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Billet de blog 16 avril 2025

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Hayti : la France profite-t-elle de la crise de sécurité pour se donner « bonne conscience » ?

À l’approche du bicentenaire de l’ordonnance de Charles X, le 17 avril 2025,  la France annonce un soutien accru à la Police haytienne et des initiatives mémorielles, culturelles et éducatives liées à l’esclavage. Le président Emmanuel Macron et ses ministres évoquent un effort partagé entre la France et Hayti pour faire vivre cette mémoire. Toutefois, ces gestes symboliques, sans réparations et restitutions concrètes, suscitent des doutes sur la sincérité de la France.

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Bicentenaire de l’ordonnance de 1825 : la France profite-t-elle de la crise de sécurité d’Hayti pour se donner « bonne conscience » face aux « demandes de justice réparatrice et restitutive » ?

Résumé

À l’approche du bicentenaire de l’ordonnance de Charles X, le 17 avril 2025,  la France annonce un soutien accru à la Police haytienne et des initiatives mémorielles, culturelles et éducatives liées à l’esclavage. Le président Emmanuel Macron et ses ministres évoquent un effort partagé entre la France et Hayti pour faire vivre cette mémoire. Toutefois, ces gestes symboliques, sans réparations et restitutions concrètes, suscitent des doutes sur la sincérité de la France, face aux questions de justice réparatrice et restitutive d'Hayti, car elle est accusée de maintenir une posture ambivalente entre reconnaissance partielle et logique néocoloniale. Cette attitude relance le débat sur une véritable justice décoloniale et la nécessité d’un rééquilibrage des relations haytiano-françaises pour atteindre la reconnaissance et la justice historique de cet acte de rançonnage calculé, planifié et imposé.

« Pour que la réparation et la restitution ne soient pas l'occasion pour l'Europe de s'acheter une bonne conscience à bon compte, le débat doit être recentré autour d’enjeux historiques, philosophiques, anthropologiques et politiques de l'acte de restitution », Achille Mbembe (2019).

Introduction

A l’aube du bicentenaire de l’ordonnance de Charles X, signée le 17 avril 1825 et contraignant Hayti à verser une indemnité colossale à l’ancien colonisateur en échange de reconnaissance de son indépendance, il convient de souligner que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a affirmé, quelques jours avant cette date historique, que la France allait renforcer son aide à la Police haytienne. D’une manière analogue, le président français, Emmanuel Macron avait déjà annoncé des « initiatives communes mémorielles, culturelles, économiques et éducatives » visant à « faire vivre la mémoire de l’esclavage sur l’ensemble du territoire national français comme en Hayti ». 

Dès lors, une question fondamentale survient sur la toile du débat : face aux demandes croissantes de reconnaissance de torts historiques, de justice réparatrice et restitutive pour les crimes coloniaux et postcoloniaux commis par la France, l’État français s’inscrit-il encore dans la logique de mémoire sélective, de déni de reconnaissance et de justice, dans une volonté de néocoloni(ali)ser par l’assistanat, ou du moins, favorise-t-il enfin l’émergence d’un véritable processus de justice décoloniale globale ?

Cette interrogation nous invite à examiner, dans un premier temps, comment les démarches mémorielles françaises peuvent relever davantage d’une mise en scène diplomatique que d’un engagement réel vers la justice réparatrice et restitutive. Dans un second temps, il conviendra d’analyser si les initiatives récemment annoncées ouvrent la voie à une reconnaissance effective de responsabilités historiques et à une co-construction équitable des rapports franco-haytiens, fondés sur une mémoire partagée et une justice transformatrice globale.

  1. Le poids d’une longue tradition de modernité-colonialité de la France contre Hayti

Le 17 avril 1825, la France, par l’entremise du roi Charles X imposait à Hayti, sous les menaces de 14 navires de guerre armées de 530 canons, une « indemnité » de 150 millions de francs-or et la réduction à 50 % de droits de douane tant à l’importation qu’à l’exportation afin de reconnaître diplomatiquement une indépendance qui a déjà été gagné sur les champs de bataille entre 1791-1804 (voir Laurent Dubois (2006), Carolin E. Fick (2018) et Jean-Pierre Le Glaunec (2021). Deux siècles plus tard, cette « rançon d’indépendance », qui constituait ce que Walner Osna (2019) appelle la traduction de la colonialité dans les actions politiques de l’État français contre Hayti, a été recalculée et évaluée entre 21 et 115 milliards de dollars en mai 2022 selon le New York Times.

