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Billet de blog 4 juin 2025

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En Squat #3 : L'Évangile selon Saint-Squat

1 mai 2025 : La Maison Internationale Populaire sort de ses murs et marche en ville, le goût de ses mots plein les poches, écrits par dessus un dessin du lieu fait par ses enfants. Sur le tract, l’adresse est pas la bonne. On a changé d’entrée et c’est tellement grand que la première est à 5 minutes à pied de la deuxième. Y en a 500 à corriger. Nous aussi on a droit à la folie des grandeurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On se retrouve pour se partager le tout, et on discute de ce qu’on doit dire.

« On a reçu une mise en demeure de quitter les lieux. Près de 80 personnes seraient remises à la rue. Le propriétaire est un gros groupe public/privé -ouille…Venez quand vous voulez ! »

Chacun.e fera ensuite comme iel peut, mais c’est rassurant d’avoir un cadre.

Il y a très peu d’infos sur le papier, alors l’idéal, c’est de prendre le temps de parler. On est nombreux.ses à trouver qu’on ne prend plus assez le temps de le faire, ce travail de base.

Ça permet pourtant de se présenter, de rendre les idées visibles à travers des sourires et des regards. De rendre tout ça plus concret, moins distant.

Un visage derrière un écran, ce sera toujours une image, et encore, une image qu’on peut même pas toucher ; et il faudrait qu’elle nous touche ?

Et puis y en a marre, de se cacher.

Quand on pourrait se rencontrer.

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En tout cas, c’est plus facile de tracter pour quelque chose auquel on croit.

C’est la première fois que ça m’arrive.

Enfin, j’y croyais, aux autres luttes, mais leur objectif était tellement plus distant.

Et puis y a l’habitude de perdre aussi; ça tape.

Alors qu’aujourd’hui, c’est concret ce qui se passe à la MIP et surtout c’est tout de suite.

Sans même parler de celleux qui ne sont plus à la rue, on est plein à mieux manger depuis deux semaines, dans tous les sens du terme. Grâce à la cantine, à celleux qui viennent faire à manger tous les jours, aux dons des gens et des paysan.es qui viennent filer pleins de trucs.

Sans oublier le petit groupe qui installe le banquet tous les soirs.

Même si depuis deux jours, les tables ne bougent plus trop et restent sous le barnum où certain.es restent discuter tout l’après midi.

Ça se simplifie.

Même si on n’arrive pas à trancher, par rapport à la vaisselle : une équipe différente dessus à chaque repas, ou chacun.e la sienne ?

Personnellement, ça me va de nettoyer la mienne.

Surtout quand c’est mon tour d’être dans l’équipe du soir.

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« Nul n’est à l’abri d’une victoire ! »

C’est ça qu’y a écrit dessus.

Et c’est bien vrai, en fait, faut pas l’oublier.

Même si on se faisait la réflexion, être profondément de droite, en ce moment, ça doit être beaucoup plus facile. Tous les matins, hop, cascade de bonnes nouvelles.

Ça glisse tout seul.

Alors peut-être bien qu’eux ils ont aucun « mérite » finalement.

Alors que nous on « innove » toujours, on « prend des initiatives », on « se dépasse ».

D’ailleurs je viens de dépasser le cortège de la CFDT.

En même temps c’est pas très compliqué.

Mais allez, allons leur parler.

Je me suis déjà fait engueuler par un couple de soixantenaires qui m’a accusé d’avoir fait exprès de les éviter parce qu’ils sont « vieux ».

Alors que pas du tout, ils avaient sans doute juste l’air pas aimable et que malgré moi je calcule vite fait la probabilité de me faire rembarrer avant d’aller vers les gens.

Si si, même au premier mai, y en aura quelques uns pour opposer une main à notre approche en signe de « HALTE » sur fond rouge.

De toute façon, ça tombe bien, y a pas assez de tracts et je me suis pas fait chier à changer l’adresse pour des gens qui tirent la gueule, si c’est pour qu’ils viennent pourrir l’ambiance.

Mais peut-être qu’ils ont pas l’air aimable à force qu’on leur en file jamais leur dose depuis toujours ?

Et alors peut-être que c’est un cercle vicieux ?

L’œuf ou la poule ?

Le tract ou le sourire ?

La bourse ou la vie ?

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« Je suis contre ce genre d’initiative, parce que ça renferme la lutte sur elle-même, sur le lieu. Très vite le seul but devient de le défendre. Et on ne gagne de droits supplémentaires pour personne. » me dit un camarade croisé à l’instant.

Tiens donc.

J’ai pourtant l’impression que pour le coup, on a eu cette conversation à un moment qui représente tout l’inverse. On n’est pas là que pour tracter, mais bien d’abord parce que c’est le premier mai, non ?

Même si je peux comprendre, et que je crois que je ne serais jamais venu sur un lieu qui n’aurait pas eu vocation à rester en contact étroit avec le monde.

Un lieu comme ça, pour renforcer les luttes en cours et non pas les vider; faciliter les rencontres autour de l’euphorie provoquée par le fait que bon dieu, pour une fois, ça marche.

Le problème c’est peut-être pas tant les divergences de stratégies, mais la façon dont on les articules entre elles. Si personne n’aura jamais la même vision du « comment faire », alors en actant ça, comment faire pour que tous ces « comment faire » convergent vers le fond commun ?

