1 - Le diktat parisien : un centralisme qui écrase les territoires
Les réalités politiques locales sont constamment ignorées. Traditionnellement, et de manière criante lors des NUPES et NFP de 2022 et 2024, ce sont les négociations menées à Paris par les États-Major qui imposent leurs décisions, priorités et stratégies.
Si les spécificités régionales “remontent”, plus ou moins efficacement, le résultat est vécu comme méprisant les réalités régionales et locales.
Lors des campagnes locales, les consignes tombent d’en haut, mal adaptées aux besoins des quartiers populaires comme ceux de Marseille, et mènent à des fiascos électoraux.
Dans le Morbihan, la répartition des six circonscriptions entre la FI, les Écologistes, le PCF et le PS répond clairement plus aux impératifs de répartition entre partis en recherche de sécurisation de leurs financements publics, que d’une réelle volonté de créer les conditions de victoire dans ces territoires ruraux et périurbains.
Bilan : Une victoire, certes belle, dans la 5e circonscription du Morbihan.
Un NFP en grande difficulté dans les 1ere, 3e et 6e (La 4e étant le fief de Paul Molac, élu régionaliste indépendant et bien implanté, la 2e s’étant vue proposer un parachutage).
Pire que les défaites de la NUPES et du NFP dans ces circonscriptions, cette répartition arbitraire qui s’impose aux forces politiques locales constitue un frein évident au développement d’une union de la gauche efficace, et pas uniquement pour les Législatives.
La démocratie représentative se doit d’être assise au plus près des habitant·es, des élu·es locaux, des acteurs du mouvement social de chaque territoire.
Dans une organisation partisane qui souhaite faire différemment, aucune ville n’a à subir les choix imposés par une direction n’y habitant même pas.
Comment imaginer qu’à Marseille les quartiers populaires seraient complètement ignorés dans la représentation nationale et municipale ?
Comment alors un « national » partisan pourrait-il travailler les questions spécifiques des territoires sans les personnes les plus expérimentées au point de vue le plus situé ?
Un parti politique qui désigne ses représentant·es par le haut nous amène à trouver dans les équipes dirigeantes nationales une monotonie qui favorise ainsi une forme de pensée unique et alimente le sentiment de déconnexion de la “caste politique”, prise et caricaturée dans son ensemble.
2 - La caste des surdiplômés : la politique réservée à une élite
Les jeunes diplômés des grandes écoles trustent toujours aujourd’hui les postes clés, reléguant les militants du terrain au rôle d’exécutants. Leur méconnaissance des réalités sociales accentue la déconnexion avec les réalités de terrain. A ce sujet, nous retrouvons souvent des jeunes hommes à ces postes-là, où sont les femmes ? La politique reste majoritairement faite par des hommes, pour des hommes.
Un problème récurrent dans certains mouvements politiques est la domination des conseillers de grandes figures politiques. Ces experts autoproclamés vivant dans une bulle élitiste, souvent jeunes et diplômés de grandes écoles, imposent leur vision, déconnectée des réalités locales et des besoins des militants.
Leur pouvoir réside dans leur proximité avec les dirigeants, qu’ils influencent en coulisses.
Ils écrasent les initiatives locales et dictent des stratégies uniformes et leurs visions à des militants qui connaissent les luttes depuis des décennies. Ils ne sont pas formés au management non toxique, et bien au contraire emploient souvent une communication puérile vis à vis de celles et ceux qui font vivre le terrain.
Une vision tronquée du fait d’un manque d’expérience par la non-connaissance du terrain. Ces derniers pensent que tout s’achète, tout se vend, que tout se pose et se superpose à l’infini.
La politique reste un club fermé pour les classes supérieures. Les militants issus de milieux populaires, urbains ou ruraux, n’ont sauf exception jamais accès aux postes de pouvoir décisionnels, aux investitures, bien souvent par absence de réseau ou d’alignement culturel. Parfois par manque de moyens pour faire campagne dans le cadre du Code électoral actuel.
Ils n’auraient alors pas les codes, les compétences, les connaissances requises ?
La formation interne et territoriale des organisations politiques en est réduite au symbolique. Elle demande des moyens et une volonté.
Les revendications des quartiers populaires sont souvent instrumentalisées pour le discours, mais trop rarement portées par ceux qui les vivent au quotidien. Tout le monde veut parler des quartiers populaires mais sans eux.
Quand on traite des spécificités régionales, un vague lien familial suffit à rendre légitime un acteur politique surtout proche des lieux de pouvoirs et décisionnels Parisiens., au détriments des militant·es et des élu·es locales.
3 - Une gestion des "ressources militantes" autoritaire : l’essoufflement des équipes
Les pratiques de gestion sont souvent brutales : hiérarchies rigides, absence de dialogue, ou la spécialité du Ghosting permanent, refus de débat et pression constante. Ce climat toxique étouffe les initiatives et décourage les militants comme les salariés. Les burn-outs dans les équipes de campagne ou les départs de militant·es désabusé·es témoignent de cette dynamique destructrice.