C’est face aux demandes de justice en provenance d’Hayti que le 25 mars 2025 dernier, la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage (FME). C'est une institution mémorielle franco-française qui a montré son vrai visage. Elle s’inscrit dans la logique de l’effacement de revendications financières de l’ordonnance française sur Hayti, par le publication de sa Note #4. Cette dernière substitue, aux demandes de reconnaissance, de justice réparatrice et restitutive globale, une stratégie instrumentale manipulatrice de mémoire mémorielle, unilatéralement formatée qui suggère que « la France pourrait proposer la mise en place d’un fond universel auquel plusieurs pays, organisations internationales et fondations pourraient contribuer, pour rebâtir Haïti » (FME, p. 25).

Ainsi, le peuple haytien a-t-il encore été confronté, une fois de plus, à une énième stratégie de diversion propre à la diplomatie franco-française de mémoire mémorielle et d’universalisation de fonds en lieu et place de  la prise en charge de la responsabilité impérieuse de l’État français devant les demandes de justice pour les crimes du passé colonial et du présent postcolonial, notamment sur Hayti et contre le peuple haytien? Ce qui démontre que la FME et sa philosophie mémorielle ne sont pas innocentes. Bien au contraire, elles participent au processus d’autolégitimation du « projet d’aide au développement » au soi-disant plan « les E de la concorde » (FME, p. 25).

Ceci étant, comment faire prévaloir un tel plan qui a été formaté à l’aune de critères propres à la modernité coloniale capitaliste occidentalo-centrée, anti-restitution financière et matérielle et anti-réparation ? Et ceci, tout en promettant la prévalence hégémonique  du français et des intérêts de la France sur ceux du peuple haytien ou sur la langue et la culture kreyòl ayisyen, ici même en Hayti, 221 ans après une indépendance arrachée dans le sang et qui a été forcée de payer, 21 ans après, au prix d’or.

1.1.  Langue, mémoire et pouvoir : Hayti face au projet néocolonial de la Francophonie impériale

La performativité du discours et de l’agir instrumental de la république impériale ne font aucun doute. C'est ce que nous pouvons appeler un projet de néocolonialisation par la langue et la culture. Ce qui, pourtant, contrevient avec la filozofi kreyòl de Jean-Jacques Dessalines (qui a demandé aux kreyòl de « Tiembé langue à vous, pourquoi chercher tienn’ les autr’ ? ». Traduction littérale : Sers-toi de ta langue, pourquoi te servir de celle des autres ? (voir Jean Casimir (2018 : xviii) citant Michel Étienne Descourtilz (1809 : 281)).

Autrement dit, la néocolonialisation par la langue et la culture pourrait se concevoir comme la défense des impériales et coloniales structures de domination et de subalternisation épistémique, linguistique, culturelle, politique, sociale, économique, militaire et géostratégique par la prévalence hégémonique d’abord de la langue impériale et coloniale et enfin de la défense des intérêts de la puissance publique qui va avec (donc dans ce cas, de la France mais aussi de l’élite néocolonial national) sur le territoire même du peuple qui a combattu et battu ce que Aníbal Quijano (2007), Gabriela Alejandra Veronelli (2016-2024) et d’autres auteur.e.s de la théorie décoloniale qualifient de projet de la modernité coloniale monolinguiste esclavagiste raciste capitaliste extractiviste patriarcale et occidentalo-centrée.

Donc un projet non-consenti ni voulu, ni par, ni pour les intérêts des peuples non-occidentaux notamment haytien. Car la sagesse haytienne s'entend que « Tout moun se moun », Traduction sémantique « Toute personne humaine est digne de respect et de reconnaissance ». Donc, toute personne humaine a le droit d’avoir des droits équitables ; moraux, épistémiques, linguistiques, socio-culturels, civils, politiques…  (voir Nixon Boumba et Margaret Satterthwaite (2022).

En effet, comme l’a si bien analysé Frantz Fanon dans son fameux texte de psychiatrie de l’aliénation coloniale, Peau noir, Masques blancs (1952 : 30), dans le chapitre sur « Le Noir et le langage » : Parler une langue c’est assumer un monde, une culture. Cette thèse est reprise par Françoise Vergès (2018 : 68-81) lorsqu’elle exhorte aux ancien.ne.s colonisé.e.s de « déconiliser la langue française » et de « politiser la Francophonie » face au constat fait que : la langue française et la Francophonie sont des outils et moyens qui fondent le « soft power disciplinaire permettant au gouvernement français de maintenir à distance l’émergence d’un inattendu, quelque chose en formation […] ».

