J'ai écouté Emile Ackermann sur Arrêt Sur Image. Il débattait avec Simon Assoun de Tsedek. La conception d'Ackermann (ce que j'en ai compris) m'éclaire assez sur la question. L’antisémitisme serait pour Ackermann, une donnée "structurelle". Un peu comme la pente de la montagne. Il s’habillerait de différentes formes, et prendrait tantôt la forme d’un racisme, tantôt la forme de l’intolérance religieuse, tantôt des formes politiques ou économiques ; sur une même pente de montagne, le caillou, selon son point de départ et les aléas de ses rebonds, pouvant suivre tel ou tel chemin.
Avec cette définition, c’est la pente de la montagne qu’il faudra aplanir, le reste n’étant que conjoncture ou aléa. C’est ce qu’il appelle détecter puis déconstruire les ressorts de l’antisémitisme.
Pour expliquer cet a priori d’antisémitisme, Ackermann met en avant 2 procédés :
- L’inversion accusatoire
- La double allégeance
Par l’inversion accusatoire, les juifs sont a priori coupables, et doivent d’abord « montrer patte blanche » avant d’être considérés à égalité. On trouve aisément dans l’histoire de l’ostracisme religieux puis ethnico-racial envers les juifs, un fondement tangible à ce procédé. Cependant, s’il est omniprésent dans la France des années 30, il me semble absolument marginal en 2023, ne concernant qu’une fraction de l’extrême-droite, et une partie du fondamentalisme religieux. Ça diminue d’autant l’étendue du réel antisémitisme.
Cette conception de l’inversion accusatoire a un effet paradoxal. Pour ne pas s’y livrer, c'est envers l’antisémitisme qu'on doit a priori montrer « patte blanche », tout non-juif (a fortiori chrétien ou musulman) étant un antisémite qui s’ignore. Ce procédé augmente alors massivement l’importance de l’antisémitisme. C’est ainsi que Mélenchon se trouve placé en eaux troubles. Il n’a pas montré patte blanche envers l’antisémitisme. C’est l’inversion de l’inversion accusatoire en quelque sorte.
Par la double allégeance, les non-juifs demandent aux juifs de « se légitimer par rapport à Israël » avant toute autre considération. Ils ne seraient pas vraiment français, leur première appartenance étant en Israël. Je ne mesure pas la réalité de cette conception. Se positionner par rapport à Israël (et aussi par rapport à la Russie, à l’Iran, à la Turquie, à l’Afghanistan, à la Chine, à la Hongrie…) me semble exigible de quiconque, quelle que soit sa confession. Qu’Emile Ackermann se sente contraint, en tant que juif, à faire double allégeance, me parait plutôt révélateur d’une inversion de paradigme. Je peux être questionné sur ma position envers Israël. Macron l’est, tout comme Biden. Pas davantage Ackermann que nous. Mais la conception d’Ackermann le dispense lui, en tant que juif, de prendre une position politique sur la question.
Il s’ensuit de ces 2 principes sus-évoqués, que toute critique portant sur le colonialisme, le positionnement politique, ou la stratégie militaire, sera interprétée différemment si elle s’applique aux USA, à la France ou à l’Etat d’Israël. Aucun déterminisme social, politique, économique… n’étant en jeu dans l'opposition à Israël, il est vain de porter le débat sur l’observation factuelle des évènements, vain de juger Israël à l’aune des lois internationales (et vouloir l’y soumettre), vain de l’appréhender comme un état religieux parmi d’autres. Car chacune de ces analyses sont, a priori (et jusqu’à preuve du contraire), des atours de l’antisémitisme.
Emise par un non juif, la critique d’Israël ou d’un de ses représentants est a priori une expression antisémite (voir Guillaume Meurice). Emise par un juif (comme Simon Assoun ou Michèle Sibony, Schlomo Sand), il s’agit d’une trahison envers leur peuple, qui tendrait à majorer le problème, cette critique fût-elle étayée scientifiquement (Sand), historiquement ou sociologiquement (Assoun, Sibony).
Ackermann semble minorer, les déterminants sociaux, politiques, historiques ou économiques. Le temps et l’espace étant des notions absentes, l’antisémitisme devient une en quelque sorte ontologique, sous-jacent et omniprésent.