Il en résulte des effectifs militants d’une grande faiblesse, toute organisations confondues.
Il y a souvent une personne ou une équipe restreinte qui va se retrouver à gérer plusieurs groupes militants partout en France. Additionné au manque de confiance endémique, cette absence de liens et de vécus communs va amener à commettre des erreurs de jugement humaines et stratégiques qui conduisent nos listes et nos binômes à des échecs prévisibles.
Le flou, l'ambiguïté, la non-transparence et les décisions venues “d'en haut” sont malheureusement parfois nécessaires à l’action politique partisane. Généralisé, cela devient délétère pour nos combats.
Parfois, l’absence de consultation permet de s’affranchir d’une quelconque contestation.
On analyse l’auto-censure des journalistes au sein des rédactions des Milliardaires, qu’en est-il de l’auto-censure militante ?
Les militant·es ont besoin d’implication véritable et non pas d’être seulement là pour faire les petites mains, relayer et déployer une stratégie nationale à l’élaboration de laquelle ils n’ont pas pu participer. Posons-nous les questions relatives au sens du travail militant, ses conditions matérielles et psychologiques, et globalement nous améliorerons l’attractivité de l’engagement politique.
On pousse malheureusement trop souvent les personnes qui s’engagent à bout, avec des espaces insécures pour elles. Attention, si elles ont le malheur d’une rébellion, bien que légitime, elles seront blacklistées par ceux et celles qui se croient mieux positionnés dans leur situation pourtant également incertaine, mais confortable.
Au travail comme en politique, il doit y avoir une volonté impérative de préserver des violences psychologiques, sans oublier l’évidence de la lutte contre les Violences Sexistes et Sexuelles dans nos organisations.
Une personne qui exerce une violence n’a pas à être mise dans le même panier que celle qui la dénonce. La personne indignée n’aura alors pas commis de faute, ce n’est pas alors la question de savoir ou non encaisser des coups. Si l’engagement politique est bien évidemment un espace de confrontation, nous, à Gauche, avons un devoir de prise en compte des effets du Patriarcat, des inégalités de classe, des discriminations ethniques et culturelles.
La notion de “responsabilité” doit impérativement évoluer, et ne plus uniquement valoriser les comportements durs, l’absence de retenue, la loyauté absolue, sous le prétexte fallacieux que “la politique, tu comprends, c’est dur”.
Les militants ont besoin de sens, ont besoin de savoir que ce qu’ils font leur rapportent aussi humainement et intellectuellement.
Les élu·es doivent bénéficier d’un véritable statut permettant de sortir du modèle de la carrière politique professionnelle comme unique débouché à un engagement militant…
Concernant la carrière politique, elle se fait bien souvent depuis les mains des décideurs en chefs, ce qui force alors des conduites inappropriées de ceux et celles qui ne voient la politique que comme un plan de carrière. Des imposteurs qui voudront alors à tout prix se faire bien voir des responsables et devenir le “bon petit soldat”.
Voilà pour le côté pile, le côté face, lui, se présente avec une âme de “petits chefs” envers ceux et celles qu'ils voient comme des “petites mains” à leur service exclusif.
Ces opportunistes en herbe utilisent le mépris écrasant sur des militants de base qu'ils voient comme concurrents ou qui dérangent. Ce mépris est tragique pour la démocratie parce qu'en politique se sont bien souvent “les requins” qui arrivent à rester dans la course quand les autres sont désabusés des conduites patriarcales.
Ce mépris consiste par exemple à ne donner du crédit qu'à ceux et celles que l'on voit avec un certain “pouvoir” dans l'organisation et mépriser ouvertement le rôle des autres, ces “riens” qu'ils utilisent, qu'ils jettent, se donnant le droit de les écraser, ignorer, maltraiter. Ces responsables qui se déconnectent de la base, disons-le, ne peuvent pas être représentatifs du peuple souverain puisqu'ils travaillent pour eux et non pas pour le collectif.
La gestion des organisations doit se mener par des référents formés au management de groupe dit “bienveillant”, dans une perspective de coconstruction et où la démocratie locale n'est pas remise en question. Ces “managers” qui imposent et souhaitent qu'on dispose ne peuvent pas rassembler largement. L'heure n'est plus aux mentors, aux guides, l'heure est à la démocratie représentative et à l’éducation populaire politique.
4 - Survivre dans une jungle de rapports de force
Les débats d’idées sont trop souvent brouillés par des jeux de pouvoir. Ce sont souvent les plus violents ou manipulateurs qui imposent leurs visions, au détriment des coopérations constructives. De nombreuses femmes ou militants non-alignés quittent les mouvements, ne pouvant plus supporter ces luttes internes incessantes.
