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Billet de blog 12 janvier 2024

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En Intérim 8# - Confiture de papier

Dans les toilettes de la salle de lecture, des flyers au sol. La planète en feu. « Dernière Rénovation » continuait sa campagne pour réclamer la rénovation des bâtiments vétustes. Ça m’avait retourné le cœur de voir tous ces efforts étalés sur le carrelage glacé alors je les avais ramassés. Aujourd’hui, les militants passent à autre chose ; et je travaille sur le chantier de la bibliothèque.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’avais décidé de ne plus ouvrir un livre pendant quelques temps. 
Pour respirer. 
L’agence m’a appelé et m’a proposé d’aller travailler sur le chantier de l’université à deux pas de chez moi. 
Celle où j’ai étudié dans un coin pendant mon chômage, l’année dernière. 
Ils refont toute l’isolation.
Je vais devoir y bâcher les livres restés en magasins pendant que tout le bâtiment y passe. 
Pour qu’ils ne prennent pas la poussière.

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Nous sommes deux.
Il y a 10 étages à redescendre au fur et à mesure.
Un chiotte tout en bas.
Un autre tout en haut.
Le reste est hors service.
Nous remonterons les marches jusqu’au dernier jour.
Pour vivre la vue sur toute la vieille ville.
Le fleuve et ses ponts.
Et les autres tours à l’horizon.
Depuis le sommet de la bibliothèque.
Qui s’émiettait dangereusement ; dans de vagues filets.


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Le matin. 
Apporter la thermos. 
Monter. 
Boire le café en silence.
L’aube et le brouillard.

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Mon collègue intérimaire est diplômé de cette même fac.
Bravo.

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Bâcher, scotcher, faire des bandes, des calculs, du découpage.
On sait compter alors on nous laisse tranquilles.
Nous avons beaucoup de chance.

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On se rencontre.
Et qu’est-ce qu’on rigole.
Je me souviens de ce que c’est de ne plus avoir la boule au ventre avant d'aller pointer.

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Monter.

Descendre.

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De la poussière et le crissement du froid là où je mettais toute mon attention à ne pas faire de bruit avec ma chaise pour ne pas déranger les autres, avant de quitter la bibliothèque, la tête en feu.
Personne à déranger.

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Le maçon m'a corrigé une faute de français.

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Les livres et nous.
Le scotch, les ciseaux.
Les marches.
Les genoux qui craquent.

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Regarde, on dirait que la poussière de métal forme un cristal au bout de l'aimant du mètre.

C'est beau hein.

Oui, c'est beau.

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Le chef du chef passe et nous sermonne car on ne porte pas nos casques.

Il nous dit que les intérimaires sont ceux qui se blessent le plus, statistiquement.

Il dit que c'est à cause de leur niveau de formation.

Nous pensons que c'est plutôt parce que l'intérimaire fait toute la merde.

Quelques jours plus tard, on le recroise alors qu'on ne les porte toujours pas.

On passe devant lui, on les enfile un peu plus loin, on fait demi-tour, on repasse devant lui.

On sourit.

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On s’apprend beaucoup en très peu de temps.
« Sérendipité : faire par hasard une découverte inattendue qui s’avère ensuite fructueuse. ».
Exemple: le roquefort et l’Amérique.
Encore faut-il être du bon côté du fruit.

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On a dû poser notre mètre dans une étagère qu'on a bâchée ensuite.
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Il part dans trois semaines pour un voyage de quelques mois.
Je pars en formation la semaine qui suit.
Tasser une amitié ici et pour deux semaines.

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Je n’avais pas envie d’écrire.
Pas besoin d’écrire l’Autre quand il est là.
Qu’écrire d’autre ?

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Monter.

Descendre.

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Le chef est content de nous.
Son chef est content de nous.
L’agence sera contente de nous.
On est content que tout le monde soit content.
Les livres prendront quand même la poussière.

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Un café au distributeur dans la fac.

Celui à coté de l'amphi où on faisait nos assemblées générales, pendant le dernier mouvement social.

On avait rejoint les étudiants.

Aux murs, je vois encore des traces de nos mots.

Mais ça, je ne le lui dis pas.

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Les esclaves avaient leurs chansons.
Nous chantons celles des pubs de notre enfance.
On le relève; ça nous amuse.

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Il a fait tomber la paire de ciseau.

Heureusement qu'il avait son casque.

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Souvent on s'arrête et on regarde ce qui se passe par les fenêtres.
Tous ces étudiants qui étudient.
Alors on refait le monde.
On essaie de faire le tri dans les questions.
"Où vais-je ? Où cours-je ? Dans quel état j'erre ?"
Il ne la connaissait pas, celle-là.

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Je finis par lui parler de ces textes écrits depuis quelques mois.
Il aimerait les lire.
Et je sais qu'il sera difficile d'aller plus loin.
Dans une des deux directions.
Et pourtant, il va bien falloir avancer à quatre jambes et même à plus.
Milles pattes et une seule vie.

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Tant qu'il y a de la place pour se raconter des histoires.

*

Illustration 1
La peur du noir. © Ker Batia

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