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Billet de blog 31 décembre 2024

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Gaza-Israël : la justice internationale face au défi du génocide

L’ombre du mot « génocide » plane sur Gaza et Israël, interrogeant les limites de la justice internationale. Entre horreur et indignation, cet article explore les violences inouïes des deux camps, du Hamas à l’armée israélienne, dans une spirale de destructions. À l’aube d’un nouvel appel à l’humanisme, où situer les bornes de l’éthique face à l’indicible ?

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« Génocide », le mot est un appel du passé, nous l’avons tous entendu, tous été saisis par la violence qu’il recouvre, par cette limite que nous aimerions poser à l’Humanité. Il ne peut y avoir de génocide, nous ne pouvons l’accepter.  Immédiatement surgit l’image de corps faméliques en uniformes déchirés et rayés mais plus encore des familles entières qui s’éteignent, qui disparaissent, qui sont rayées. Génocide, que cela soit celui mené par la folie meurtrière des Khmers rouges que par la voix de la radio des mille collines au Rwanda, que cela soit par balles, par bombes où à la machette. C’est un appel aux humanistes, sortez de vos canapés, ouvrez au moins les yeux.

Le 7 octobre 2023, au matin, Israël connaît la journée la plus meurtrière pour les civils qui y résident : Les habitants des kibbutz proches de Gaza et des jeunes participant à une fête sont massacrés, soit environ 1200 personnes, principalement des civils.  Les médias parlent d’actes d’extermination, d’actes de tortures mais parfois les mots ne peuvent traduire le choc, la violence, la peur ou la tristesse. Les témoins ou les secours arrivant sur les lieux diront avoir découvert des scènes montrant l’ampleur des violences subies par les victimes, hommes, femmes, enfants de moins de 15 ans. Les responsables du Hamas dont Hammad Ghazi (membre du bureau politique) évoquerons cette attaque comme la première phase d’un plan visant à la destruction de l’État d’Israel,. Khalid Tafish, une personnalité éminente du Hamas à Gaza, a affirmé que « les Juifs doivent être détruits deux fois dans des guerres terribles ».

La réponse du gouvernement Israélien, d’un gouvernement d’extrême- droite composé de ministres arqués sur une vision parcellaire de la religion, usant de quelques mots d’un texte qu’ils disent sacrés pour justifier leur vision, a été violente, massive, implacable ou jusqu’au boutiste. Et depuis aux morts d’un côté de la frontière les dizaines de milliers, hommes, femmes et enfants tués par l’armée israélienne. 

Comment parler de cette course à la violence, à la destruction ?  L’attaque du Hamas pose la question des limites que l’on peut poser à la lutte de libération d’un territoire par l’action terroriste. S’en prendre à des civils est ce défendable ? Quant au gouvernement Israélien sa riposte nous interroge sur les limites acceptables pour la défense de la sécurité de leur territoire. Les bornes de l’éthique de tous ceux qui veulent justifier l’un ou l’autre, défendre l’un ou l’autre, comprendre l’un ou l’autre sont ébranlées, déplacées, emportés par la violence de la réalité. .Dans le fond nous, humains, indépendants, n’appartenant pas à une instance décisionnaire, devrions refuser de comprendre, refuser de contextualiser, refuser la mort d’un seul. Rien ne justifie les larmes d’aucune famille, rien ne justifie qu’un être humain soit assassiné.

Le rapport publié et porté par Amnesty International le 5 décembre 2024  nous oblige.  En posant la question de la possibilité qu’un génocide se déroule à Gaza, il nous oblige à regarder, dans cette zone noire, cette zone sombre de la politique, de l’Humanité.

 L’enquête menée par cette ONG s’appuie sur la définition du génocide dans la convention internationale signée par de nombreux État.

Cette définition en droit international pose clairement que « Le génocide est le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre à l'encontre des membres de ce groupe, l'un des actes (suivants) ». Poser le principe que ce qui fait l’essence d’un génocide n’est pas nécessairement la volonté de détruire l’ensemble d’un groupe ethnique ou religieux mais que la volonté d’en détruire une partie est suffisante amène à penser le génocide dans un cadre nouveau Il apparaît indéniable que les actes posés par l’armée Israélienne depuis le 7 octobre 2024 s’inscrivent dans un plan concerté dont l’application conduit nécessairement à la destruction d’une part, importante, toujours trop importante, du peuple Palestinien résidant à Gaza. Les critères posés par la convention viennent, plus loin, préciser les actes qui sont constitutifs de ce crime. Mais la définition oblige déjà ici, à considérer que la mort d’une part importante du peuple palestinien résulte d’une décision prise par le gouvernement de mener un certain nombre d’actions de guerre sur ce territoire. Il serait peu crédible de défendre la thèse de morts accidentels alors même que des armes de guerre à large rayon d’action ont été utilisées dans l’une des zones les plus peuplés du monde. Ces morts résultent de décision politiques et les conséquences de ces décisions en termes de perte de vies humaines étaient connues et donc assumées par le pouvoir politique. Je ne citerais pas les déclarations de plusieurs ministres du gouvernement Israélien laissant entendre que tous les palestiniens étaient responsables des attaques terroristes du 7 octobre 2024 et que tous en payeraient le prix ou l’ensemble de citation visant à déshumaniser les habitants de Gaza.

La Convention précise que pour que soit constitué le crime de génocide, un seul des actes suivants est suffisant à partir du moment où l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux existe.

