Ker Batia (avatar)

Ker Batia

Flâneur attentif

Abonné·e de Mediapart

25 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 décembre 2025

Ker Batia (avatar)

Ker Batia

Flâneur attentif

Abonné·e de Mediapart

En Squat 9# : Pirouettes et cacahuètes industrielles

La meilleur façon d'marcher, c'est encore la nôtre, c'est de mettre un pied d'vant l'autre et d'recommencer !

Ker Batia (avatar)

Ker Batia

Flâneur attentif

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous sommes les premier.es arrivé.es.

On s’assoit sur un banc au milieu de la grande place de la ville, non loin de l’ombre de la Mairie et du Palais de Justice, en attendant de voir apparaître des têtes connues. Pour le moment, la vie quotidienne suit son cours.

Les passants passent.

Les voiture voiturent.

Et le tram trame.

Le rendez-vous est donné pour 14h30 et il est 25.

Je regarde l’heure puis je regarde l’heure et 14h25 dure.

« Si des fafs sont dans le coin pour faire du repérage, on est aussi rouge que le nez au milieu de la figure d’un clown. »

Elle a raison.

Je reçois un message, avec une photo de nous deux sur le banc, l’air de rien : « Je vous vois. ».

Une camarade l’a prise depuis la bagnole qui l’emmène avec d’autres.

« On cherche une place et on arrive. »

14h30.

Entre 27 et 30 les oiseaux sont sortis du nid et ont surgi ensemble sans s’annoncer, contenant leur chant pour l’aube de leur réunion éclatante et bigarrée, sur les pavés aux reflets grisâtres.

Nous les rejoignons et au milieu des autres, nous sommes à l’abri.

À présent le tram est à l’arrêt les voitures contournent et les passants regardent.

;

Je répartis les tracts à une équipe de volontaires.

Cette fois, c’est notre manifestation.

On ne vas pas les distribuer à des convaincu.es, comme au premier mai, mais à n’importe qui croisé sur le trajet ; et ça me fout la trouille.

Des binômes voir des trinômes, sur les contours du cortège.

Ne jamais se retrouver seul.e, ni rester à la traîne derrière.

Le groupe grandit encore, nous sommes plusieurs centaines.

Les banderoles et les pancartes ont été peintes avec les enfants.

« Que Vive la MIP ! »

« Un toit pour toustes ! »

« Pas taper ! »

« Le Monde est Beau »

Les enfants. Iels sont là aussi.

C’est leur maison qu’iels vont défendre à petits pas sur les trottoirs, les routes de la ville.

Il ne manque plus qu’elleux, et nous pourrons nous élancer dans les couloirs urbains et nerveux.

Ça y est, on les voit.

Certain.es sont dans le caddy du squat, devenu un char de fête pour l’après-midi.

On les voit, et on en les entend chanter ce qui pourrait être un hymne grondant, furieux.

Je tends l’oreille...

« Il étaiiiiit un petit homme ! 

Pirouette, cacahuète !

Il étaiiiit un petit homme !

Qui avait uuuuune drôle de maison ! »

...

Qui avait une drôle de maison...

;

Nous sommes prêt.es.

Et maintenant, par où on va ?

Où on veut !

Mais où veut-on aller ?

;

D’abord par la gare.

On pourrait y croiser des « gens qui ne sont rien » et leur dire le contraire et qu’on a besoin d’elleux.

Les tracts partent à toute vitesse ; les petits oiseaux sont efficaces car iels chantent vrai.

Je me rend compte que je suis le seul à être resté seul et je me dégonfle comme une baudruche en forme de paon, déprimée parce qu’elle ne croit plus en ses plumes dès qu’elle croise un regard en miroir embué.

Je devrais rejoindre un groupe mais j’ai trop peur.

C’est emmerdant de vouloir changer le monde quand on ne supporte pas le conflit.

Une vieille dame aux allures bourgeoises passe près de moi et j’essaie.