Car, à travers ce soft power, le but est « de sublimer sous de nouveaux langages, symboliques, culturels, une hégémonie française dont les ambitions matérielles – militaires et économiques – demeurent inchangées en Afrique depuis plus de cinquante ans », réécrit, la politologue et militante féministe décoloniale en s’appuyant sur la thèse de la philosophe Nadia Yala Kisukidi (2028 : 82-98). Ceci étant, le cas d’Hayti est-il si différent ?

Outre que la situation sociolinguistique d’Hayti traduit la domination et l’exclusion systématique et structurelle du peuple haytien par l’usage hégémonique de la langue impériale du français sur le kreyòl (voir Guylène Romain (2020 : 435-461), Frenand Léger (2020 : 2-28), mais la réponse cruciale à cette question se retrouve peut-être à travers la Note #4 de la FME qui reprend pour son compte des catégories performatives déjà défendues dans le Rapport Régis Debray de 2003-2004. Lequel rapport a été rédigé et publié pour faire obstacle aux demandes de justice historique d’Hayti, ou dans les discours et écrits officieux et officiels des politiciens français. Ainsi, l’État français n’est-il pas en train d’occulter et de silencer la nécessité et l’obligation impérieuse de faire justice pour ses crimes de la colonisation, de l’esclavagisation, de la traite ou au contraire, commence-t-il pour de bon, le processus de restitution et réparation de la « rançon de l’indépendance » qui a largement contribué à l’appauvrissement des classes populaires et paysannes d’Hayti ?

1.2. Francophonie et domination symbolique : Hayti dans l’engrenage du soft power de la modernité coloniale à la française

Comme nous l’avions déjà souligné dans l’article paru en trois parties dans Le National, intitulé : Double dette ou double discours : La Note n°4 de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage comme dispositif néocolonial d’effacement des revendications pour la justice historique de restitution et de réparation dues par l’État français à Hayti, la performativité de la Note #4 de la FME et du Rapport Régis Debray ont été largement analysé. Et nous avons démontré en quoi la performativité du discours de ces deux documents majeurs de la politique et de la diplomatie française, instituée à l’encontre d’Hayti et aux Haytien.nes, s’inscrit dans une longue tradition de condescendance, de paternaliste et enracinée profondément dans une approche développementaliste européo-centrée, donc moderne-coloniale.

Ce qui notamment constitue un mécanisme d’assistanat visant à liquider les demandes de réparations et restitutions et à structurellement reenchouquêter les jalons de la domination coloniale et impériale sur le peuple haytien.

Et maintenant, une quinzaine de jours plus tard, le président de la France post-esclavagisatrice mais toujours impériale annonce sa « politique d’aide à Hayti » après avoir été choyée en Afrique de l’Ouest ; Mali, Burkina Faso, Tchad, Sénégal, Niger… tant du point de vue militaire et/ou linguistique. Qu’en est-il pour Hayti, le pays où la France a dû appauvrir pendant plus de cinq siècles et que là où la langue impériale de la cour royale de Paris sert de marqueur d’exclusion, de racialisation et d’infériorisation donc de colonialité du langage et de l’être haytien ? 

1.3. La France et Emmanuel Macron : le mirage des « initiatives et/ou mémorielles » 

En prélude au bicentenaire du rançonnage du 17 avril 1825, un communiqué de presse, en date du 10 avril 2025, du Sénat français fait valoir la satisfaction d’Hélène Conway-Mouret, présidente du groupe d’amitié France-Caraïbes, « de l’adoption de la résolution invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d'un processus politique de sortie de crise ». Et, des articles journalistiques font état du souhaite de quelques élites au pouvoir de la république impériale d’accroître les efforts pour la restauration de la sécurité en Hayti, sans mention de la réparation-restitution financière-matérielle notamment pour la rançon et les remboursements des prés d’adhésion non libre de 112 millions de francs que le peuple haytien a dû forcé de payer à l’État et au excolons français. Attitude qui n’a pas été sans critiquer en Hayti, surtout par le Comité national haytien des restitutions et réparations (voir l’article de Jonasson Odigène dans Le Nouvelliste, en date du 11 avril 2025). Et aussi, Emmanuel Macron aurait promu des « initiatives » pour « faire vivre la mémoire de l’esclavage sur l’ensemble du territoire national comme en Hayti » a déclaré une fois de plus le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, selon un article du Le Figaro. Que soutendent cette flambé de discours qui occultent déjà les restitutions et réparations pour les crimes historique contre le peuple haytien dans ce bicentenaire ô combien important ?

