Une boum pour fêter la première semaine de la Maison Internationale Populaire.
Une boum!
Rien que le mot s’accroche à toi et te fait pétiller des pieds.
La dernière fois que tu es allé à une boum, tu étais à la fois méfiant et fou de joie face aux adultes, qui t’autorisaient à boire de la limonade jusqu’à l’heure mystérieuse des quatre zéros, minuit, puis 00h01, 00h02 , 00h03 et tu espérais percer le mystère et découvrir plus avant ce qu’il y a derrière 00h04, jusqu’à atteindre la première heure connue, 06h30 du matin, l’heure de la main qui se posait sur tes cheveux aux épis pleins de tes rêves enfantins, te réveillant pour aller à l’école embrumée.
Cette fois-là tu n’étais pas allé au bout de la nuit, et tes songes firent encore la part belle à cette énigme des heures inconnues.
Et ce soir tu es ému, un verre de limonade à la main, essayant de ne pas le renverser au milieu de la piste de danse, en voyant cette paire de rollers roses et ces toutes petites jambes qui s’y perdent, naviguer sur le carrelage en damier noir et blanc coloré par les lumières tournoyantes des stroboscopes, se frayant un chemin de liberté au milieu de l’humanité retrouvée.
Et ça, vraiment, c’est tout le contraire de rien.
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Dans la même pièce, quelque jours plus tôt, a eu lieu la première assemblée générale du lieu.
Un grand cercle de chaises et de bancs ayant vocation à s’élargir et fait du bois des habitant.es, des citoyen.es engagé.es et des curieux.ses.
C’est beau d’être curieux.se.
Ça conserve.
...
Le lieu s’y présente, ses branches s’y prolongent et s’y débattent, laissant passer de l’air.
Tout le monde ne sera pas d’accord et il y a la place pour ça, dans le cercle qui a déjà grandi.
Mais les racines de la solidarité sont profondes.
Et ça vous fait pousser une forêt, un poumon, en plein cœur de la ville.
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L’endroit en lui-même a un passé.
On dit « ancienne caserne » et quand c’était une caserne sans doute disait-on « ancienne abbaye ». Il y a des traces de tout et maintenant, quand on regarde ailleurs, les enfants mettent les mains dans la peinture pour laisser un souvenir de leur passage sur la pierre blanche des vieux murs en tuffeau.
On se battra pour qu’iels continuent de jouer avec la peinture ici, et pas sans peinture ni ici dans les rues de la ville. Les liens qui existent entre nous sont encore le meilleur moyen de rendre « nos rues plus sûres », n’en déplaise à certains, alors que la loi reconnaît pourtant que vivre sans logement, livré à la violence du monde, dehors, constitue un « trouble à l’ordre public ».
Alors, on se battra pour que personne ne puisse dire qu’ici, c’est un « ancien squat ».
D’ailleurs, je l’ai déjà dit : c’est aussi une « réquisition citoyenne ».
C’est pas grave, je peux le redire.
Parce que la différence, c’est que ça veut dire que toi aussi tu peux le faire, car toi aussi, tu ne supportes pas ce « trouble à l’ordre public ».
Et que tu meures d’envie de revivre ta première boum.
Oublie pas d’amener des boissons.
Et aussi des petits gâteaux.
Nous, on avait aussi installé de quoi faire un grand atelier crêpe.
Y avait de la confiture, du miel ; et même de la pâte à tartiner choco-noisette.
Y en a qu’ont voulu trop bien faire et qu’ont ramené plein de jus de carotte.
Ça n’a pas trop plu aux enfants, qui voulaient de la limonade.
Alors je suis reparti avec ma bouteille que j’ai bu à grand trait sous la lune, ronde et pleine, pour ne pas oublier d’être aimable avec le prochain qui me dirait que ce que nous faisons ici constitue un « trouble à l’ordre public ».
L’Ordre Public, troublé par une paire de rollers roses.
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Sur le sol retourné il y a quelques années pour des fouilles archéologiques, on installe un barnum.
Un habitant nous aide, car il a bossé là-dedans y a quelques années de ça, pour de l’événementiel, à Caen, avant d’avoir eu tout un tas d’emmerdes l’ayant petit à petit poussé à la rue.