Eh oui, comment faire, hein ?

Je sais pas, mais y a quelqu’un qui me regarde de travers quelques mètres plus loin.

Il veut sans doute un tract.

Et puis, y aura toujours un con qui mettra rien dans la boîte prix libre alors que lui, il pourrait.

Faut faire avec.

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Quand y en a plus, une autre équipe en ramène d’autres.

En couleur cette fois, et avec le programme du soir.

Au menu « Chili végé » et concert de musique brésilienne.

Au départ, y a pas de viande, parce qu’y a pas de sous.

Je les vois venir, à nous accuser de vouloir torpiller les éleveurs locaux parce « qu’on n’aime pas la France, ses traditions » et tuti frutti. Mais si nous sommes nombreux.ses à voir des raisons politiques cohérentes au-delà de l’urgence économique, les premiers à demander pourquoi on n’en mange pas, ce sont les habitant.es venu.es d’autres pays.

Et si on votait toustes le choix politique de manger ou pas de la viande à la MIP, je suis pas certain qu’aujourd’hui le consensus serait pour le « non ».

Alors Valeurs Actuelles, « Les étrangers, garants de la survivance de la gastronomie à la française contre l’extrême gauche végane et pue-de-la-gueule » ?

Par contre, la musique brésilienne, elle est jouée par des musicien.nes locaux, d’abord.

On joue bien ce qu’on aime jouer.

La musique n’a pas de frontières.

Et on se régalera d’une sacrée symphonie pleine de vraies fausses notes.

Parce qu’y a toujours un.e gamin.e pour chopper un micro quand on regarde ailleurs.

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Enfin, la semaine dernière, ce sont les racistes locaux qui sont venus nous faire coucou.

C’était avant qu’on change d’adresse, quand il fallait encore rentrer du côté du chantier et marcher un peu pour arriver jusqu’à nous. Les timides, ils ont pas trop osé s’approcher, ils sont restés dans la rue et ils ont accroché une banderole : « SDF Français Not Welcome ».

Ils sont mal renseignés, mais ça devait pas se voir depuis le trottoir.

Ensuite ils ont posté une vidéo d’eux sur leurs réseaux, en train de parler devant leur banderole pour faire comme si c’était nous qui l’avions accrochée.

« Bouhouhou, l’affreuse extrême gauche qui fournit des logements à celleux qui n’en ont pas et même que c’est même pas des français bouhouhou. »

Ça avait vraiment l’air de le paniquer le petit gars.

Ces gens-là ils ont l’air tellement fragile que même avec les heures passées à la muscu, t’as l’impression tu leur marches sur le pied ils ont le biceps qui pète comme un ballon de baudruche.

En tout cas lui il viendra pas boire le café.

Tocards français are not welcome, yes my dear.

À part ça, pas de problème.

Si ça fait de nous des intolérant.es…

Je suis pas persuadé que vous inviteriez à bouffer chez vous un type tout le temps tout rouge qui passerait son temps à dire qu’il veut vous casser la gueule et qui incite chaque personne qu'il croise à faire de même sous prétexte que vous l’invitez pas à bouffer.

Mais on retombe sur le même problème.

Le fasciste de la vidéo, c’est peut-être le descendant d’un type pas aimable à qui on n’aurait pas filé un tract.

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La manif se termine, une fois arrivée au village annuel des luttes; au bord de la Loire.

La Loire, connue à travers le monde pour ses châteaux et son extrême gauche sectaire et violente qui organise des rencontres ouvertes et gratuites -c’est 18 balles pour visiter un château- sous le soleil.

On continue de discuter et on se prépare à rentrer à pied à la Maison Internationale Populaire. On sent bien que certain.es ont des tracts et de l'engouement plein les poches, parce qu’y a comme un grand mouvement dans la rue et des personnes qui tiraient la gueule y a encore quelques heures affichent le sourire des curieux.ses.

En effet, ce soir la salle de bal sera pleine à craquer de gens qui dansent sur les airs du Brésil, après qu’on ait dû trouver des tables d’appoint pour pouvoir accueillir tout le monde à manger.

Et si quelques centaines de personnes à travers la soirée c’est pas tout le monde, c’est déjà de quoi faire un monde ici entre la lune et les stroboscopes.

Avec quelques ami.es nous sortons chercher un peu de fraîcheur.

On trouve un coin d’sol au fond du jardin et j’ai comme un vertige en voyant tous ces gens se promener et s’asseoir dans l’herbe fraîche, rire, parler avec de grands gestes et puis la musique que l’on entend encore et qui va d’un rythme à l’autre et les applaudissements et cette habitante dont je connais un peu l’histoire et qui en a chié mais alors bien chié et que je devine ressortir de la grande salle en continuant de danser en s’allumant une cigarette qu’elle porte à sa bouche jusqu’à ce qu’elle trouve une chaise pour se reposer et la voilà qui elle aussi regarde autour d’elle et

souffle, tout simplement.

Tours, Maison Internationale Populaire

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Illustration 1
Et pourquoi pas ?

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(Ce texte n'engage que son auteur et n'est pas publié au nom de l'ensemble du collectif formé par celleux qui vivent dans le lieu et/ou le font vivre.)

[Actuellement menacée d'expulsion, la MIP a besoin de soutien populaire.

Plus d'informations sur :Maison Internationale Populaire]

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