1.4. Insécurité en Hayti : Prétexte français à l’effacement des réparations et restitutions de la rançon coloniale 

 Derrière ces écrits et discours solennels, faut-il encore se rappeler que d’anciens présidents français depuis Jacques Chirac à François Hollande, ne se cachaient pas pour catégoriquement refuser de restituer les 90 millions de francs-or que l’État français ont extorqué sur le dos du peuple haytien entre 1825-1888. Ce qui a pourtant causé de pertes énormes à la société haytienne entre 1825-1947. Ce qui représente en revanche, selon les calculs du New York Times, entre 21 à 115 milliards de dollars en valeur actualisé au mois de mai 2022.

Et, pourtant, en janvier 2025, lors d’une rencontre avec le président haytien par intérim Leslie Voltaire, Emmanuel Macron aurait évoqué la question de la « réparation et restitution » des rançons de l’indépendance, d’après les propos du membre du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) (voir France 24). Toutefois, dans le résumé de la rencontre publiée sur le site internet de l’Élysée, le 29 janvier 2025, aucune mention de termes restitution et réparation pour la rançon n’a été signalée.

C’est dans ce contexte l’affluence de revendications de justice historique en provenance d’Hayti et sur la scène internationale que Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, préfère vanter l’aide sécuritaire française à Port-au-Prince, pendant que Bruno Retailleau annonce l’envoi de drones et de blindés pour « combattre les gangs ». Une stratégie d’aide, de nouvelles formes de solidarité ou une stratégie néocoloniale classique qui substitue à la justice historique des actions humanitaires pour pallier les crimes de l’État français contre le peuple haytien.

Lesquels crimes sont pour la plupart, les premières causes d’appauvrissement et d’instabilité chronique du pays, que ce soit par la colonialité du pouvoir, de l’être, du langage, de l’extractivisme colonial financier, commercial, culturel, écologique ou d’impérialisme politico-militaire de la France. La France aurait participé à la destitution du président Jean Bertrand Aristide qui a soulevé en 2003, les demandes de justice, de réparation et de restitution de la somme de l’indemnité de la France sur Hayti, soit 21.685.135.571, 48 dollars US, ou sensiblement 21.7 milliards, en valeur actualisée pour l’année de 2003 (voir Ira J. Kurzban (2023)).

1.5. Réparations refusées, interventions renouvelées, la France et l'impasse décoloniale haytienne

Contrairement aux écrits et aux discours des élites politiques au pouvoir en France, les Haytien.ne.s ne doivent pas se tromper. Car, l’État français est l’un des plus réticents face aux demandes légitimes et justes de restitution surtout matérielle, financière, éthique, patrimoniale et réparation globale pour les crimes contre l’humanité liés à la colonisation, à l’esclavagisation, à la commercialisation des personnes, aux guerres et génocides coloniaux (voir Louis Georges Tin (2019), Camille Cottais, (2024) et Ana Lucia Araujo (2025)).

D’ailleurs, qui a déjà oublié que l’actuel président français, Emmanuel Macron a déclaré en avril 2017 au Ghana « it would be ‘totally ridiculous’ for France to ‘pay a subsidy, or recognize, or compensate’ for colonialism ». Traduction littérale : il serait « totalement ridicule » pour la France de « payer une subvention, ou de reconnaître, ou compenser » le colonialisme ? Ou encore, qui a le souvenir des affirmations de ce président de la république impériale lorsque, le 19 novembre 2024, dans un lieu hautement symbolique de l’histoire de l’esclavagisation européenne au Brazil, sur le Quai de Valongo à Rio, l'une des plus grandes destinations de la traite des africain.e.s, il a tenu des propos méprisants sur Hayti et les Haytien.n.e.s, affirmant que ces derniers « sont complètement cons » et « ce sont les Haytiens qui ont tué Hayti » en changeant de dirigeant, qu’il ait pourtant défendu.

Ceci étant, enfin, la France par l’entremise d’Emmanuel Macron fera-t-elle de la question de l’insécurité en Hayti, sa cause principale en lieu et place de la reconnaissance de justice réparatrice et restitutive globale pour ses crimes coloniaux et postcoloniaux qui remontent de près de cinq siècles, soit 522 ans ? Profite-t-elle de la situation d’insécurité d’Hayti pour créer de nouveaux empires et de nouvelles classes de riche notamment dans ses industries militaires en pane de débouchés en Afrique ou dans ses associations et organismes sur le terrain faisant usage de mécanismes de colonialisation par le passé coloniale et la culture francophiliste contre « lang ak kilti kreyòl ayisyen an »?