Le meurtre de membres du groupe : Le rapport fourmille d’exemples permettant de ne pas avoir de doutes sur le fait que depuis l’intervention de l’armée israélienne sur le territoire de Gaza, de nombreux meurtres visant les Palestiniens ont été commis. Certains ont été commis par l’usage de bombe, d’autre lors de combats au sol, d’autre ont été des assassinats ciblés. Les récits, images et témoignages ne laissent aucun doute sur la violence de l’attaque menée et si le chiffre de 60% d’habitations détruites est confirmé ou réévalué à la hausse, nul ne serait alors en position de ne pas reconnaître que cette question du meurtre de membres d’un groupe est constituée.

La question intéressante ici consiste à ouvrir la possibilité de condamner une armée régulière du fait du nombre de morts civils qu’entraîne son action sur un territoire donné et du traitement qu’elle fait subir à une partie de sa population. D’un point de vue humaniste, cette perspective est féconde et un coin posé dans l’idée même qu’une action militaire puisse être légitime à partir du moment où elle entraîne pour un groupe protégé un nombre de morts prévisibles et assumé.

La convention pose comme critère « L’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe » . Le rapport d’Amnesty International évoque sur ce point à la fois les tortures et détentions arbitraires observés que le nombre élevé de morts et de blessés. D’autre part, l’impact psychologique pour les civils des bombardement intervenus est évident. Certains de ces bombardements ayant eu lieu en pleine nuit, durant le sommeil des hommes, femmes et enfants habitant cette zone, le sentiment d’insécurité apparaît comme permanent. Le mort est susceptible d’intervenir à tout moment et où que je me trouve. Le rapport met aussi en évidence que ces bombardements n’ont pas toujours été précédé d’avertissement comme le prétend le gouvernement d’extrême droit Israélien. Vivre parmi les débris sans jamais savoir si l’on est en sécurité ou en danger, si les personnes qu’on aime seront encore en vie demain est une atteinte grave à l’intégrité psychique d’un groupe. A cela s’ajoutent les blessures, les séquelles physiques qui sont la résultante inévitable de tout bombardement dans une zone habitée. De la même façon les situations de famines et de malnutrition lié au refus de laisser le juste nombre de convois humanitaire accéder aux gazaouis est une évidence. L’impossibilité de se nourrir, de se laver, de dormir en paix, sont des atteintes nettes à l’intégrité des personnes et viennent caractériser la soumission intentionnelle du groupe à des conditions devant entraîner sa destruction physique totale ou partiel

De la même façon, les transferts forcés d’enfants sont parfaitement documentés, au grès des appels à quitter tel ou tel zone.

Les critères restant sont plus difficilement caractérisables, et finalement n’ont pas à l’être : un seul des critères suffisant à la caractérisation du crime, à la mise en accusation.

En reprenant les termes de la convention, nous devons aussi nous nous demander si Le Hamas a exécuté un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux » Sur ce premier point, il est important de rappeler que durablement, les membres du Hamas ont fondé leur action sur la destruction d’Israël et donc du groupe nationale y résidant.  Le 7 octobre 2024 n’aurait pu se produire sans une organisation sans faille du groupe terroriste lors du massacre dont il s’est rendu responsable. Les juifs, visés directement parmi la population Israélienne peuvent difficilement se voir nier le caractère de groupe protégé et ce, qu’ils soient définis comme groupe religieux, groupe culturel ou national.

Le meurtre d’une partie du groupe est lui aussi une évidence, les corps retrouvés et les témoignages ne laissent aucun doute sur la volonté d’assassiner, souvent avec cruauté, des civils et de faire naître dans la population un choc représentant une atteinte morale évidente. Des viols ont été largement documentés. La sidération, la tristesse et la peur de la population israélienne est clairement apparue les jours qui ont suivi l’action terroriste.  Ainsi l’assassinat et l’atteinte physique ou morale apparait dans tous les aspects de l’attaque terroriste du 7.

Durant cette même attaque, le Hamas s’est emparé d’otages qui ont vécu depuis lors dans des conditions niant leur humanité. Il est difficile de les documenter encore dans leur ensemble précisément mais pour beaucoup leur détention se déroule dans des tunnels, avec un accès limité à la nourriture et à l’eau. Les témoignages des otages libérés font peser de fortes inquiétudes sur leur état de santé physique et psychique. Ces derniers rapportent également des cas de tortures, d’humiliations, de viols.

Ainsi, les attentats du 7 octobre, bien que le nombre de victimes civiles en soit largement inférieur au nombre de victimes palestiniennes nous semble également relever d’un crime génocidaire avec le but de terroriser la population pour qu’elle parte.

Il ne s’agit pas ici de symétrie : Gaza subit ces massacres depuis plus d’un an et la situation des Israéliens, même nous tennons compte des nombreux déplacés des kibbutz, villes et villages proches des frontières, n’est pas comparable à ce que vivent les Palestiniens.  Mais il nous apparaît que demander également la condamnation des responsables du Hamas et de son armée en tant qu’auteurs d’un génocide, c’est montrer que la caractérisation d’un génocide est indépendante de la politique. Ce qui, de nombreuses fois, n’est pas le cas. Plus la justice internationale agira dans le sens d’une indépendance totale par rapport aux usages politiques qui peuvent être faits de la qualification de génocides ou d’autres crimes, plus nous saurons dépasser la charge symbolique que représente ces crimes pour regarder la réalité avec lucidité, qu’il s’agisse des crimes israéliens, massifs, ou des crimes perpétrés par le Hamas dont nul romantisme révolutionnaire ne saurait masquer la dimension elle aussi, génocidaire.  

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