Il nous donne des conseils et on n’écoute pas toujours car ça a l’air plus compliqué que notre plan de base alors il se marre en disant « Vous allez bien voir. » et on s’entête et effectivement on a bien vu alors on s’y reprend et on essaie de couper la poire en deux, faire comme il dit et à notre sauce et alors on a re-bien vu et on finit par faire ce qu’il dit et ça marche hop du premier coup si ça avait pas été le troisième.
Bon, il manque une ou deux sardines parce que le barnum on nous l’a filé alors on fait le tour du propriétaire comme on dit hein et on trouve quelques blocs de bétons pour venir consolider les pieds. L’habitant tombe même sur un morceau massif, en forme de roue, finement taillée.
« C’est peut-être bien nous qui allons la redécouvrir la roue hein ! » qu’il me dit et il a raison, parce que chaque jour, on redécouvre tout.
Et même qu’on s’en sort très bien, quand on nous met pas de bâtons dans les roues.
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« POURQUOI ? » :
Pourquoi quand, ici, on fait la même chose qu’au boulot -que ce soit la cuisine, le ménage, des travaux...-, est-on heureux de le faire, alors qu’au boulot, on voudrait juste être ici ?
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Récemment, pour le décès de leur maman, mes cousin.es ont donné à chacun.e une petite enveloppe de graines à semer au printemps.
J’ai fais le tour du terrain, écartant ce qu’il reste de feuilles mortes, et voilà la vie se dispersant pour plus tard au gré des petits coups de vent, n’attendant plus que la pluie pour s’ouvrir la voie vers le sol, puis la lumière du soleil.
Les enfants font leur tour de vélo non loin de là.
Et je veux voir fleurir ici le droit au soleil et à la pluie qui font pousser nos vies.
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Il faut donner un tour de vis aux pieds d’un sommier qu’on nous a donné.
À genou dans la chambre, avec une clef allen glanée par là, je traque les endroits où le lit grince encore un peu trop. Dans mes pensées, je fais tourner depuis une mauvaise posture, et la clef ne fait que de sauter.
J’entends rire derrière moi.
Un habitant que je ne connais pas a les mains posées sur l’encadrure de la porte, on se sourit, il me demande mon nom.
Je le lui donne, et il me dit qu’il y en a plein qui le portent dans le pays d’où il vient.
Je suis étonné, je lui dis qu’ici, ça a vieilli.
Il me dit « Non, non, c’est très bien, très jeune ! ».
Puis il retourne dans sa chambre et j’entends son rire musical le suivre dans le couloir.
Je me sens un peu moins seul, et un peu moins vieux.
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Ce soir là, on mange ensemble dehors, parce qu’il fait beau, que les oiseaux se promènent de nids en nids pas loin de nos oreilles et parce qu’on en a envie.
On essaie de se mélanger encore un peu plus, mais je me retrouve à côté de celle avec qui j’étais quelques jours plus tôt.
Cette fois-ci, on arrive à prononcer nos noms correctement et ce sera beaucoup plus facile, maintenant, pour se demander le sel ou se rappeler nos visages.
Parce qu’un visage, c’est la base d’un souvenir.
Mais aussi d’envies pour l’avenir.
Et que ça donne de l’élan pour se battre, l’envie qu’un souvenir ne soit pas exclu de l’avenir.
Exclu parce que sur ce visage, il n’y a pas écrit un nom sorti d’un vieux calendrier en carton.
Ce serait beau, un atelier où on assemblerait des calendriers issus de pleins d’endroits du monde à différents moments du temps.
Un grand collage du monde de l’arbitraire.
Y a plus qu’à le proposer à la Commission Animations Enfants.
Le grand calendrier, iels pourraient tout le repeindre.
Tours, Maison Internationale Populaire
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(Ce texte n'engage que son auteur et n'est pas publié au nom de l'ensemble du collectif formé par celleux qui vivent dans le lieu et/ou le font vivre.)
[Actuellement menacée d'expulsion, la MIP a besoin de soutien populaire.
Plus d'informations sur : Maison Internationale Populaire Tours ]

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