  1. La FME ou l’art franco-français de la diversion et d’assignation de la colonialité de l’esprit et de l’action

La Note #4 de la FME, présentée dans la logique instrumentale de ces flambés d’écrits et discours officieux et officiels en France, a déjà endossé le pas vers le soi-disant « réconciliation », tout en illustrant le déni de la question de reconnaissance et de justice globale de réparations et restitutions par un discours institutionnel de cadrage et de négation de justice historique. Pourtant, une telle justice ô combien nécessaire et légitime est tant défendue par des intellectuel.le.s français.e.s ou francophones notamment Thomas Piketty et Marcel Dorigny (2021), Audrey Azoulay (2018), Kalala Omotunde (2021 et 2022) et Françoise Vergès (2024), Frédéric Thomas (2025) et Pierre-Yves Bocquet (2025) etc.

À travers sa Note, en qualifiant la rançon de « dette et/ou double dette », et en déresponsabilisant de manière insidieuse l’État français de ses propres actions criminelles personnelles et de ses obligations de restitution et de réparation globale, la FME transforme un crime financier, conjugué aux cinq siècles de violation systématique et structurelle des droits de l’humanité caribéenne et africaine, en « réparations culturelle, scientifique, patrimoniale, politique et diplomatique », mais non en restitutions et réparations financière et matérielle globale. Donc des projets bénéfiques au roman national et postcolonial franco-français jumelé au soft power qui font perdurer et reenchouquêter les structures de la domination et de l’aliénation néocoloniale tant en Hayti, dans la Caraïbe, en Abya Yala, Asie, Océanie en Afrique et aussi bien qu’en France même.

Car si tant est que les Français et Françaises aient et parlent par moins de 75 langues qui pourtant structurellement sont boycottées par la politique coloniale monolinguiste s’enracinant dans la droit logique instrumentale de la colonialité du langage où l’État royal érige en universel le monolinguisme juridique et institution de langue françoise-française (depuis 1539) et que la plupart de cette population française soit surtout choyé dans ce que Frantz Fanon appelle « la zone de non-être » notamment en France. Alors, la justice décoloniale pour cette population dominée et subalternisée implique une décolonialisation épistémique et juridique capable de garantir la reconnaissance des droits linguistiques et la reconnaissance de « l’être des êtres Français » mais surtout des victimes et descendant.e.s de la traite esclavagiste et de l’esclavagisation causées par l’État impérial et colonial qui se prenne pour univer-sa-liste mono-linguiste et euro-centré-françois-français

Donc, la justice décoloniale globale est avant tout un appel à la déconstruction des métarécits, de la normativité, la légitimité et de la légalité qui justifient la domination et la subalternisation par la perpétuation des structures de la colonialité du pouvoir et du droit moderne et contemporain. Lesquelles structures coloniales modernes et contemporaines faisant prévaloir un homme universel décontextualisé tout en perpétuant les rapports de pouvoir et de savoir des modèles sociaux racistes qui favorisent le statu quo des praxis structurelles, économiques, linguistiques, sociales, politiques, épistémiques et géopolitiques de la connaissance du dominant (voir Rainer Bomfim et Alexandre Gustavo M. F. de Moraes Bahia (2022)). 

2.1. Décoloni(ali)ser la langue et la domination française pour rendre possible d’autres pensées et actions

Dans la lignée réflexive de Sebastien Lefévre (2021), Gabriela Alejandra Veronelli (2016-2024), les lexiques d’ « esclave », « esclavage » propres à la France et aux francophilistes en lieu et place de lexiques esclavé.e, ou esclavisé.e, esclavisation ou esclavagisation, ont été étudiés et critiqués, car aucune langue n’est neutre. Si tant est que les catégories d’assignation identitaire de langue impériale et coloniale participent en majeur partie à la perpétuation des structures symboliques et épistémiques, donc communicationnelles de domination et d’invisibilisation. Laquelle domination et invisibilisation s’enracinent profondément dans la logique de la « colonialité du pouvoir et du langage, de la colonialité de l’esprit et de l’action ». Car elles participent au processus de (re)production qui naturalise et neutralise les conditions et les dispositifs d’asservissement des victimes et de ses descendant.e.s de l’esclavagisation et en rendant intouchables les mécanismes qui garantissent la conservation des formes hégémoniques et dominantes et le principe instrumental d’imprescriptibilité du droit coloniale moderne et contemporain qui protège les  biens mal acquis de la modernité coloniale esclavagiste raciste  capitaliste, fût-elle française, pour reprendre la thèse de Carine Nassif-Gouin (2019) ou celle de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy (2018).

