1. La faute des médias
Il est évident que plus de 90 % des médias sont possédés par des milliardaires, et que leur ligne éditoriale ne correspond pas à nos intérêts. Nous, à gauche, prônons une redistribution des richesses et une justice sociale, des principes qui menacent directement leur capital et leur pouvoir. Ces médias soutiendront toujours une politique favorable au statu quo. Ce n’est pas un hasard s’ils craignent moins l’extrême droite que la gauche radicale, car l'extrême droite ne remettra pas en question l’ordre économique injuste qui profite aux plus riches.
Pour eux, le racisme n’est pas aussi dangereux qu’une politique de gauche véritable, qui changerait radicalement la gestion économique du pays pour la rendre plus juste et équitable.
Le verrouillage du débat public par ces médias n’est plus à démontrer. Ils se concentrent sur la polarisation autour d'Emmanuel Macron et Marine Le Pen, au détriment des autres visions politiques, y compris celle de la gauche radicale. Les questions sécuritaires et économiques qu'ils mettent en avant ne laissent aucune place aux sujets de justice sociale, une thématique que nous défendons.
Bien que ce constat ne joue pas en faveur de la gauche, qui y subira toujours un traitement implacable dans la mesure où ils sont la source principale d'informations "fiables”, il faut alors que la parole de nos représentants soit mieux maîtrisée pour être audible et ne pas être instrumentalisée.
Cependant, nous ne devons pas tout rejeter sur l’écosystème médiatique. Combien de bâtons avons-nous tendus pour nous faire battre ?
En effet, la responsabilité n’est pas seulement du côté des médias : certaines de nos erreurs de communication et prises de position ont facilité la tâche de nos adversaires médiatiques. Nous devons reconnaître que nos maladresses ont souvent été exploitées contre nous.
Même si 57 % des Français se méfient des médias, il reste tout de même 43 % qui continuent d’être influencés.
Toutefois, d’après les sondages, la FI est détestée par 80 % des Français, ce qui dépasse largement la proportion de ceux qui pourraient être manipulés par les médias. Comment en sommes-nous arrivés là ?
2. Twitter/X : les violences du quotidien à la place des débats
La FI a également perdu le contrôle de sa communication en ligne, particulièrement sur Twitter/X, où la culture du buzz est devenue une norme. Cette stratégie repose sur l’idée que toute publicité est bonne, même si elle est négative, tant que l’on parle de nous. Cela a cependant eu des effets dévastateurs : au lieu de faire avancer les débats sur des sujets de fond, nos représentants sont tombés dans le piège des provocations, détournant l’attention des vrais enjeux.
Le buzz peut être utile lorsqu'il s'agit de mettre en lumière un sujet passé sous les radars, qu’il ne soit pas dans l'actualité du moment, ou qu’il soit parasité par d'autres sujets qui font de l'audience. Au sein de la FI, il est utilisé à mauvais escient, car il se retourne souvent contre eux, parfois de la gauche jusqu'à l'extrême droite.
Certains de nos députés sont devenus des experts en la matière, en enchaînant les tweets percutants. Mais est-ce que la LFI mesure combien chaque mauvaise communication lui coûte en termes de voix et de crédibilité ?
C'est un phénomène réel, qui tient au ressenti de chacun sur la perception de la communication de la FI. Dans sa globalité, cette communication ne peut plaire qu'à sa base électorale convaincue. Un élargissement passe par une communication plus adaptée à l'ensemble des citoyens, sans tomber dans une caricature radicale qui ne sera compris que par trop peu de personnes, exploité par nos adversaires politiques sur les réseaux, et servant de matière à des journalistes pour qui le clash et le buzz, génèrent de l’audience.
Plus largement, nous estimons que la Politique implique une forme de décence et de respectabilité et soufre de la médiocrité de ces échanges.
3. Perte de crédibilité sur plusieurs sujets internationaux
La LFI a également perdu en crédibilité sur plusieurs dossiers internationaux. Des sujets comme la Chine, le Venezuela, ou encore la Syrie ont été abordés de manière souvent manichéenne, sans nuances. Par exemple, notre soutien à des régimes comme celui de Maduro au Venezuela, sous prétexte qu’ils résistent à l’impérialisme occidental, a brouillé notre message sur la démocratie et les droits humains.
Sur tous ces dossiers, le silence et/ou une approche manichéenne des situations ne permet pas une lecture précise de leur position, qui devrait être universaliste et non binaire.
