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Billet de blog 11 février 2015

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Point de vue : « 50 nuances de Grey » ou « la malbouffe du porno chic » ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

I-Télé ce matin : «200 000 places du premier opus cinématographique de la trilogie sulfuro-romantique d’E.L James pré vendues»… j’avoue osciller entre consternation et admiration.

Admiration pour ces américains qui arrivent, une fois de plus, à faire de nous, Français « insoumis », leur chair à canons marketing : leur capacité à nous vendre des choses que personne n’a encore vues, testées ou approuvées force le respect. Nous, les Français qui, bombant le torse en évoquant notre soi-disant défiance à l’égard des machines de guerre commerciales d’Oncle Sam, ne sommes, au final, pas moins serviles que les autres, pas plus critiques, pas plus malins… mais pitoyablement perméables à leur malbouffe idéologique et culturelle.

Comme les autres, nous courons dormir devant un Apple Store pour être les premiers à acheter la dernière version - déjà obsolète- d’une tablette ou d’un smartphone.

Comme les autres, si fiers de notre gastronomie, prompts à vanter nos «5 fruits et légumes par jour», nos restaurants étoilés, nos petits producteurs… nous continuons à gaver nos enfants d’ «Happy meals» conscients, malgré tout, que le gentil clown à l’entrée du drive c’est le Pablo Escobar du cholestérol.

Et que dire de notre exception culturelle qui en prend un sacré coup encore aujourd’hui…

Nous, patrie du Marquis de Sade, serions émoustillés par un ersatz gloubiboulquesque de ses écrits qu’on aurait bourré d’aspartame et de stévia dans le seul but de le rendre digeste aux yeux de la pudibonde ménagère américaine ?

Sa cousine européenne serait-elle en passe de céder à la tentation d’acheter quelque produit dérivé de ce Disney pour adultes ? Je n’ose y croire…

Car quelle différence y-a-t-il entre « 50 nuances…» et l’I-Phone 24 ?

Aucune : quand on rentre avec à la maison, on ne fait pas la moitié de ce que vous a vanté la pub !

Car, en effet, il y en aura des déçues ce soir après la projection lorsque, l’œil coquin, elles rentreront à la maison avec une cravache sertie de paillettes Swarowski achetée sur Internet, espérant ainsi émoustiller leur « mâle » dont le regard houbloneux sera rivé sur le dernier match de la Ligue des champions…Et que celui-ci, jetant un œil empreint de lassitude vers l’objet, leur lancera : «t’as décidément aucune volonté avec cette gamine…on avait dit qu’on avait pas les moyens de lui payer le poney cette année ! »

Tromperie sur la marchandise une fois de plus !!!

Mais on y retournera pour être les premiers à aller voir le 2ème volet (déjà évoqué alors que le premier n’est même pas sorti…) tout comme on retournera à la soupe chez NINTENDO même si l’on prétend avoir repéré l’arnaque.

Mais diable, si l’on veut du SM, autant prendre l’authentique, le vrai : Sade !

Et si l’on veut s’encanailler à lire des ouvrages sur la perversion chez les puissants (un bon sujet pour Bernard De la Villardière ça !), autant acheter du Bret Easton Ellis : là au moins, on a de bonnes raisons de se faire peur.

« Oui mais c’est GLAMOUR ! »

GLAMOUR : Que ne justifions-nous pas aujourd’hui derrière ce terme ?

Ce matin, sur cette chaine d’info en continu, l’annonce de la sortie du film était mitoyenne du compte rendu d’audience concernant le procès du Carlton de Lille…drôle de proximité qui m’a donné l’occasion d’une réflexion avec une de mes collègues

« Mais en fait - dis-je volontairement provocateur à cette mère de famille respectable et hystérique à l’idée d’aller voir le film - Dodo la Saumure et Christian Grey c’est un peu la même chose : il organise, dans ses bordels, des soirées « menottes à fourrure » avec des adultes consentants, des gens qui aiment se faire fouetter les fesses en buvant du champagne, et tout ça dans le but de pimenter leur sexualité… le contexte est le même, le matériel est le même, et peut-être que le milieu social est parfois le même»

« Ah non surement pas ! Me répond-elle choquée, Fifty Shades (elle parle couramment l’américain), c’est pas pareil, le type il est beau, il est puissant, il a de l’argent….elle, elle est intelligente, ça se passe dans un loft… et puis, après les scènes un peu « chaudes », il redevient gentleman tu vois… par exemple, il lui met de la crème apaisante sur les fesses après l’avoir fouettée…et puis à la fin, il tombe amoureux…euuuh, c’est plus chic, plus glamour quoi ! »

Ce serait donc ça, le GLAMOUR, ce vernis qui peut rendre féérique un truc glauque ou beauf ?