La FME, dépourvue de représentant.e.s haïtien.nes, incarne une mémoire mémorielle sélective et contrôlée par l’ancienne puissance monarchie-républicaine impériale-coloniale. Car comme le rappelle Sebastien Lefévre (2021), Camille Chalmers (2022), Brian Concannon Jr., et all (2023) et Georges Eddy Lucien (2025) etc., parler de dette et/ou double dette au lieu de rançon, ou parler d’  « esclave et esclavage » au lieu d’ « esclavé, esclavisé ou esclavagisé et esclavisation ou esclavagisation » c’est continuer le long processus d’invisibilisation de la place des Africain.e.s-Haytien.n.e.s dans le mouvement mondial d’abolition du modèle plurimilenaire de production esclavagiste ou encore c’est non seulement invisibiliser les demandes de réparations et restitutions mais surtout c’est nier que la France ait pillé le peuple haytien pendant plus de six décennies (1825-1888), ruinant son agriculture, sa finance, son commerce extérieur et asphyxiant son développement, donc son sa souveraineté et son indépendance.

Autrement dit, invisibiliser la place des Africain.e.s-Haytien.n.e.s dans le mouvement mondial de réparations et restitutions  c’est surtout nier que les mêmes pays qui dominent les Amériques et le Conseil de sécurité de l’ONU ont fait en sorte qu’Hayti ne réussisse pas grâce à une campagne coordonnée qui comprenait des sanctions économiques, un soutien aux élites haytiennes qui tentaient de renverser le gouvernement populaire et, finalement, l’enlèvement du président qui a soulever les demandes de justice en 2003. Ou encore les soutiens d’anciennes puissances coloniales aux élites corrompues et répressives au pouvoir qui n’oseraient jamais participer à la création de conditions sociopolitiques de l'autodétermination démocratique du peuple haytien. Ce qui pourtant, sans ingérence étrangère, est donc la condition sine qua non de la mobilisation efficace en faveur de réparations et restitutions.

2.2. Droits publics nationaux haytien, français et international, une arme à double tranchant face à l’ordonnance de 1825

Les travaux de José Atiles-Osoria (2020), Rainer Bomfim et Alexandre Gustavo M. F. de Moraes Bahia (2022), Christine Jiha (2023) et Kristen Casey, Kathy Fernández & Nikoleta Nikova (2022), Felwine Sarr et Bénédicte Savoy (2018) et Windy Phele (2025), etc., révèlent pour la plupart d’abord, l’illégitimité juridique de cette « rançon d’indépendance d’Hayti imposée par la France  le 17 avril 1825 » et ensuite, la colonialité du droit moderne et contemporain international. Puis, les obstacles juridiques propres à la législation française face aux processus de justice liés    à « la réparation de séquelles de la traite négrière transatlantique et de l’esclavage colonial », et enfin aux structures de la modernité-colonialité du droit français face à la restitution complète des objets culturels spoliés par l’Occident colonial. Car ce système juridique moderne colonial occidentalo-centré ne fait que protéger les États occidentaux excolonisateurs et les musées coloniaux devant les demandes de reconnaissance et de justice pour les crimes du passé colonial et postcolonial.

Toutefois, signée sous la menace de 14 navires de guerre armées de 530 canons de l’État français, l’ordonnance de Charles X du 17 avril 1825 qui a appauvri le peuple haytien, a été étudié comme « un acte juridique nul et de nullité absolue ». Car pour beaucoup de spécialistes et juristes de renommé international, cet ordonnance unilatérale de la France imposée à Hayti par la force et la contrainte viole ab initio les principes du droit contractuel d’Hayti Code civil de 1825 (articles 904, 906 et 907), l’Acte de l’indépendance 1804, et aussi du droit contractuel de la France, Code civil de 1804, (articles 1104, 1130, 1140 et 1142), en raison de menaces de guerre et contraintes diplomatique et militaire, absence de libre consentement, contrat d’adhésion non libre etc.

De plus, puisque Hayti a dû continuer de payer les redevances de cette rançon jusqu’en 1947, ainsi la France a-t-elle bafoué le Pacte de la Société des Nations (1919) et la Charte de l’ONU (1945), qui interdisent l’agression militaire, l’exploitation financière et économique d’un État contre un autre. Pourtant, ces deux documents du droit public international sont signés et ratifiés par Hayti et la France. Et qui pis est, en 2003, Jean-Bertrand Aristide avait initié une action en restitution et réparation, avortée après son renversement par le bloc occidental avec la France en tête, selon les articles du Journal The New York Times (mai 2022) ou d’après d’autre recherches antérieures, notamment l’ouvrage très documenté d’Alexandra Breaud  (2015). Dès lors, aujourd’hui, Haïti pourrait-elle saisir la Cour Internationale de Justice (CIJ), là où la France, qui refuse sa compétence obligatoire, bloque toute procédure et annonce sa politique d’assistanat, une politique du faire et penser pour l’Autre ?

