La lecture des nombreux commentaires suscités par l’article de Cécile ALIBERT et Noémie ROUSSEAU « Des enseignants racontent une école en mille morceaux » (27 septembre 2011) montre comment des idées reçues perdurent avec force et vigueur sur l’Ecole de la République et comment chacun peut s’approprier cette Ecole, la nôtre, comme un exutoire à toutes leurs peines. Elle n’est épargnée par aucuns clichés, bons, mauvais ou même sépia et semble être le réceptacle de toutes les rancœurs.Circonscrire le débat sur les professeurs à un dualisme « compétent-incompétent » implique que soit véritablement définies les notions « de compétence », «de professionnel compétent », « d’incompétence », « de professionnel incompétent », « de critères permettant ces évaluations objectives» …Cette approche sociétale qui prône le clivage entre les citoyens fondé sur des critères présentés comme « justes » car correspondant à une propre approche de la société, « impartiaux » car obligatoirement présentés comme transcendantaux politiquement, « véridiques » car vécus dans ses quotidiens professionnels ou familiaux,… (La multiplicité des arguments rendrait cette énumération fastidieuse sans être pertinente) tend à être appliquée à toute strate de la société. On justifie son statut par opposition à l’autre. On existe par rapport à un autre qui statutairement n’existe pas ou moins (celui qui ne travaille pas, ou pas assez). Ce comportement contraire à ce principe premier biblique « aime ton prochain comme toi-même » n’est-il pas surprenant dans un pays qui aime se targuer d’être « la fille ainée de l’église » ?On oppose ceux qui travaillent à ceux qui « ne veulent pas » travailler, les chômeurs, ceux qui se lèvent tôt à ceux qui préfèrent l’oisiveté rétribuée par ceux qui « bossent », les employés du privé à ceux du public, l’étranger au résident, le droit du sang au droit du sol, le nomade au sédentaire, le malade au bien portant et on pourrait conclure par le juif au non juif, non ? Le politique flatte le côté primaire de ses ouailles. Celles-ci apprécient que leurs visions «primaires » de la société qu’ils apprécient au travers de leur prisme à la diffraction binaire (blanc et noir) soient élevées au rang de grandes causes nationales. Désormais, nos régnants n’ont plus à diviser pour gouverner, leurs certains de leurs électeurs s’y attèlent avec un certain succès.Ce prolégomènes ne nous éloigne guère du propos initial puisque vous abordiez la problématique des concepts de « compétence » et « d’incompétence » chez les professeurs.L’unité de valeur de ces qualités diffère selon la position de la personne qui les mesure. Une même compétence d’un professeur sera-t-elle appréciée de la même manière par :- ses supérieurs hiérarchiques dont le rôle est de les estimer régulièrement au regard des textes officiels que cet enseignant doit appliquer et d’apprécier son engagement,- ses collègues de travail, (affinités ou non, …)- ses élèves (ceux qui réussissent ou non, ceux qui aiment la matière enseignée ou non,…)- les parents de ces élèves (souvent fonction du niveau de réussite de leurs enfants)- sans oublier ceux qui n’y connaissent rien mais qui aiment bien donner leur avis.- En préliminaire, j’évoquais les clichés tellement ressassés qu’ils sont hélas maintenant reçus comme des « vérités » (encore des vérités révélées, sans doute !). Ils pourraient aussi illustrer le manque d’imagination et d’investigation de ceux qui les colportent et les reçoivent comme pain béni.Côtoyant depuis plus de 40 ans le milieu scolaire, j’ai rencontré quelques centaines d’enseignants, au moins autant de parents et un peu plus d’élèves.Cliché 1 : Je n’ai jamais vu employer « la méthode globale » en cours préparatoire. En 1970, celle-ci était déjà déconseillée dans les Ecoles Normales lors des deux années de formation professionnelle des institutrices et instituteurs. Les diverses méthodes utilisées étaient ce qu’on appelait « des méthodes mixtes ». Pendant quatre à six semaines maximum, l’enfant lisait des phrases apprises globalement qu’il composait avec des mots qu’il connaissait. Très vite, ils passaient à l’analyse des mots puis à la synthèse des connaissances acquises. C’est à dire qu’ils pratiquaient le B. A. BA de notre bonne vieille méthode « Boschet » mais avec beaucoup d’intelligence pour que chaque enfant pratique la lecture et l’écriture avec plaisir.Cliché 2 : Sur le nombre indiqué ci-dessus, il est vrai que j’ai connu un enseignant qui n’avait pas sa place dans une classe. Mais grâce à l’implication du Conseiller Pédagogique, les dégâts furent minimes. Je n’ai rencontré que des enseignants compétents, plutôt plus que moins mais tous, des « bosseurs » qui croient toujours à leur mission. Leur investissement dépasse largement le temps scolaire de 6h par jour ouvré. Bien que leur nombre diminue, beaucoup sont impliqués dans des associations péri scolaires non pas pour les « embrigader » mais parce qu’ils sont convaincus que leur rôle d’éducateur doit continuer à l’extérieur de l’enceinte scolaire.
