Alors qu’en France le chef d’état major s’est adressé aux maires pour les investir d’un effort de guerre face à un prétendu conflit imminent aux portes du pays, nous sommes solidaires de nos camarades suisses qui s’engagent contre la militarisation accélérée de la société. Ici et là-bas, il est question de préparer la population au consentement de l’économie de guerre, sur fond d’armement assumé du génocide en Palestine – normalisant les massacres de masse.
Le Comité NON au service citoyen, rassemblant plusieurs organisations de gauche, s’est formé pour faire campagne contre cette initiative visant à renforcer l’armée helvète. Nous relayons et amplifions ici leurs arguments.
Les citoyen·ne·s suisses devront se prononcer sur l’Initiative populaire « Pour une Suisse qui s’engage », ou initiative pour un « service citoyen ».
L’objectif est d’étendre l’obligation de servir (armée et protection civile), qui s’applique actuellement aux hommes de nationalité suisse et aux femmes sur une base volontaire, à toute la population. Cela doublerait les effectifs actuels de l’armée suisse. Cette mesure porte également atteinte aux droits des personnes étrangères, puisque ces dernières pourraient être elles aussi enrôlées sans contrepartie, ni droit de vote ni garantie de naturalisation. Enfin, si le oui l’emporte, une telle mesure abolirait vraisemblablement le service civil en place depuis 1992, qui est la seule alternative possible au service militaire pour les objecteurs de conscience. Non seulement la possibilité de ne pas servir l’armée n’existerait plus, mais le texte introduit également une « garantie des effectifs d’urgence » suisses à maintenir en cas de « crise ». Cette notion, volontairement floue, est laissée au bon vouloir du pouvoir politique dans un contexte de forte montée du militarisme.
Une initiative anti-féministe sous couvert d’égalité des chances et des genres
L’initiative en faveur d’un « service citoyen » universel est portée notamment par Noémie Roten, une ancienne soldate, qui martèle que ce service permettrait de corriger l’injustice selon laquelle seuls les hommes doivent effectuer leur service militaire (les femmes pouvant malgré tout être volontaires) – et de bénéficier d’un meilleur accès à l’emploi et à la protection sociale. Mais sous ce vernis rose, il s’agit bien d’une initiative qui instrumentalise les droits des femmes et minorités de genre pour justifier sa seule politique d’intégration dans l’armée. Dans le but de gonfler les effectifs, mais aussi de renforcer la cohésion nationale. À cela s’ajoute la non prise en compte du travail reproductif gratuit des femmes et des travailleur·euses des secteurs du soin à la personne, de la petite enfance et plus largement du care, principalement effectué par les personnes racisées. La réalité demeure que ce sont bien les classes populaires qui vont mourir au front, et assurent le travail de reproduction à l’arrière.
Comment ne pas mettre en parallèle Emmanuel Macron appelant au réarmement de la France par la natalité d’une part, et les tentatives d’imposer des groupes fémonationalistes lors des manifestations féministes d’autre part? (1). Un effort demographique qui vise les femmes* blanches, pendant que les femmes* sans-papiers sont subitement jugées utiles à être enrolées.
Réprimer la dissidence, discipliner les populations, militariser les femmes
Tout cela contribue à renforcer le modèle patriarcal de la société et à rigidifier les normes de genre afin de préparer les hommes aux combats et les femmes à leur rôle traditionnel de mères dociles et dévouées. Ce n’est pas un hasard si la moitié du financement de l’initiative pour le « service citoyen » provient de Leopold Brügger, un pharmacien zurichois connu pour ses positions anti-avortement. Exhorter les femmes à participer à l’effort de guerre ou aux combats pour réhausser l’image des institutions martiales est un argument éculé. Cela ne peut masquer la réalité: l’armée est conçue par et pour les hommes et continue d’organiser la violence, tant dans ses actions qu’au sein de ses rangs. Les victimes de VSS vivent une double peine, remerciées pour désertion ou raison médicale.
En Suisse, un rapport publié en 2024 par la Confédération révèle que plus de 90 % des femmes ou des personnes queer interrogées ont subi des violences sexuelles pendant leur service et dans les écoles de recrues. L’armée française, l’une des plus féminisées au monde, privilégiera toujours la cohésion de la fraternité d’armes, « garant de son efficacité opérationnelle« (2), plutôt que de remettre en question sa propre impunité.
De l’argent pour les salaires, pas les militaires !
