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Billet de blog 18 octobre 2014

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Du simple populisme au Front National : le problème est en nous

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Les raisons de la progression électorale du Front National sont à rechercher au plus profond de la société française en elle même. Il ne faut pas se résoudre à penser que nous ne sommes en présence que d’un« glissement » de l’électorat », non c’est un germe qui se trouve au cœur même de note société et qui émerge au gré des « moments » sociaux et politiques de notre histoire.

Je rappellerai juste en propos liminaire deux anecdotes. La première a trait à Raymond Aron, gaulliste il est vrai mais non moins un des grands penseurs du XXème siècle, que l’on peut, à juste titre, considérer comme l’un des pionniers de la sociologie politique (pour la petite histoire il fut un des camarades de Jean Paul Sartre et de Paul Yves Nizan à Normale Sup).

Peu de temps après la guerre, un journaliste du Hérald, au détour d’une interview lui demanda :

- «  dites rappelez moi combien d’habitants y a-t-il en France ?

- 80 millions » répondit Aron 

stupeur du journaliste et Raymond Aron de poursuivre :

-       « Oui 40 millions de gaullistes et 40 millions de pétainistes »

Aron ne mettait pas cette boutade (qui n’en était pas réellement une) sur le compte de la versatilité d’un peuple, mais bel et bien sur une réflexion sans complaisance sur la société française telle qu’il l’avait vécue, notamment dans les années trente, avec la montée du nazisme, des épisodes de 34, des ligues, de la presse de l’époque (qui était bien plus diversifiée que celle que nous connaissons de nos jours : le colonel de la Roque avait notamment son quotidien : « le petit journal », qui était un des plus lus de la presse parisienne).

Autre anecdote, si tant est que cela en soit une. Lorsqu’en 1994, je m’apprêtais à sortir un livre sur les événements politico-mafieux du Var, mon éditeur me demanda de faire, en annexe, une visée prospective sur les prochaines élections municipales. J’écrivis en toutes lettres que le Font National prendrait la ville de Toulon.  Il fallut que je m’épuise à le convaincre pour qu’il maintienne ces pages dans le livre… Comme il se doit le Front, ou plutôt les électeurs m’ont donné raison.

Que dire de tout cela, la graine nauséeuse de ce que nous appelons le populisme, le fascisme comme on voudra, l’un étant la conséquence de l’autre et vice versa, est ancré au plus profond de la société française. Cela prend corps au gré du temps, des évènements politiques, cela ressurgit, ce s’en va, mais c’est toujours tapi juste sous nos pieds.  Depuis la guerre et donc la deuxième moitié du XXème siècle, après l’apogée que constitua l’ère de Pétain et de l’Etat Français, nous vîmes le phénomène ressurgir avec Pierre Poujade, puis nous connûmes d’autres péripéties. Comment ne pas y associer également la réaction d’un bleu aussi vif qu’il était suspect aux élections législatives qui suivirent mai 68, ensuite, alors que le Front National se réorganisait avec Le Pen qui dès 72 à l’occasion d’une élection partielle dans le 12 ème arrondissement de Paris en rassemblant les factions éparses d’une extrême droite qui se cherchait (qu’il saupoudrait d’un enthousiasme suspect en invitant les vielles gloires du fascisme européen, de Giogio Almirante aux dirigeants de la Phalange). Ensuite nous eûmes droit à un nouvel épisode poujadiste avec Gérard Nicoud et une nouvelle « révolte » des commerçants.

 Il ne faut pas croire, que le poujadisme ou le cid-unatisme soient des mouvements liées uniquement à une certaine classe sociale, celle des commerçants ou artisans, certes ils en sont le noyau, mais ils ont derrière eux une bonne partie de la population à laquelle leur mouvement semble particulièrement sympathique et utile, car reprenant pour une part le « ras le bol » qu’elle même ressent. Ceci n’a rien d’étonnant en raison du caractère de « relais d’opinion » de cette classe sociale.

