Une dernière semaine à la bibliothèque, après les fêtes.
Nous n’avions pas terminé.
Nouveau collègue.
Il a 18 ans et il s’énerve à chaque fois qu’une bâche se plie mal.
On ne rigole pas.
Sa mère a un bon poste dans la boîte.
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On termine vite.
Les deux derniers jours, nous aidons le chef de chantier à démolir la vieille installation électrique.
Faire de la « dépose » on appelle ça.
C’est plus propre.
Moins maçon et plus électricien.
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Ils ont installé un ascenseur de chantier dehors.
On descend les déchets grâce à lui.
Le chef a le vertige et reste accroché aux commandes.
Il me dit que je dois être un peu fou.
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En haut de la tour, à mes pieds, je vois des ancrages où passer des cordes.
Ici, ce devait être pour descendre faire les vitres.
Dans le nettoyage, j’ai appris à faire les vitres.
Après la formation, ce sera toujours l’intérim.
Mais à des dizaines de mètres au-dessus du vide.
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La tentation du bilan.
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En quelques mois j’aurai été agent de nettoyage industriel, aide plombier, intérimaire sans emploi, éboueur en clinique -pardon, « technicien en charge de la gestion des déchets »-, manœuvre en charpenterie métallique, poseur de bâche et manœuvre électricien.
Mon CV s’étoffe de tous ces mots auxquels je ne pourrai jamais joindre ces quelques récits que j’ai pris le temps d’écrire, parfois en m’arrachant à la fatigue et au marasme.
Je ne l’ai jamais regretté.
Le CV tient en une page, le reste en trop peu et en quelques images volées ça et là.
Je crois pourtant qu’une part de réel s’y est insinuée tant bien que mal.
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Je me suis mis à conduire.
Je ne sais toujours pas choisir un vélo à ma taille.
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J’ai travaillé environ 500 heures où j’ai certainement appris des choses.
Et en passer une bonne cinquantaine sur les trajets.
Au smic, ça ferait environ 455 euros.
Ou bien presque le temps qu’il faut pour revoir tout « The Wire ».
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J’ai économisé tout ce que j’ai pu.
Ça passe.
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Je termine à midi.
Le reste de la journée, faire les dernières agences d’intérim que j’avais ciblé, pour anticiper mon retour.
Toutes sont exceptionnellement fermées, sauf une.
J’entre, j’explique.
On me propose un emploi.
À pourvoir dès maintenant.
Sans histoire de corde.
Une des très rares entreprises s’occupant de la programmation électronique des cloches des églises, ainsi que des paratonnerres sur les clochers, a obtenu le chantier de Notre-Dame et cherche quelqu’un en CDI, à former sur le tas.
Je suis honoré.
Et j’espère que dans une autre vie, je suis parti rouler ma bosse avec eux.
Mais maintenant, j’ai autre chose à faire.
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Je fais mon sac.
J’y rentre tout le matériel dans lequel j’ai dû investir.
Un livre.
Et si peu.
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Je dis au revoir, et je t’aime.
C’est grâce à toi que je fais ça.
Je le sais bien.
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Sur la route, il y a de la neige plus on avance.
Pendant les pauses, je vais marcher dedans.
Et y mettre les mains.
La montagne au loin.
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J’ai refusé d’apprendre à faire mes lacets jusqu’à l’âge de 13 ans.
Je ne voulais pas grandir, sans doute.
Bientôt, ma vie dépendra de la solidité de mes nœuds.
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Je n’ai jamais enfilé un baudrier, même pas pour faire de l’escalade.
Je fonce là-dedans et on verra bien.
J’y crois.
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Ce qui m’inquiète peut-être le plus, c’est comment faire pour aller pisser, une fois accroché tout là-haut.
Doit bien y avoir un truc.
J’y pense beaucoup.
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J’ai oublié mon pique-nique dans le frigo.
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