Sur la Palestine, la LFI a aussi rencontré des difficultés à clarifier sa position. Par exemple, avant de connaître les résultats finaux, l'appel a dédicacer le score aux européennes 2024 pour la cause palestinienne à été perçue comme une instrumentalisation electoraliste de la souffrance de ce peuple. De plus, bien que le mouvement défende officiellement une solution à deux États, certaines déclarations internes laissent entendre que la solution à un seul État est soutenue, ce qui peut être perçu comme une menace pour l’existence d’Israël.
Lors des dernières européennes, dans le contexte douloureux post 7 octobre, nous avons clairement pu assister à deux campagnes de la part de l’Union Populaire, celle de Manon Aubry sa tête de liste sortante, et celle de Rima Hassan et de Jean-Luc Mélenchon qui s’était invité en fin de liste. Si la cause Palestinienne mérite une place privilégiée dans nos luttes et dans nos prises de parole au regard de la portée universelle de la barbarie qui s’y déchaine, cette forme de sacrifice d’une élection traditionnellement difficile pour la FI s’apparente encore une fois à un choix de communication politique plus que de réelle ambition politique à l’échelon de l’UE. Gageons pour autant que la députée européenne Rima Hassan saura se servir de son mandat pour obtenir des résultats concrets en faveur du peuple palestinien, à l’image des succès lors de la précédente mandature de Younous Omarjee, Leïla Chaïbi et Manon Aubry.
La direction de la FI se félicite d’une progression d’un million de voix entre 2019 et 2024, nous aurions été curieux de voir quelle aurait été cette progression en menant une campagne équilibrée sur l’ensemble des sujets du ressort de l’Union Européenne.
4. Stratégie centrée sur les quartiers et la jeunesse
Jean-Luc Mélenchon a déclaré à plusieurs reprises que la stratégie de la LFI devait se concentrer sur les quartiers populaires et la jeunesse. Bien que cela puisse sembler une approche logique, elle est trop réductrice. En effet, elle exclut d'autres segments importants de la population, notamment les classes moyennes, les retraités, et les habitants des zones rurales. Se concentrer uniquement sur les quartiers et la jeunesse, c’est abandonner une partie de l’électorat, ouvrant ainsi un boulevard à l'extrême droite, notamment dans les territoires ruraux et périurbains.
Ce qui est encore plus grave, c'est que cela sous-entend que le reste est irrécupérable, notamment l'électorat de droite extrême et d'extrême droite, qui serait tous des “fachos”, alors qu'on sait qu'une partie exprime une opposition à Macron, même s'il ne faut pas nier qu'une adhésion au parti et ses valeurs progresse comme la détestation viscérale de l'extrême gauche.
Cette division entre les "tours" et les "bourgs" a été renforcée par des déclarations comme celles d’Antoine Léaument, qui a tweeté que le racisme était principalement ancré dans les campagnes. Ce genre de sortie alimente la fracture entre les élites urbaines et les habitants des zones rurales, au lieu de promouvoir une union du peuple.
Avant cela, la stratégie préconisée par Terra Nova en 2012 prônait déjà une focalisation sur la jeunesse et les minorités, au détriment des classes populaires plus conservatrices. Cette approche, qui divise le peuple entre « créolisé » et « non créolisé », a creusé un fossé difficile à combler.
5. Incohérences entre le discours et les actes
LFI est souvent critiquée pour ses incohérences entre ses principes proclamés et ses actions. Par exemple, nous sommes accusés de manquer de démocratie interne, avec des pratiques de népotisme, des exclusions, et des harcèlements. Les affaires internes, comme celle de Quatennens, ont profondément affaibli notre image, notamment sur le plan du féminisme.
Jean-Luc Mélenchon lui-même a contribué à ternir notre image par certaines de ses déclarations et comportements, comme lorsqu'il a crié à un policier à la télévision : « Vous m’obéirez ! ». Ce genre de séquence nuit à notre capacité à convaincre les électeurs de notre sérieux et de notre crédibilité en tant que force politique capable de gouverner.
A travers l'absence de démocratie en interne, additionnée à de la violence verbale qui découle sur des humiliations psychologiques avec un sentiment d'impunité, tout cela crée un sentiment d'être la seule solution pour le pays (sans jamais y parvenir). Tous ces signaux montrent un comportement sectaire qui petit à petit broie de l'intérieur pour se rétrécir, convaincus que le jour viendra où tout le monde comprendra qu'ils ont raison.