La résurgence du Front National depuis la fin du XXème siècle est liée à différents facteurs. On peut aisément en isoler les éléments déclencheurs :

D’abord, le « tous pourris », « tous des mangeurs », grand classique, généralement relayé par les mises en examen de quelques élus indélicats (il y en a, fort heureusement en Bretagne nous en sommes quelque peu préservés, c’est là d’ailleurs une des raisons parmi d’autres qui font que le phénomène de percée s’affirme assez peu). C’est le phénomène qui avait entrainé la chute de Toulon, avec en plus une réaction anti migratoire.

Ensuite la réaction anti migration, pour ne pas dire la réaction raciste. Fondamentalement ancrée dans notre société, on la retrouve dans les années 1900 quand les immigrés italiens, les « babi » étaient projetés dans les eaux du vieux port de Marseille après avoir été suffisamment passés à tabac pour qu’ils ne remontent pas.  Réaction que nous avons retrouvée mors des événements d’Algérie, le retour de nos compatriotes d’Afrique du Nord n’arrangeant pas le problème par la suite.

Puis vient l’Europe, celle par qui arrive tout le mal, Bruxelles la ville honnie., L’Europe est un élément consubstantiel du rejet du politique et , partant, du glissement vers la droite populiste. C’est un des chevaux de bataille du Front National qui a bien compris tout ce qu’il pouvait en tirer, c’est ce dernier élément qui , en plus, commence à séduire une frange de la France agricole dont on pouvait croire, jusque là qu’elle était préservée.

Enfin, bien entendu,  le phénomène de crise, tel que nous le connaissons, phénomène engendrant des difficultés telles que cela sert de coefficient multiplicateur aux trois types de réaction cités plus haut.

En se combinant, avec des dosages différents selon les classes sociales ou socio-politiques, on obtient la dérive vers le Front National telle que nous la constatons de nos jours.

En tant que socialistes nous n’avons pas su trouver les réponses à ces expression du mal être national, nous avons laissé les mauvais réflexes de notre société reprendre le dessus, crever la surface. Dans l’excellent étude qu’elle vient de consacrer au phénomène, Florence Aubenas a cette citation criante de vérité, citation on ne peut plus douloureuses à nos oreilles : à Hénin Beaumont (Lietard) elle a entendu ceci :

            - « Pour voter socialiste, il faut au moins être contremaître ! »

C’est cruel, mais c’est si vrai… Qui sommes nous, que sommes nous devenus pour qu’un tel propos soit proféré ?

On pourrait croire que l’exercice de l’Etat nous va mal, et pourtant. Quand on voit quel exercice du pouvoir, aussi infime soit-il, font les élus du Front National, on aurait de quoi s’interroger. Mais la problématique qui se pose maintenant c’est que ces mêmes élus vont apprendre, que le succès va appeler quelques énarques peu scrupuleux, attirés par la lumière du pouvoir à les rejoindre pour faire carrière avec ceux qui connaissent aujourd’hui le succès électoral. De même on va trouver des éléments à la marge, des frontistes par vocation mais pas par encartage, tel Ménard à Béziers ou l’opportuniste M° Collard, version plus ou moins clean, mais tout aussi dangereuse.

Pour terminer, la réaction « manif pour tous », savant mélange des genres comme des classes qui vient maintenant s’imposer dans notre paysage.

Diverses formes, certes mais toutes convergentes, toutes complémentaires, des « classes » sociales qui naturellement devraient sinon s’opposer du moins s’ignorer, se mettent d’un coup à converger.

J’en reviens à conclure que le fond est là, tapi dans l’ombre et que les éléments déclencheurs jouent leur rôle explosif pour faire apparaître la part d’ombre de notre société française, tout comme d'autres, différents, mais tout aussi significatifs jouent leur rôle au sein des autres sociétés européennes.

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