Qu’attend l’État haytien pour faire valoir le principe de forum prorogatum par devant les tribunaux internationaux compétents ? Un principe qui, selon Kristen Casey, Kathy Fernández & Nikoleta Nikova (2022), consiste dans l'idée que, «même si un État n'a pas reconnu la compétence d'un tribunal (ici, la CIJ) au moment du dépôt de la requête, l'État mis en cause (ici, la France) peut, par la suite donner le consentement, accepter la compétence et permettre au tribunal pour connaître et de se statuer sur l'affaire».

2.3. Réparations et Restitutions au-delà de l’argent et de biens culturels spoliés : la dignité et la justice décoloniale globale

Les réparations et restitutions ne se limitent pas à un chèque, qui pis des aides de développement ou du développement des aides, comme l’a si bien analysé dans le cas Africain, les travaux de Dambisa Moyo (2009) ou chez Felwine Sarr (2016 et d’autres auteur.e.s). Dès lors, les réparations et restitutions impliquent la restitution de biens culturels volés (notamment les 90 000 artefacts africains qui sont illégalement coincés dans les musées français), la restitution de 112 millions que l’État sur le dos et le sang du peuple haytien a versés à l’État français et ses banquiers et excolons, aux 500 000 $ de dollars d’or qui ont été spoliés par les soldats états-uniens en 1914, des excuses officielles, et surtout la possibilité d'un développement haytien autodéterminé. Comme le souligne Achille Mbembe (2019), « pour que la réparation et la restitution ne soient pas l'occasion pour l'Europe de s'acheter une bonne conscience à bon compte, le débat doit être recentré autour d’enjeux historiques, philosophiques, anthropologiques et politiques de l'acte de restitution ». 

Toutefois, pour Georges Eddy Lucien (2025) et Yves Dorestal (2025) et d’autres acteur.e.s de la société civile et de la diaspora haytienne et au niveau international, si tant est que la démarche de justice et de reconnaissance implique le débat, la formation d’un plan et la constitution d’une approche globale de restitution et de réparation à la hauteur de crimes subis par les tayinos et africains-haytiens durant près de cinq siècles notamment causés par l’État espagnol, français, anglais et états-unien, leurs colons, banquiers colonialisateurs et soldats… C’est dans cette optique que s’inscrivent les travaux des chercheur.e.s comme Ta-Nehisi Coates (2019), Camille Cottais (2024), Mario Laarmann et all (2023), Louis-Georges Tin (2013), Christiane Taubira (2021) et Claudette Duhamel & Alain Manville (2021), Hilary McD. Beckles (2013), Hon. Ralph E. Gonsalves (2014), Christine Jiha (2023), Ana Lucia Araujo (2025) François Blancpain (2001) pour ne citer que ceux et celles-là.

Portant, à quelques jours de ce bicentenaire de la rançon de la France sur Hayti, en date du 17 avril 2025, la France préfère-t-elle dribbler la question fondamentale en annonçant l’« aide au développement et/ou à la sécurité »? Alors, combien de fois que la France doive-t-elle annoncer des promesses avant de faire finalement justice à son passé criminel contre l’humanité des Tayinos, Kalinagos, Africains-Hayien.nes ? D’ailleurs, dans l’histoire, les « 50 millions promis par Hollande en 2015 et la reconnaissance d’une dette morale » de la France face à Hayti n’ont aucunement été réalisés dans les termes convenus. Et qui pis est, le premier pas de la reconnaissance et de la justice pour les crimes historiques n’a aucunement traversé le discours officiel de la république impériale qui déploie ses (6) six bras hexagonaux sur tous les continents. Dès lors, comment entamer les premiers pas d’une relation égale, digne tout est faisant prévaloir l’effacement et le déni propre à la modernité coloniale esclavagiste capitaliste extractiviste patriarcal monolinguisme pluriséculaire (voir Philippe Colin, Lissell Quiroz (2023), Claude Bourguignon Rougier (dir.) (2021) et Gabriela Alejandra Veronelli (2016-2024)) ?

Si « chaque centime de cette aide sert à acheter la paix des consciences en France, mais pas à réparer les structures colon(ia)les ». La modernité coloniale occidentalo-centrée continue de bloquer toute vraie justice décoloniale, particulièrement en France. Car, la république monolinguiste a bloqué systématiquement les démarches de justice de la  CARICOM, qui depuis (2013-2014), porte un plan de 10 points de réparations et restitutions, incluant des investissements dans l’éducation et la santé, l’environnement...