« Bonjour Madame ! Si vous voulez soutenir la Maison Internationale Populaire, tout est sur le papier ! Nous avons réquisitionné une vieille caserne abandonnée et depuis y vivent 80 personnes auparavant à la rue dont un bon nombre d’enfants, avec qui nous faisons beaucoup d’activités, mais nous sommes menacés d’expul... »

J’ai vu son visage fondre de mépris et goutter sur mes chaussures qui se mirent à fumer et c’était comme de la lacrymo dans mon nez, mes yeux.

Je n’ai pas pu finir.

Puis, elle a dit, en tournant doucement la tête :  « Non, vraiment, je ne suis pas convaincue. ».

Elle est partie, et le temps que je m’en rende compte, j’étais à la traîne, derrière le cortège.

Goûte salée égarée recherche sa marée.

;

« La maisooooon est en carton !

Pirouette, cacahuète !

La maisooooon est en carton !

Les escaliers sont en papier ! »

Les escaliers sont en papier...

;

Je rattrape mon retard.

Je suis rassuré en voyant que les autres continuent de distribuer en essuyant parfois des coups sans se laisser impressionner pour autant.

Au contraire, ensemble, iels arrivent à en rire et redoublent d’esprit pour faire des calembours à chaque refus exprimé avec véhémence ou commentaire raciste.

Je leur refile mon stock -merci- et vais faire autre chose de mon temps.

Filmer des pieds et des mains avec la caméra ; continuer d’accumuler des images pour plus tard, quand il faudra les relier entre elles et en tirer un sens nourricier, résistant à la pourriture artificielle.

Et en profiter pour voir si tout se passe bien pour toustes.

Je remarque qu’une camarade a l’air de s’énerver contre quelqu’un qui la suit avec un bloc-notes.

Je vais la voir au moment où le type s’en va, l’air en colère.

Elle passe un coup de fil, j’attends.

Je me rapproche quand elle raccroche.

-C’était un stagiaire pour un journal local. Il en avait rien à faire de ce que je lui disais, il voulait uniquement savoir s’il y avait une date d’expulsion prononcée. Je lui disais que non mais il me croyait pas, il voulait absolument être le premier à rapporter l’info. Ça fait 20 minutes qu’il essaie avec tout le monde en étant agressif. J’ai appelé le journal, il devrait plus nous harceler.

Appétit morbide du journalisme-spectacle.

Le nez dans son scandale, le stylo prêt à nous crucifier sur son calepin.

Incapable de regarder autour de lui et d’entendre qu’à présent, c’est Mikheil qui a le micro de la sono dans une main tandis qu’il joue avec le fil de l’autre, en tapant de son petit pied en rythme à chaque pas ; incapable de se demander qui est cet enfant qui connaît si bien les paroles de la chanson.

« Il étaiiiiit un petit homme ! 

Pirouette, cacahuète !

Il étaiiiit un petit homme !

Qui avait uuuuune drôle de maison ! »

...

Qui avait une drôle de maison !

;

Nous voilà devant la cathédrale.

Les malin.es qui s’occupent de la boîte à don vont se caler près des portes, immenses, ornementées de scènes du dogme catholique; ça manque de couleurs, mais les enfants ne peuvent pas tout faire, il fallait choisir entre le micro et le pinceau.

Une équipe au tractage va voir les automobilistes immobilisé.es le temps qu’on passe.

Une camarade toque à une vitre et donne le message au conducteur qui lui dit, après avoir échangé un regard avec l’autre passager : « Merci, on va y jeter un œil. ».

Puis on s’engouffre dans la rue des bars.

Et là, on réalise que cette voiture nous suit à présent au pas, alors que ce n’est pas un itinéraire commun.

« Eh ben, efficace le tract ! »

La bagnole a plein d’occasions de changer de route pour nous dépasser mais ne le fait pas.

On en discute entre nous.

C’est vrai que les vitres sont teintées et que leurs visages étaient pas du genre qu’on pouvait croiser dans la télé hallucinée sur le ventre d’un Télétubies en pleine digestion.

Toute les cases du « Qui est-ce ? » tombent d’un seul coup, soufflées par l’évidence hilare.

C’est la BAC.

De toute façon, ils avaient déjà notre adresse.

;

« Si vous vouleeeeez y monter !

Pirouette, Cacahuète !

