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Billet de blog 17 mai 2017

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Je ne compte pas

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bonjour à tous,

Je suis professeur dans le spécialisé depuis le début de mon exercice en tant qu’enseignant. C’est un hasard qui m’y a mené, le désir qui m’a fait y rester.

Avant, j’avais été frigoriste, commercial puis chargé de projet pour l’insertion professionnelle de personnes handicapées.

Mon parcours est atypique. J’ai un CAP, un BEP, un bac technique, un BTS et des diplômes qui m’ont permis d’accéder au poste que j’occupe actuellement.

Je viens du privé. J’en suis parti pour exercer de l’humain. Sans compter.

J’occupais en septembre 2016 le poste de coordonnateur au Collège LES IRIS depuis deux années quand, une semaine après la rentrée, un inspecteur ASH m’a appelé pour me proposer d’occuper en urgence le poste de coordonnateur au Lycée Camille CLAUDEL. J’ai beaucoup hésité, attaché aux élèves de mon dispositif, aux familles que j’accompagnais. Il m’a fallu trancher. J’ai accepté de partir, alors que j’avais pris beaucoup de temps pour préparer ma rentrée et qu’il fallait que je mette en place de nouveau une autre rentrée, parce que les élèves du lycée sont en fin de parcours et qu’il ne sert à rien d’accompagner un élève si l’on ne finalise pas correctement l’engagement proposé dès les premières années. L’urgence m’a semblé évidente, au détriment du travail que je comptais mener.

J’ai voulu aider mon employeur, dans le besoin.

J’ai voulu être juste, loyal, sans compter.

J’ai signalé que je partais dans l’optique de ne pas revenir, que mon départ en début d’année serait pris comme un abandon par les élèves, les familles, les professionnels aussi. Mon message était clair : je m’engageais dans du long terme. Sinon, je ne partais pas.

J’ai formé ma remplaçante, j’ai essayé de l’épauler. J’ai suivi mes élèves de 3e durant toute l’année, pour être sûr que leurs projets pourraient être menés.

J’ai donné. Sans compter.

Prendre en charge un poste de ce type c’est prendre en charge 13 projets complexes et différents. C’est découvrir 13 élèves apeurés par le changement, 13 familles qui n’ont souvent pas confiance, peu de compréhension des enjeux et des éléments de parcours de leur enfant. C’est découvrir de nouveaux partenaires, LP, ESAT, CAP EMPLOI, associations, Missions locales, SESSAD, orthophonistes, CMP, psychologues… C’est créer un lien pour accompagner de façon cohérente et productive l’élève et sa famille. Prendre du temps, beaucoup, pour tisser une toile sensible aux changements, mais robuste face aux tourments. Se faire découvrir de l’équipe pédagogique, tester ses limites et l’inviter au changement. Mettre la barre haute pour éviter que tous se confortent dans une simulation d’inclusion. Voir les professeurs accepter les principes puis ne pas les mettre en place. Revenir à la charge, inlassablement. Pour que l’hésitation laisse place au désir, que l’habitude s’installe et que le différent ne soit plus que par l’adaptation. C’est rencontrer, toujours, toujours, sans relâche.

Prendre en charge un poste de ce type ne tient pas dans 21 + 2 h. 

Moi, en tout cas, je n’y arrive pas. 

Ça demande beaucoup de disponibilité. Pour répondre aux inquiétudes, multiples et de tous horizons. Ça demande un investissement énorme, une volonté sans faille de bien faire.

Je ne suis pas que professeur. 

Je suis coordonnateur.

J’aide mes élèves à trouver des stages, je vais les accompagner lors des entretiens, je viens les visiter en dehors de mes heures de travail. Je ne compte pas.

J’aide mes élèves à s’affranchir de leurs peurs, je réfléchis à des accompagnements adaptés à chaque situation, pour permettre l’autonomie et la confiance en soi. Je ne compte pas.

J’aide les élèves et les familles à comprendre ce qu’est le monde professionnel. Je travaille lentement à changer les représentations. Celles des élèves, des parents, des entreprises aussi. Je ne compte pas.

Je ne compte pas mon temps.

J’accompagne des êtres humains.

J’aide à créer de l’humain responsable et réfléchi.

Et je ne parle pas des implications et engagements que je mène dans les établissements où j’interviens. Du fait que je suis référent numérique sur le lycée et en réflexion avec la Direction pour des évolutions futures à mener. De tout ce que je suis en train de construire avec mes élèves pour l’année prochaine, à peine demain.

Ce soir, découvrant que le travail d’un an est jeté à la poubelle, je comprends et je retiens. Je ne suis qu’un pantin. Mes élèves ne sont que des pantins. Leurs familles et tous les partenaires aussi. Ma Direction et les professeurs du lycée aussi.

La leçon est claire : nous ne comptons pas.

Je ne compte pas.

Des départements pas si loin et plus évolués considèrent que les postes de Coordonnateur ULIS sur Collège et Lycée relèvent des postes à profils.

Dommage pour moi.

J’occupe ce poste dans un département déprimé où l’informatique prime, au détriment de toute humanité.

Je suis issu du lycée professionnel.

J’ai travaillé dans l’insertion de personnes handicapées.

Je connais enfin, au bout d’un an, le fonctionnement de l’ULIS sur un lycée, les formations, les réseaux, les partenaires spécifiques pour que cette fin de trajectoire soit la mieux menée.

Mais rien ne compte.

Tout se joue à un ou deux points, et je ne suis pas avantagé, car j’ai vraisemblablement perdu dix ans dans le privé.

Je quitte mes élèves et leurs familles avec angoisse.

Je ne sais pas encore comment le leur annoncer, quel sens y donner.

Je vis pour la deuxième fois cette situation cette année et je me rends compte, un peu tard, que je n’aurais pas du accepter.

Je remercie les personnes qui m’ont proposé le poste. En me choisissant, elles ont montré qu’elles avaient confiance en mes capacités.

Je remercie les équipes pédagogiques qui m’ont découvert et avec qui j’ai travaillé.

Les AESH pour leur aide précieuse. Espérant qu’elles, pourront compter.

Les élèves pour ce qu’ils sont et les familles qui me font confiance à cet instant.

Mais je n’ai pas de mot adapté pour ceux qui m’ont par contre abandonné.

Qui ont estimé qu’un poste de ce type n’avait rien de particulier.

Que mon engagement n’avait pas à être accompagné.

Je retourne sur mon collège à la rentrée prochaine.

Tout recommencer.

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