Mais surtout, les structures de la modernité coloniale française ont bloqué le processus de restitution des objets culturels pillés depuis l’Afrique subsaharienne malgré le Rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy (2018 : 27-28) qui a cartographié des objets culturels volés durant ou après la période impériale-coloniale occidentale, qui se retrouve particulièrement dans les musées coloniaux sur le territoire et dans des collections publiques et privées français où l’on compte « du British Museum (69 000 objets d’Afrique) au Weltmuseum de Vienne (37 000), du musée royal de l’Afrique centrale en Belgique (180 000) au futur Humboldt Forum de Berlin (75 000), des musées du Vatican à celui du quai Branly (70 000) en passant par de nombreux musées missionnaires protestants et catholiques en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Autriche, en Belgique, en Italie, en Espagne ».

Et pourtant la Caraïbe, notamment Hayti n’a néanmoins aucun inventaire exhaustif de ses œuvres culturels ; tayinos, kalinagos et autochtones, qui ont été spoliés par l’Espagne, le Portugal, la Grande Bretagne etc. et notamment la France à un moment aussi crucial de ce que Marlène Daut (2020) appelle le plus grand vol de l’histoire, à savoir le bicentenaire de l’ordonnance d’indemnisation d’Hayti en date du 17 avril 2025. C’est de là que surgit le modèle alternatif de justice décoloniale de restitution et de réparation globale qui promeut la décolonisation et la décolonialisation de la pensée, de l’action et du droit moderne colonial pour reprendre les thèses de Carine Nassif-Gouin (2019), José Atiles-Osoria (2020), Rainer Bomfim et Alexandre Gustavo M. F. de Moraes Bahia (2022). Cette décolonialisation pour Hayti et la France commence notamment par la cartographie et la restitution complète des objets culturels caribéens et haytiens qui se retrouvent illégalement coincés dans les musées coloniaux de la France excolonisatrice.

Afin de ne pas conclure mais de revitaliser les processus de décoloni(ali)sation

Les « initiatives » d’Emmanuel Macron et de la France ne risqueraient-elles pas de ressembler à celles de Ouagadougou en novembre 2017, où le président français avait lancé le processus qui n’en fini pas de restituer les trésors coloniaux de l’Afrique subsaharienne ? Pourtant, comme l’écrivait Frantz Fanon, « aucun discours ne lave le sang historique de l’occident colonial ». Cela étant, la balle est dans le camp de la société civile haytienne, caribéenne, africaine et autres excolonisées et colonialisées : en exigeant un tribunal national et international indépendant et en mobilisant l’opinion publique, c’est par ce chemin salutaire que l’on forcera Paris et au bloc postesclavagisateur occidental à affronter leur passé impérial et colonial irréparable. Car, sans réparation et restitution globale, sans justice décoloniale, il ne peut y avoir de réconciliation – mais, le prolongement silencieux d’un crime historique et anthropologique.

Le 17 avril 2025, le bicentenaire de l’ordonnance d’indemnisation de la France contre Hayti, est-il une occasion de relancement des mouvements de demandes de restitution et de réparation globale où surgissent de nouveaux contrats d’assistanat dans la logique du développement d’aide et d’aide au sous-développement ? 

Le 17 avril 2025, les sociétés poscolonialisées (haytienne, caraïbéenne, africaine, abya yala, asiatique et océanique) se préparent-elles à relancer les mouvements de décolonisation et de décolonialisation globale ou laisseront-elles  notamment à la  France une énième opportunité de célébrer le bicentenaire de l’ordonnance Charles X par de vagues discours mémoriels et de nouveaux projets néocoloniaux d’assistanat ? Ou n’est-il pas le moment opportun de lancer par un acte symbolique de grande envergure, le processus de reconnaissance et de justice décoloniale alternative globale ?

Néanmoins, peut-on décolonialiser les sociétés quand les élites au pouvoir servent de mécanismes du pouvoir pour pétrifier les sociétés ? Peut-on relancer les demandes de reconnaissance et de justice pour les crimes contre l’humanité tant que l’élite au pouvoir se sert de structures de la colonialité du pouvoir, du savoir, de l’être, de la langue, du genre, de la nature, du droit, de l’esprit et de l’action pour auto-dominer et asservir la société ?

Donc pour reprendre Walter D. Mignolo (2021), c’est parce que la colonialité est partout, notamment en Hayti, dans la Caraïbe en Abya Yala, en Asie, Océanie et notamment en Occident colonisateur et colonialisateur que la décolonialité est inévitable.

17 avril 2025, date fondateur après 1er janvier 1804 des luttes contre toutes les formes de domination, oppression, assistanat, subalternisation, reesclavagisation notamment en Hayti.

Kenny THELUSMA et Elmano Endara JOSEPH

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