Le massacre n'est pas une option : chronique d'une défaite de l'humanisme
Sébastien Chinsky
le 31/08/2025
À l’heure où les réseaux sociaux sont inondés d’interventions visant à justifier soit les attentats du 7 octobre, soit la guerre menée par Israël contre Gaza, pour un humaniste, les choses sont d'une simplicité implacable : il n'y aura ni négociation, ni débat. Le principe est absolu : aucune justification du crime de masse ne peut être entendue. Aucune. Jamais. Il n'existe aucune situation historique, sociologique ou politique dans laquelle le massacre de civils puisse être une solution moralement tenable.
1. Refuser le faux choix
La polarisation actuelle nous enjoint de « comprendre »(et donc d'accepter) qu'il puisse exister des raisons entendables au massacre d'une population, à un acte d'assassinat de masse. Aucun humaniste ne peut accepter cette injonction, car les deux logique de justifications ( celle qui excuse le massacre au nom de la résistance et celle qui l'excuse au nom de la sécurité) sont moralement inexcusables.
À ceux qui expliquent que le 7 octobre était une réaction prévisible, voire légitime, à l'occupation israélienne, je m'oppose sans détour. Le seul espace de débat réside dans la possibilité de s'en prendre violemment à une force occupante repérée ou aux membres directs d'une organisation terroriste. Mais précisément, en invoquant cette possibilité, on ne fait que souligner avec plus de force le caractère inexcusable du 7 octobre. Car ce jour-là, il ne s'agissait pas de frapper des symboles d'occupation, mais de massacrer, violer et torturer des civils. C'est pourquoi la distinction est absolue : se défendre est un droit, massacrer est un crime.
De la même manière, je reconnais le droit pour Israël de cibler les activités du Hamas qui menacent sa sécurité. Mais ce droit ne remet d'aucune manière en cause le refus absolu et moral du massacre de masse et de civils. Ainsi, à ceux qui prétendent qu'au nom de la barbarie du 7 octobre, l'armée israélienne serait fondée à bombarder massivement la population de Gaza, ma réponse est identique.
Les argumentaires des deux camps, aussi réels que soient les traumatismes qu'ils invoquent, rappellent les débats d'enfants de sept ans : « C’est lui qui a commencé ! ». C'est une logique indigne de la tragédie que nous observons.
2. L'accusation : notre fracture intérieure
Alors il me faut le dire. Il me faut dire la douleur d'entendre ces argumentaires. Chaque justification de la haine est une fissure dans l'édifice de notre humanité commune. Elle nous brise, elle brise tous ceux pour qui l'humanisme n'est pas un concept à géométrie variable. Au nom de cette fracture, je le déclare :
À vous qui choisissez de contextualiser, de discuter ou de justifier la mort de masse, vous êtes les fossoyeurs de la nuance et les artisans de notre défaite morale collective. À vous qui parlez de contexte pour excuser le meurtre, la torture, la famine, les bombardements, vous ne faites pas de la politique, vous souillez la mémoire des morts et la dignité des vivants.
Ceux qui, de leur clavier ou de leur tribune, normalisent la mort de masse commettent une faute impardonnable. Ils contreviennent directement à l'impératif catégorique kantien qui nous commande d'agir uniquement d'après une maxime dont nous pourrions vouloir qu'elle devienne une loi universelle Car si la maxime « je peux justifier un massacre si la cause me semble juste » était universalisée, elle anéantirait toute possibilité de morale et nous précipiterait dans un monde où chaque horreur trouverait son avocat. Le prix à payer est donc double : c'est l'appauvrissement intérieur de celui qui justifie, et l'effondrement de la digue qui nous protège collectivement de la barbarie.
Je m'adresse tout particulièrement à mes camarades de la gauche humaniste qui ont failli. En validant, même à demi-mot, la légitimité des actes du 7 octobre, vous ne commettez pas une erreur d'analyse, mais un suicide moral. Cette trahison de vos propres principes est une tache qui menace de devenir indélébile. C'est pourquoi je vous le demande : renoncez à cette dérive. Condamnez le massacre pour ce qu'il est, sans condition. Il est encore temps de revenir dans le camp de l'humanité.
3. Un seul principe : la fin est dans les moyens
La seule position morale et humaniste s'ancre dans la philosophie de l'anarchiste et pacifiste Louis Lecoin. Il expliquait refuser la révolution au nom du risque de devoir la bâtir sur des "monceaux de cadavres". Ce n'est pas une simple posture morale, c'est un principe de construction politique : les moyens que nous employons contiennent déjà en germe la fin que nous atteindrons.
Une paix bâtie sur des tombes n'est qu'un cessez-le-feu en attente de la prochaine vengeance. Une libération obtenue par le massacre de civils est une imposture qui porte en elle les graines de la tyrannie à venir. C'est pourquoi ce principe est un guide absolu : on ne construit pas une civilisation sur un monceau de cadavres. La fin ne justifie jamais de tels moyens, car la fin est déjà dans les moyens.
Conclusion : L'exigence d'une troisième voie
La seule position humaniste tenable est celle qui condamne les massacres de masse. Mais cette condamnation est stérile si elle n'ouvre pas sur une exigence. Face à l'abîme, la seule issue est de soutenir l'émergence d'une troisième voie : celle, courageuse et concrète, d'une paix construite par le bas.
Il appartient d'abord aux Israéliens et aux Palestiniens de définir les contours de ce combat non-violent. Notre rôle, à nous qui nous réclamons "amis" des uns ou des autres, n'est pas d'attiser le feu, mais de faciliter la désescalade. Il n'y a pas d'autre voie que la reconnaissance mutuelle de la légitimité des uns et des autres à habiter cette terre et à y construire leur propre solution de paix.
Le véritable défi est donc de bâtir des mobilisations qui unissent les tenants de la paix et de la sécurité pour Israël avec les tenants de la paix et de l'existence de la Palestine. Si nous, militants et humanistes, sommes incapables d'unir ces deux besoins fondamentaux, nous ne ferons qu'importer la guerre, la tension et la déshumanisation dans nos propres sociétés.
Tous ceux qui, aujourd'hui, choisissent de justifier la mort d'un seul camp, non seulement se condamnent au jugement de l'Histoire, mais ils deviennent les obstacles actifs à cette seule et unique chance de paix.