Si vous vouleeeeez y monter !

Vous vous casserez le bout du nez ! »

...

Vous vous casserez le bout du nez !

;

Les gens en terrasse prennent tout ce qui nous reste de tracts et font sonner le fond de la boîte à don en y lançant leur monnaie.

Peut-être que certain.es d’entre elleux nous voient comme l’Église qui vient au bar avec son tronc et sans la messe dans une langue morte.

Alors je rejoins une équipe, et on s’arrête discuter autant que possible.

Paroles à ciel ouvert, qui s’entremêlent par amour du sol partagé.

On finit par se retrouver loin derrière la manif et ça m’inquiète un peu pour nous et notre grosse boîte qui fait gling-gling.

Quand tout le monde a rejoint le cortège, je reprends ma promenade, d’avant en arrière.

Je croise un ami qui marche seul au milieu de la foule, les traits tirés sous des cheveux couleur d’ardoise.

Je vais le voir et lui demande si tout va bien.

Autour de nous, les enfants continuent leur chanson sans fin qui rebondit contre les murs et les fenêtres depuis la sono roulante.

« Ça va merci. Je crois que ça me remue pas mal de voir tous ces gamins ici... Ouais, c’est ça, ça me remue. »

Nous restons un moment à marcher ensemble en silence, les oreilles en coquillage au milieu du flot des voix entêtées.

Lui en tout cas, est convaincu.

;

« Il étaiiiiit un petit homme ! 

Pirouette, cacahuète !

Il étaiiiit un petit homme !

Qui avait uuuuune drôle de maison ! »

Qui avait une drôle de maison.

;

Nous approchons du point de départ.

Le moment où tout le monde se sépare.

Les oiseaux rentrent couver leurs propres œufs, et c’est bien normal.

Pourtant, j’aimerais qu’il se passe autre chose.

Que tout le monde vienne au squat ce soir, qu’on danse beaucoup et qu’on mange un bout et puis aussi qu’on refasse l’isolation des bâtiments pour l’été, puis pour l’hiver, que l’eau et l’électricité arrivent enfin en tapant dans leurs mains, que le procès soit gagné et l'expulsion rejetée à jamais et puis aussi que le système capitaliste disparaisse et que tout ce qu’il faudrait faire pour en arriver là, se fasse.

Pendant ces quelques minutes de flottement, à la fin de la journée, j’éprouve un violent désir de « gagner », une bonne fois pour toute.

Tout en étant conscient que derrière ce désir, c’est souvent la mélancolie qui fini par « gagner ».

Et « qu’une bonne fois pour toute », c’est beaucoup trop dangereux.

Simplement, il y a de la fatigue ; avec de la joie dedans.

Dans tous les cas, ça n’arrivera pas tout de suite.

Même s’il y a aura quand même des personnes pour venir passer la soirée et continuer la fête.

C’est dur, de ne pas vraiment savoir ce qu’une journée comme celle-ci aura fait vivre à celles et ceux qui en auront croisé la route ; et pour quelles conséquences.

« Une manif de plus. » ?

« Mais qu’est-ce qu’ils nous emmerdent ceux-là encore ! » ?

« Ils étaient marrant à chanter leur chanson ! » ?

« Soutien ! On peut venir aider ? » ?

« Soutien ! Bon ça caille, on rentre ? » ?

...

Allez, nous aussi on rentre.

Aujourd’hui, nous avons défendu cet endroit qui nous permet de le dire.

Alors, enfants de la MIP, nous rentrons !

Pourriez-vous nous montrer le chemin ?

Et nous apprendre les paroles de la chanson ?

Car nous l'avons vu : les roues du caddy apprennent à faire avec les pavés.

...

Pirouette, cacahuète… !

Tours, Maison Internationale Populaire

*

Illustration 1
Apprendre à...

*

(Ce texte n'engage que son auteur et n'est pas publié au nom de l'ensemble du collectif formé par celleux qui vivent dans le lieu et/ou le font vivre.)

[Actuellement menacée d'expulsion, la MIP a besoin de soutien populaire.

Plus d'informations sur : Maison Internationale Populaire Tours ]

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.