Mélenchon exprime une « demande de rejet », appuyée sur la dénonciation d’une gouvernance, incohérente, impréparée. Il s’emporte : « vous avez semé un chaos indescriptible du fait de votre imprévoyance ».
Se tournant sans arrêt de gauche à droite, poussant sa voix jusqu’au fond de l’amphithéâtre, Il épingle l’absence d’anticipation, la complication invraisemblable de mesures anecdotiques et futiles, il moque le délai d’action lors de la crise des Antilles, il raille le mépris des personnels par l’arrivée tardive des interminables consignes qui interdisent leur appropriation par les personnes concernées. L’absence de plan global écartant de facto le peuple du débat.
Dans cette diatribe enflammée, il met en évidence les conséquences du mépris envers les processus démocratiques. Ceci aboutissant à une illisibilité de la loi, une incohérence de la contrainte, une substitution d’obligations ineptes à des lois pertinentes. On comprend que la forme de l’interdit ou de l’autorisation sous condition a davantage d’importance que son contenu (auto-autorisations sur fond d’interdiction totale, interdictions de boire sur la voie publique à plusieurs, manger assis, en salle de restau ou au cinéma[1]…).
L’expression est tranchée, les intonations fermées comme lorsqu’il reproche au gouvernement le refus de lâcher les licences sur les vaccins. « Nous étions contre le passe sanitaire nous voici donc contre le passe vaccinal parce qu’il est 100% inefficace »
Il cite à tour de bras OMS, CNIL, défenseure des droits, fustigeant au passage la fabrique de boucs émissaires qui divise la nation « qui est responsable du chômage ? Les chômeurs ! Qui est responsable de la pauvreté ? Les pauvres ! Qui est responsable de la maladie ? Le malade ! ». Du Jules Romains dans le texte…
Voici que Mélenchon apparait comme cet homme du passé, qui évoque l’histoire sociale, qui croit aux mots qui frappent, aux phrases construites, aux argumentaires solides, au débat d’idée. Le poids des mots, un credo d'hier….
Mélenchon s’énerve contre cette société du contrôle et des devoirs qui se développe à vitesse grand V depuis le début de la crise sanitaire.
« Quel est ce monde…où l’on affirme que les devoirs sont supérieurs aux droits, et même préalables ? ». « Depuis 1986, de crise terroriste en crise sanitaire, voici que les contrôles sont partout, par délégation des officiers de police judiciaire ». « Tout le monde va contrôler tout le monde […] c’est une société autoritaire, voici ce que c’est ».
L’OMS dit qu’« il vaut mieux convaincre que contraindre, quels moyens avez-vous mis en œuvre pour convaincre… à part contraindre ? ». Encore une belle rhétorique scandée, rythmée, entrecoupée phrases interrogatives lancées vers le centre de l’hémicycle. Les logiciens ne font pas mieux : la mort ou la Tounga ? La Tounga ? Donc ce sera la mort par la Tounga ! Les expressions sont cinglantes, le discours est long et construit, les phrases tombent comme des couperets ou sonnent comme des cymbales.
Enfin, le discours s’ouvre sur une conception systémique du problème. Il faudrait le prendre à la racine, abolir les élevages intensifs d’animaux, lutter contre la déforestation, stopper la fermeture incessante des lits d’hôpitaux. Un brillant plaidoyer, académique dans sa forme, qui compare sur le poids des mots pour convaincre.
Puis Veran se présente , costume sur mesure, propre sur lui. Il parle comme un commercial, tourné à moitié vers la gauche de l’hémicycle, entre son groupe et celui de Mélenchon. Il ne parle pas à tout le monde. Il n’a pas l’intention de répondre au poids des mots autrement que par le choc des photos : voyez qui je suis, ça se voit à mon costume et ma pose de voix. Je m’adresse à mes semblables. Tandis que vous…
« Vous avez comparé les vaccins ARN à des surgelés vendus dans des supermarchés… Voilà qui est très bon pour la confiance des français ».
« Vous avez parlé de ce machin Pfizer que jamais, jamais vous ne recevriez. Je crois que vous avez reçu votre 3ème dose de Pfizer ».
Ici, il brise la confidentialité sans aucun complexe. Le pouvoir de violer les intimités en public est désormais un acquis de classe.
« Vous avez parlé de l’opacité des laboratoires qui n’auraient pas publié les données… ce qui était faux » ( ????)
Puis il reproche à Mélenchon des questionnements erratiques sur la protection des données, le soutien à l’Hydroxychloroquine, la défense d’antillais anti-vax. Tout ceci le rapprocherait de Dupont-Aignan, Le Pen, Philippot, Bolsonaro et Trump… Il n'a pas besoin de convaincre, il lui suffit de discréditer.
Inutile d’étayer, peu importent la qualité, la fiabilité et la pertinence des arguments. Ce qui compte, c’est cette image associée aux opposants au passe vaccinal ils sont désormais en photo sur toutes les rétines, associés à ces dirigeants d’extrême droite, disqualifiés par association.
La start up nation exprime à travers Véran ce qu’est devenu le débat politique : une affaire d’étiquette, d’image, où les idées sont remplacées par leurs énonciateurs. Savoir qui émet est désomais suffisant pour qualifier un discours. Celui qui est majoritaire est forcément vrai (il est facile en censurant les dissidences de produire un consensus formel), celui qui s’exprime hors consensus étant automatiquement complotiste, ou rassuriste. Celui qui gueule comme le peuple et défile aux côtés de ses ennemis politique y est immédiatement associé, catalogué "populiste", tandis que celui qui tient la main de la grande industrie, parle sans hausser le ton avec cette morgue confiante du dominant, celui-ci est responsable et crédible par statut.
Le castor a perdu d'avance contre le paon, l'imposture est en tenue de soirée, le poids des mots est devenu insignifiant face au choc des photos.
[1] Le gouvernement ayant piétiné ab initio le parlementarisme par l’abolition du vote convictionnel au profit d’un vote obéissant au sein du groupe LREM, ce qui signifie la fin de la représentativite régionale au parlement.