied d’égalité l’Arabe de base et l’Emir ? Feras tu toujours la différence entre un musulman et un intégriste ? Entre une décision courageuse et une décision courageuse ?
- Embrasseras-tu, avec la même petite larme en coin, ce même flic quand, au bord d’une route, il t’enlèvera ton permis de conduire parce qu’au volant de ta jolie voiture qui ne pollue plus tu prends le risque de tuer un gosse en tapant un SMS ou en roulant à 160 ?
- Et surtout, sortiras tu un peu plus souvent de ton ghetto doré ou attendras-tu la prochaine comète pour, telle une gracieuse poussière d’étoile, t’accrocher à sa crinière pour «faire durer l’instant de partage avec tous ces gens de tous horizons» ?
Etre Charlie au quotidien…il faut avouer que c’est compliqué de tenir sur le long terme.
Mais j’ai moyennement bien vécu les yeux inquisiteurs de certains manifestants qui me regardaient ne pas les joindre le 11 janvier il m’a même fallu me justifier....un comble quand on sait ce qu’auraient pensé les principaux intéressés si on leur avait dit qu’un jour on ferait sonner Notre Dame pour eux, qu’Hollywood leur rendrait hommage, que Sarkozy, Hortefeux et Le Pen seraient comptabilisés parmi les 4 millions de « gentils d’un jour » pour défendre la liberté d’expression…et que l’état évoquerait un hommage aux invalides en présence d’hommes et de femmes aux relations si souvent douteuses.
Souhaitons que les couvercles de leurs cercueils soient de grande qualité car ils n’ont pas finir de faire quelques saltos à l’intérieur, s’ils voyaient ce que l’on a fait de « l’esprit du 11 janvier »
Pour tenter d’être Charlie, moi, j’ai expliqué à mes enfants combien c’était atroce, tout cela ; qu’on ne tue pas pour des idées, pour un Dieu, pour un colis arrivé en retard ou pour une place de parking. Parce qu’au final ce sont les mêmes personnes qui font ce genre de chose : les fous dangereux. Et on ne peut rien contre les fous dangereux.
Il faut juste savoir qu’il y en a, heureusement, assez peu, trop peu pour nous faire changer nos habitudes. Pour eux, c’est juste une question de prétexte à trouver. Un jour, deux fous ont massacré des gens dans un journal pour des dessins, si ça se trouve, ils auraient fait la même chose 15 jours plus tôt parce que l’employé de chez Feu Vert n’a pas mis la bonne huile de vidange dans leur voiture….
Alors le 11 janvier, je n’ai rien changé à mes habitudes parce que je suis intimement convaincu que les victimes (celles de Charlie) auraient pensé que c’était le meilleur bras d’honneur à leur faire : ne leur donner aucune importance car l’inverse, c’est leur moteur.
Alors Esprit, on se re croise quand ? A la prochaine comète ?