Cliché 3 : Les enseignants sont toujours absents ! Désolé de dire que leur taux d’absentéisme n’est pas plus élevé qu’ailleurs. Un enseignant doit justifier toute absence pour maladie par la production d’un certificat médical attestant de la durée de ce congé. Pensez-vous que les médecins puissent rédiger de multiples faux certificats d’arrêt maladie ? Et dans ce cas, qui est responsable? Dans ma petite sphère provinciale, j’ai connu, il est vrai, une enseignante qui en cours d’année scolaire téléphonait à l’Inspection Départementale pour connaître le nombre de journées « enfant malade » qu’il lui restait à prendre. Son mari était un patron d’entreprise moyenne, lequel ne se gênait pas de dénigrer le corps enseignant dans son ensemble, conséquence de sa référence conjugale, sans doute. J'ajoute que leurs enfants étaient scolarisés dans une écoles privés confessionnelles.
Cliché 4 : Les enseignants font du prosélytisme politique en classe. Je n’en ai pas rencontré. Mais je sais que si tel avait été le cas, il y aurait plainte des parents ou de sa hiérarchie avec sanction immédiate. D’autre part, si je ne vous convaincs pas, je vais vous rassurer : depuis le temps que, d’après certains ragots, ces « gauchistes » pollueraient idéologiquement leurs élèves, il y a belle lurette que la France devrait être gouvernée par une troïka PS-PC-LO. Ce n’est pas le cas ? alors, ils sont là, vraiment incompétents !Cliché 5 : « Le pédagogisme » reproché aux enseignants n’est pas de leur fait mais de celui qui est responsable des programmes à savoir : le Ministre de l’Education Nationale. En tant que fonctionnaires, ils appliquent les directives et heureusement, souvent avec discernement et circonspection au risque d’être sanctionnés par un supérieur hiérarchique zélé. Ad libitumPendant qu’il épilogue sur ces clichés, le peuple ne se questionne pas sur les causes réelles du dysfonctionnement de notre système scolaire. Trouve-t-on anormal que tel emploi demande au moins une qualification récompensée par un diplôme (CAP-BEP à minima) attestant aussi d’une formation professionnelle ?Depuis la rentrée 2010, les jeunes professeurs des écoles enseignent sans AUCUNE formation pédagogique, par mesure d’économie. Et ceci n’est pas un cliché. Qui le dénonce ?Je me dois de préciser que je ne suis à la solde d’aucun parti politique, d’aucun syndicat. Je suis un homme libre et de bonnes mœurs, enfin je crois, formé à l’Ecole de la République Laïque. Je ne m’arroge pas le titre de « compétent », j’essaie d’être le moins « incompétent » possible et espère n’être pas trop un « con péteux ». La province où je vis n’est nullement une exception française. J’ai aussi un regard critique sur notre Ecole de la République. Elle est perfectible. Mais je trouve toujours navrant que ceux qui la détruisent oublient avoir bénéficié de la compétence des maîtresses et maîtres de cette Ecole. Ceux-là devraient s’interroger sur les capacités à refonder l’Ecole de la République d’un Ministre de l’Education Nationale qui navigue à vue, en fonction de la « vox populi », de la future élection,…Une réforme s’engage pour au moins 20 ans (durée d’une scolarité) et chaque Président, chaque Ministre qui passent veulent que leur nom figure au bas d’une réforme, celle qui mettra fin à toutes les inégalités, toutes les injustices. Et les programmes, les actes pédagogiques, les exigences changent en cours de route. Depuis quelques années, on passe bientôt plus de temps à évaluer qu’à enseigner. Les résultats des enfants sont mis en fiches, en tableaux. On fait des statistiques pour quantifier les savoirs à l’instant « I ». Jadis, l’enseignant mettait en œuvre toute une stratégie adaptée pour remédier à une difficulté qu’il supputait chez un enfant. Aujourd’hui, il faut des tableaux, des rapports, des demandes, des commissions,… qui réclament énergie, temps,…
L’Ecole doit être le lieu de la sacralisation de tous les Savoirs qui participeront d’une future citoyenneté intelligente qui ne se contentera pas de clichés et pas seulement un lieu où l’on apprend à lire, écrire, compter, calculer, et là, ce n'est pas un cliché!