La préservation d’un climat sain, c'est-à-dire savoir comment prévenir, gérer les conflits dans une organisation est primordiale. On ne peut pas confier des responsabilités à des personnes qui n’ont pas une once d’humanisme dans leurs échanges ni la volonté de résoudre des conflits.
N’avez-vous pas remarqué, c’est mécaniquement toujours celui ou celle qui ne se mêle jamais de rien à qui on confie les plus grosses responsabilités ? Vous nous direz que se mêler de tout ce n’est pas non plus gage de confiance mais entre tout et rien, l’équilibre est à trouver.
Qu’attendons-nous des dirigeants politiques si ce n’est leur proximité avec les réalités de terrain et les militant·es ?
Les échanges politiques sont devenus d’une froideur affolante lorsque la moindre contradiction émerge, bien souvent sans aucune modération de la part des “Responsables”.
Comment diriger une équipe à l’aveugle, sans leur donner confiance, sans les considérer, et traiter les problèmes quand ils surviennent ?
Il nous reste alors à espérer que derrière ces paupières souvent fermées sur les conflits au sein d’un groupe militant, nos organisations pourraient s’améliorer dans la prévention des comportements toxiques, délictuels, criminels, en leur sein ?
Celle qui vient des quartiers populaires, de surcroit si elle est femme et maghrébine, doit montrer plus que patte blanche. Doit prouver son indispensabilité, quand le privilégié n’a pas à fournir autant d'efforts. Les femmes qui s’expriment avec force ou s’opposent à l’autorité sont marginalisées. Elles sont perçues comme « difficiles » ou « trop dures à gérer ».
Combien de femmes compétentes se retrouvent encore cantonnées aux tâches invisibles, pendant que des hommes moins expérimentés prennent la lumière, Hommes à qui l’on associe parfois après bien des difficultés des femmes fantômes perçues comme « pot de fleur », afin de présenter un visage paritaire bien artificiel ?
5 - Le mirage du changement : remplacer les figures sans changer le système
La Phénoménologie de l’Esprit est une œuvre du philosophe Hegel, parue en 1807 qui explique entre autres que la volonté du « Grand Homme » ne peut s’inscrire dans une volonté collective et se rapproche uniquement des aspirations de l’individu concerné.
Il est vrai que dans beaucoup de pays il est plus que difficile de concevoir une femme comme figure “d’homme providentielle”, même si en France, Jeanne D’arc est la première figure pouvant être qualifiée comme tel. Jeanne qui aura permis à un homme, pour ne pas changer, de devenir le roi de France.
Son histoire, tout le monde la connaît : à la suite d’un procès durant lequel elle fut accusée de sorcellerie et d'hérésie, Jeanne d'Arc fut condamnée par l'évêque Cauchon. Elle fut brûlée vive par les Anglais, le 30 mai 1431, sur un bûcher à Rouen, place du Vieux-Marché.
Aujourd’hui, du fait de la dégradation généralisée des débats politiques, des promesses non-tenues et des crises successives où les changements attendus n’arrivent jamais, nous constatons que les personnes providentielles ne sont plus une fascination pour les Français et Françaises.
La théorie du Grand Homme n’est plus qu’histoire passée, entretenue artificiellement par les institutions Bonapartistes de la Ve République.
Changer les leaders ne résout rien si les structures d’exercice du pouvoir et les pratiques restent identiques. Les mêmes échecs se répètent inlassablement. Plusieurs mouvements « citoyens » n’ont fait que reproduire les travers des partis qu’ils critiquent, par manque de transformation structurelle et culturelle.
6 - Conclusion : Quelles pistes pour sortir de cette impasse ?
- Donner du pouvoir aux territoires : décentraliser les décisions et intégrer les réalités locales dans les stratégies globales.
- Inclure réellement les classes populaires : diversifier les profils à tous les niveaux, y compris dans les instances dirigeantes.
- Promouvoir la coopération, pas la domination : former les équipes à des pratiques de management collectif et bienveillant.
- Éradiquer le sexisme et le paternalisme : appliquer des sanctions claires et développer des mécanismes de contrôle. Ne pas sanctionner inconsciemment les lanceurs d’alerte.
- Repenser les rapports de force : permettre à tous d’exister sans écraser les autres, en valorisant l’intelligence collective.
Changer les visages ne suffira pas.
C’est la culture politique elle-même qui doit être déconstruite, pour laisser enfin place à une vraie démocratie rénovée, vivifiée, où chacun·e trouve sa place.
L’engagement politique à gauche ne doit pas être un exercice de domination intellectuelle qui se traduit uniquement dans des rapports de force, mais une rencontre entre des visions globales et des réalités locales.
Nous travaillons à notre échelle à un engagement synonyme d’éducation populaire politique par l’intelligence collective.
Promouvoir l’engagement pour l’Intérêt Général et traduire l’implication dans un mouvement politique et les investitures comme durablement un moyen politique de transformation de la société, et non un objectif individuel d’exercice d’un pouvoir.
Katia Yakoubi, Jorim Bouet-Leclère & Daly