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Billet de blog 4 juillet 2025

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Pourquoi Lordon se trompe sur l'union de la gauche

Face au discours de Frédéric Lordon plaidant contre la stratégie d'union , ce texte oppose la mémoire des luttes. De 1936 à 1981, les grandes conquêtes sociales ont été le fruit d'alliances larges et hétéroclites. L'histoire démontre que l'union, loin d'être un reniement, est la condition même du progrès social et des victoires électorales.

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Contre la tentation de l'isolement : Pourquoi Lordon se trompe sur l'union de la gauche

Dans une analyse récente sur son blog du Monde Diplomatique, Frédéric Lordon se pose la question du sens que pourrait avoir une union à gauche. Il tente de construire une démonstration d'un fait qui lui apparaît assez simple : l'union conduit à l'alignement sur le plus modéré des membres de l'union. Il avance aussi qu'il faudrait différencier stratégiquement les élections dans lesquelles la stratégie de l'union serait valide de celles où elle ne le serait pas. Il avance que « Or, indépendamment de toute question de ligne, dans cet exercice-là, personne n’a l’abattage du Vieux — Faure, Autain, Tondelier ou le mirliton des tours et des bourgs : des personnalités « en vue » si l’on veut, mais surtout pour leur platitude intellectuelle, leur consistance d’ectoplasme et leur charisme ».

La difficulté qui émerge à travers l'analyse de Lordon est cette haine et ce rejet d'une partie de la gauche radicale de ses alliés potentiels. La haine n'apparaît jamais bonne conseillère et surtout elle participe à cliver encore davantage les forces de gauche. Si on estime aussi peu ceux dont les électeurs pourraient nous rejoindre en cas de second tour ou d'alliance, on risque de se priver aussi d'un report de voix permettant le succès électoral.

Lordon pose aussi l'idée que le PS étant un mouvement de droite, il y aurait une forme d'inanité à faire alliance avec lui. Il ignore ce faisant qu'un pareil raisonnement aurait conduit à l'impossibilité pour le PCF de soutenir une alliance avec les Radicaux pour le Front populaire ou du PCF à nouer un accord avec le PS de l'époque (du fait de son ancien enracinement au centre) et avec les partis gravitant autour de lui. Poser la question de l'appartenance du PS à l'arc gauche du parlement, au centre ou à droite est intellectuellement possible. En revanche, la mémoire historique nous impose d'envisager ce type d'accord tout en construisant les digues permettant de construire un programme de gauche et de le porter une fois arrivé aux responsabilités. Cette mémoire et notre responsabilité politique d’être porteurs d’un progrès social concret pour les travailleurs nous poussent à affirmer que l’échec n’est pas une option et que nous devons chercher à faire émerger les conditions réelles d’une victoire de la gauche.

Mais plus généralement, Lordon semble oublier que les périodes mythiques qui font rêver la gauche et qui ont été des moments de gains de droits sociaux ont souvent été portées par des alliances hétéroclites.

Le Front Populaire (1936) : l'alliance des contraires au service du progrès

Dans ces moments de grâce, le Front Populaire et son programme "du Rassemblement populaire" en est un exemple frappant. Trois partis incarnant trois franges bien distinctes du mouvement socialiste et social-démocrate s'unissent autour d'un programme commun. Le PCF incarnant encore une gauche révolutionnaire, souhaitant et revendiquant la chute du capitalisme et la création d'États communistes en Europe. La SFIO se voulant déjà pragmatique et réformiste et les Radicaux se trouvant encore plus au centre de la vie politique. Pour les salariés, sans sanctuariser ou survaloriser cette alliance qui avait en soi aussi une fragilité, les avancées sociales sont majeures. On retient les premiers congés payés (deux semaines) et la semaine de 40 heures (au lieu de 48). S'y ajoutent la mise en place des conventions collectives, garantissant un cadre légal aux négociations salariales par branche, ainsi que la nationalisation des industries d'armement et la réforme de la Banque de France.

1981 : la deuxième vague de conquêtes sociales portée par l'Union de la Gauche

De la même façon, la création du PS se construit sur une même dynamique. Le congrès transformant la SFIO en PS ne fait pas disparaître les divergences entre un Mitterrand qui se positionne alors très à gauche et même en tant qu'anticapitaliste, et la frange proche de Rocard, plus sociale-démocrate et centriste. Ce PS bicéphale, porteur de deux tendances, s'allie avec le PCF qui représente la gauche encore partiellement révolutionnaire. De 1981 à 1983, le succès électoral permet une nouvelle vague de conquête de droits sociaux pour les travailleurs. Les plus emblématiques sont l'abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans à taux plein, la cinquième semaine de congés payés et la semaine de 39 heures. On note également une forte revalorisation du SMIC et des allocations familiales, et enfin les lois Auroux, renforçant considérablement les droits des salariés et des syndicats dans l'entreprise.

Cette logique portée par un "programme commun", les "110 Propositions pour la France", permet d'une part le succès électoral, la construction d'une habitude de discussion, une proximité entre les militants que la division ne permet jamais. Il n'est pas dans mon intention de masquer la rupture que représente 1983. Mais si Mitterrand change de politique, c'est sans doute que sa conviction socialiste était friable. Dès lors, refuser l'union parce qu'elle "ne marche pas" est un contresens historique que Lordon porte et qui risque de se faire au détriment des plus précarisés. Au nom d'une pureté socialiste, on en vient à oublier que les porteurs de cette pureté n'ont jamais dirigé seuls durant les périodes de conquête de droits sociaux. Ils ont construit une alliance, parfois d'opportunité, le plus souvent sans doute. Mais ces alliances d'opportunité ont permis d'améliorer directement et de façon majeure la qualité de vie des plus fragiles des membres de la société. Bien sûr, la pression syndicale est essentielle, plus les syndicats sont déterminés à ne rien lâcher, plus les politiques restent ancrées à gauche.

 La responsabilité de l'union face aux défis présents

Pour en conclure, nous ne sommes ni en 1936, ni en 1981. En revanche, la période demande une forme de responsabilité qui a été trouvée avec la NUPES un temps. Les conditions de la victoire de la gauche demandent une certaine forme de renoncement. Le renoncement de certaines personnalités à faire de leur élection une priorité, car le leadership de l'union doit se construire dans un processus continu de concertation et de travail jusqu'aux prochaines élections. Le renoncement à ne vouloir s'unir qu'avec les « purs », car les purs ne seront jamais assez nombreux pour faire basculer une élection.

Mais cette stratégie implique aussi des gains : repartir du programme commun de la NUPES, créer des synergies entre les mouvements et les militants pour viser d'abord et avant tout le discours dominant d'une droite qui reste triomphante. Seule une gauche unie, portant unanimement des valeurs et un projet cohérent, peut prendre le chemin de la reconquête sémantique et idéologique dans l'espace médiatique. Cette union de la gauche contre un ennemi commun, porteur d'une vision sécuritaire, fascisante et antisociale, est une priorité. La droite défait notre modèle social, et les cinq ans qui viennent doivent être ceux de la reconquête pour éviter le risque de sa mise à mort.

L'union, même de partis hétéroclites, de gauche, ne peut être balayée d'un revers de main, l'histoire montre le succès de telles entreprises. Elle ne doit pas non plus masquer tout le travail qui doit être fait pour créer une dynamique porteuse d'union.

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