Parce qu’en fait, on ne sait rien des sentiments de Dodo… si ça se trouve, sous ses airs de shar pei grognon, il y a un petit cœur qui bat et brûle pour une de ses employées… Tout cela n’est peut-être qu’une question de « dressage » comme on dit dans Top Chef.

C’est vrai que les businessmen du « porno chic » (oxymore ?) nous en refourguent du glamour ! C’est même leur principal argument de vente :

Avant, si vous aviez demandé qu’on vous définisse ce qu’est un sex shop la réponse aurait été : « c’est un endroit planqué dans une rue sordide qui ne sent pas bon, et qui est uniquement fréquenté par des pervers. C’est sale, beauf, lugubre, et les clients qui s’y perdent provoquent des réactions mâtinées de dégout et de pitié tant il est admis que fréquenter ces lieux est synonyme de misère sexuelle… »

Maintenant : c’est un concept store situé dans une zone commerciale entre « Joué Club » et « Léon de Bruxelles », avec une belle enseigne et des vendeurs présentables (rien à voir avec le refoulé au physique ingrat et aux ongles sales qui proposait, sans regarder le client, le rouleau de sopalin avant d’entrer dans les cabines de projection !).

Les clients y passent le samedi après-midi, après avoir terminé leur prospection pour changer les meubles du salon ou avant d’aller commander les pizzas : «dites heu…et vous faites un prix sur le plug anal si je vous reprends une paire de menottes ? Parce que chez Château D’ax, ils nous on fait le 2ème fauteuil gratuit si on prenait la banquette, eux ! » 

Même les éléments de langage y sont soigneusement choisis : on ne dit plus « porno » mais « coquin », on ne dit plus « partouze » mais « libertinage »

Et la liste est longue…

Pour quelle cible ?

Mais plus sérieusement, le « mâle » que je suis s’interroge sur les cibles de cette littérature à peine plus cochonne que celle de Barbara Cartland  et qui a désormais ses adaptations « jeunesse » (« After ») et ses contrefaçons (« Beautiful Bastard »)

Des femmes, surtout.

Mais qui sont-elles ces sœurs, ces filles, ces cousines, vindicatives à raison au quotidien et qui, pourtant, se jettent à corps perdu sur cette nouvelle mode de la "glamourisation" de ce tout ce qui fait insidieusement reculer leurs droits ?

Car en effet, en 2015, on ne peut toujours pas vendre une voiture au salon de l’auto sans avoir embauché des cohortes de pin-ups à peine vêtues. Et il y a encore trop peu de publicités pour des banques, une lessive ou une glace dont les scénarios ne comportent aucune allusion gentiment dégradante.

Moi ce qui m’attriste, c’est qu’en 2015 des millions de femmes ont acheté ce livre, se ruent dans des salles de cinéma pour y voir une version coquine de « Oui-Oui » où l’on décrit la soumission d’une cendrillon des temps modernes (mais haut de gamme – elle est étudiante) au bon vouloir d’un homme riche et puissant.

Certes, comme à chaque fois en Amérique, la morale est sauve car le rapport de force s’inverse…et c’est l’amour qui est plus fort à la fin….la belle blague !

Mais quelle morale ? Celle de l’héroïne qui use de ses charmes et en fait une arme de destruction massive ? Celle qui montre une femme subjuguée par un héros qui incarne la réussite à l’américaine ? Celle de la « soubrette » moderne qui réussit à la fin ?

Je me risque à prendre quelques remarques mais tant pis car cette posture branchouille m’interpelle :  

Comment peut-on cautionner, par sa présence, une telle « soupe » et revendiquer dans la même phrase le droit de faire pipi debout ou d’organiser des enterrements de vie jeunes filles aussi classieux que les versions masculines qui les ont inspirées ?

Mais plus largement, quel est le vrai combat féministe aujourd’hui ?

Est-ce de singer les mâles dans ce qu’ils ont de plus beauf, de plus con osons le dire, pour entretenir l’illusion que les femmes en deviennent les égales…

Ou est-ce de ne rien lâcher sur les vrais sujets d’égalité en en termes de salaire, de conditions d’embauche, de harcèlement, de violence conjugale…de droits ?

En tant qu’homme, je me garderai bien d’en donner un début de réponse mais je citerai Desproges qui diasit : «…ma femme, ma sœur, ne marche pas dans la mode, ça porte malheur ! »

La femme de 2015 a-t-elle besoin qu’on lui matraque ces règles de bienséance sexuelle ?

Et au final, cette trilogie, ce business alimenté en grande partie par nos sœurs, ne rapportera-t-il pas plus que de l’argent aux hommes ?

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