Sophia Chikirou, par exemple, a souvent utilisé un langage brutal et humiliant envers ses interlocuteurs. Des mails brutaux, parfois vulgaires, accompagnés d'insultes sexistes et homophobes, ont illustré une attitude méprisante au sein même du mouvement. Ce type de comportement n'est pas seulement contraire aux valeurs féministes que la LFI prétend défendre, mais il affaiblit également la confiance interne et publique envers le mouvement. Le manque de sanction ou d'examen de conscience pour ces écarts, notamment dans le cas de Chikirou ou d'autres figures proches de Jean-Luc Mélenchon, montre une certaine impunité pour les "proches du chef", ce qui envoie un mauvais signal aux militants comme au public.
En outre, l'affaire Quatennens a accentué la perception d'un double standard au sein du mouvement. Alors que la LFI prône un féminisme engagé, la gestion de cette affaire a été perçue comme laxiste, affaiblissant la crédibilité du mouvement sur les questions de violences faites aux femmes. Ce type d'incohérence ne peut que miner l'unité du mouvement et sa capacité à représenter les intérêts de toutes et tous..
Ce qu’il y a de plus surprenant, c'est que les nouveaux élus, qu'ils soient issus du scrutin de 2022 ou 2024, font tous bloc lorsqu'ils se font attaquer en interne ou en dehors du mouvement sans vraiment savoir pourquoi, et avec une violence verbale qui les place au même niveau que des "trolls" sur les réseaux sociaux.
Sauf qu'ils représentent le peuple. La peur maladive de se faire reprendre, invectiver, ou tout simplement purger par Jean-Luc Mélenchon et sa bande les prive de leur libre arbitre et de leur sens critique, qui est pourtant plus que nécessaire.
Conclusion
Pour que l’esprit de l’Avenir en Commun s’installe durablement sur l’ensemble de notre territoire, des quartiers populaires, des centres des grandes métropoles, mais aussi dans la France des sous-Préfectures.
Il est essentiel de corriger certaines dérives et incohérences internes. Nous ne pouvons pas uniquement blâmer les médias, même si leur influence est indéniable.
Gagner, c’est garder notre programme intact et notamment sur les luttes antiracistes, tout en adaptant la forme de notre communication pour élargir notre audience.
Gagner, c’est en finir avec les incohérences de la gauche dite radicale, les violences et les divisions internes, qu'elles soient idéologiques ou géographiques.
Il est temps d’adopter une communication plus mesurée, qui ne se limite pas à provoquer des buzz ou à parler uniquement à nos bases militantes dans les quartiers populaires et la jeunesse. Il nous faut impérativement continuer de parler aux classes moyennes, aux habitants des zones rurales, et à ceux qui ne se retrouvent pas dans notre discours actuel.
Pour la FI, éveiller les consciences ne peut se faire que dans la conflictualité, mais pas n’importe laquelle : celle qui se manifeste par l’insulte, l’outrance, la peur, les menaces, la médiocrité et la division électoraliste. Or, cette approche radicalise une petite base électorale, et nous isole du reste de la population.
Faire Mieux, c’est installer des espaces de débat au sein d’une Maison Commune à gauche qui permettent de tirer parti de la richesse de nos idées, plutôt que de s’invectiver sur les réseaux sociaux en prétendant les défendre. Le débat ne doit pas se limiter sur X ou dans des boucles Telegram.
Faire Mieux, cela implique de maintenir le cap de l’UNION.
La Gauche coalisée sous la bannière du Nouveau Front Populaire, c’est l’espoir de voir une candidature unique représenter l’ensemble du Bloc Populaire électoral en dépassant les trente pour cent au premier tour.
L’enjeu des prochains mois nous paraît être de continuer à mener par nos actions sur le terrain et notre communication médiatique une bataille culturelle à même de continuer d’élargir cette base.
Mais si nous sommes bel et bien en capacité de nous qualifier au second tour d’une élection présidentielle, notre priorité doit être de ne pas y arriver en étant assurés de nous faire éliminer au second par des segments de l’électorat qui nous percevrait alors comme plus dangereux que notre adversaire centriste, de droite ou d’extrême-droite…
L’APRèS, c’est Faire Mieux pour GAGNER !
Katia Yakoubi, Anousone Um, Jorim Bouet-Leclère.