La militarisation s’accompagne également de tout un ensemble de mesures austéritaires – destruction du système de santé et coupes dans le budget de l’éducation par exemple – dont les femmes sont les premières victimes. En Suisse, le budget de l’armée a augmenté de 4 milliards d’euros en 2024. En France la loi de programmation militaire alloue 413 milliards d’euro au budget de la « défense », qui dépassera celui de l’éducation pour la première fois en 2026. Le gouvernement français travaille à mettre au pas la jeunesse au lieu de lui proposer un emploi. Le Service National Universel, crée en 2019 et destiné aux 15-17 ans, avant d’être abandonné, visait à « transmettre un socle républicain » et à « accompagner l’insertion sociale et professionnelle ». Des brochures scolaires internes glorifiant l’uniforme, en particulier pour le sinistre 11 novembre, sont distribuées dans certaines des 958 « classes défense » en hexagone et des 100 classes des territoires dits d’outre-mer, assumant le rapprochement entre les ministères de l’éducation et des armées. Dans le monde, les budgets militaires atteignaient 2 720 milliards de dollars en 2024: au détriment des infrastructures indispensables à la subsistance et à la reproduction sociale des communautés.
De l’argent pour les salaires, pas pour les génocidaires!
La France et la Suisse n’ont jamais déclaré d’embargo sur les armes et leurs composants vendus à Israel. La Suisse a su se rendre compétitive sur le marché en se spécialisant dans des composants indispensables au bon fonctionnement de celles-ci (3). Les armes testées sur les palestinien•nes sont vendues, elles, en Europe, pour surveiller les frontières, les soulèvements dans les quartiers populaires et les manifestations (4). Les crimes de guerre, phosphore blanc, utilisation d’IA généralisée et méthodes de contre-insurrection sont enviées.
Israel est vendu comme modèle de société: une société militarisée, au jardin d’enfant, au travail, dans la famille. Et alors que les enfants palestiniens sont enfermés et les résistantes torturées(5)- les armes sont partout dans l’espace sioniste public et privé, les féminicides augmentent depuis 2023, l’enfant se déguise en soldat pour le carnaval, l’école enseigne qu’il faut tuer pour survivre. Et bien que 50% des appelé.es ne servent pas ou ne terminent pas leur service(6), le refuser est présenté comme une trahison, et aucun véritable mouvement public antimilitariste n’a pu naitre.
La marche à la guerre: le capitalisme en crise
Dans un contexte global d’armement des massacres en Palestine par les puissances occidentales, normaliser le discours génocidaire ici encourage l’offensive généralisée de l’extrême droite et de la bourgeoisie. Contre nos droits à sortir de l’exploitation, à circuler librement, à vivre en bonne santé, à disposer de nos corps et à faire famille autrement – notre vision du monde, plus désirable mais guère rentable.
Le système capitaliste est en crise : il a besoin de conflits pour assurer son existence matérielle, s’accaparer des ressources, des territoires et des biens communs. Cette violence est commanditée par les États, dont les fleurons industriels ont bénéficié de la colonisation, comme les secteurs du chocolat et de la banque en Suisse.
Les guerres perpétrées en notre nom aggravent non seulement les conditions de vie des femmes* et des peuples dans les pays attaqués, mais aussi nos propres conditions de vie au cœur des États coloniaux. Elles vont toujours inévitablement de concert avec des violences sexistes et sexuelles, viols comme arme de guerre mais aussi une augmentation nette (7) des violences conjugales.
Dans un contexte européen de renforcement identitaire, la lutte au quotidien depuis le cœur des empires est de notre responsabilité absolue.
Dans les pas de la révolte antimilitariste du 21 novembre 1995 à Genève, nous, féministes :
Soutenons le Comité NON au service citoyen et appelons à voter NON partout en Suisse le 30 novembre
Appelons à la mobilisation le 29 novembre pour la Palestine
Soutenons toutes les grèves contre l’austérité
Contre la marche à la guerre et son économie, la course à l’armement et contre toute complicité avec le génocide en Palestine
Guerre à la guerre !
Communiqué à l’initiative de
- MARAD juif decolonial (suisse)
- Coalition Guerre à la Guerre (France)
Signatures :
- CLAF! collectif en lutte pour l’autodétermination féministe (France)
- Boussole Féministe (France/Suisse)
- Révolution féministe Versailles (France)
- La Relève Feministe (France)
- Zora Paris (France)
- Mouvement Des Mères Isolées (France)
- collectif ISONOMIA (France)
- Cases Rebelles (France)
- Féministes Révolutionnaires Paris (France)
- KESSEM juifves féministes décoloniale (France)
- Young Struggle France
- Young Struggle Suisse
- Stop Arming Israël France
- UJFP (Union Juive Française pour la Paix)
- Jewish Peace Union
- Tsedek! Juif decolonial (France)